Accueil > Cesare Battisti, prisonnier de son passé

Cesare Battisti, prisonnier de son passé

Publie le mardi 17 février 2004 par Open-Publishing

Hier, auteurs, éditeurs et amis ont manifesté devant la prison de la Santé, où l’écrivain est incarcéré. L’Italie réclame son extradition.

Ils sont quelques centaines devant la prison de la Santé, à Paris. Là est enfermé depuis mardi dernier l’écrivain italien Cesare Battisti, placé sous écrou extraditionnel. Une grande banderole proclame : « Liberté pour Cesare, contre toutes les extraditions ! » Les militants de la CNT tendent un porte-voix au romancier Dan Franck, organisateur de la manifestation : « Nous, écrivains, éditeurs, demandons la libération de Cesare Battisti, nous sommes solidaires de notre compagnon ! Nous pensons qu’il y a une entente objective entre les gouvernements Raffarin et Berlusconi pour qu’il soit rapatrié dans son pays, au mépris de toutes les règles ! Dans son dossier, il n’y a, depuis douze ans, aucun élément nouveau ! » A ses côtés, une batterie d’auteurs et d’éditeurs : Régine Desforges, Jean-Marie Laclavetine, Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal, Olivier Rubinstein, Gérard Mordillat, Frédéric Fajardie... Philippe Sollers, violent : « Il s’agit d’un déni de justice flagrant ! D’un esprit de vengeance de la part d’un chef d’Etat escroc qui veut se venger d’un révolutionnaire ! »

Politiques. Mes de Felice et Terrel reprennent : « Nous sommes ses avocats, merci de ce soutien, à quelques mètres du lieu où Cesare a déjà été détenu il y a treize ans, puis libéré quand une décision de justice a affirmé qu’il ne pouvait être extradé vers l’Italie ! » On croise Christophe Girard, adjoint au maire de Paris, avec son écharpe tricolore. Et Krivine (LCR), Mamère et Cochet (Verts), Ralite (PCF) qui, comme la loi leur en donne le droit, frappent à la porte de la prison pour y rencontrer le détenu. Et des amis italiens. Dans la petite foule, on chante (accordéon, violon) Bella ciao ! On crie « Libérez Cesare... et les autres ! » Aux fenêtres des cellules, les prisonniers frappent les barreaux. « D’autres actions se préparent », promettent les manifestants.

En France, dès mercredi, la mobilisation a été immédiate, en particulier dans la « communauté » des auteurs de polars, dont le site www.mauvaisgenres.com affiche une pétition qui réunit déjà plus de 4 000 signatures. Parmi les premiers, Claude Mesplède, l’instigateur du Dictionnaire des littératures policières. Il estime que la « solidarité qui s’exprime est à la fois logique et réconfortante : il y a dans ce milieu beaucoup d’esprits libertaires, qui restent attachés au sens de la parole donnée ».

« Mauvaise foi ». La « parole donnée », ou plutôt le manquement à cette parole, est mis en avant par nombre de signataires, comme François Guérif, éditeur de Battisti chez Rivages. « Affirmer, comme le font les autorités, que Cesare était un fugitif, est d’une totale mauvaise foi. Cesare était aisément localisable, et il n’a jamais caché son passé dont il m’a dit un jour que ça n’était pas ses "années de plomb mais de plume", sans pour autant céder à une vision romantique. » Pour l’écrivain et ancien trotskiste Thierry Jonquet, « ce qui arrive à Cesare est emblématique. S’il est extradé, on peut craindre une charrette pour ceux qui sont dans le même cas ». Le caractère préoccupant « de la situation des libertés dans notre pays », est souligné par Dominique Manotti, écrivain et prof à Paris-VIII. « Battisti a changé de vie, tout en poursuivant un travail de mémoire. C’est pour ça qu’il a été arrêté : il ne fait partie ni des ralliés à Berlusconi ou à Chirac, ni des repentis, il continue de parler de cette période-là et c’est insupportable pour les dirigeants, qui développent une haine des années 60-70. »

Epouvantail. Pour certains, l’émotion soulevée par l’arrestation de Battisti est liée à leur parcours personnel. « Son histoire est aussi mon histoire, dit Patrick Raynal, directeur de la Série Noire (Gallimard) et premier éditeur de Battisti en 1993. A la Gauche prolétarienne, nous nous sommes posé la question de la lutte armée. Je n’arrête pas de me dire qu’on aurait pu se retrouver dans la situation de Battisti. » L’écrivain Abdel Hafed Benotman, lui, est sous le coup d’une double peine et a souvent évoqué avec Battisti l’expérience de « la vie dans l’illégalité, l’épée de Damoclès ». « L’arrêter aujourd’hui, dit-il, c’est donner raison au gamin d’il y a trente ans, c’est nier le chemin parcouru. En Italie actuellement, certains jeunes sont tentés par la lutte armée, et le gouvernement Berlusconi veut se servir de ce cas comme d’un épouvantail. » Le climat italien est aussi évoqué par Patrick Raynal : « Cette histoire n’est pas réglée. En Italie, les années de plomb pèsent encore, beaucoup sont choqués que les militants de l’époque s’en soient sortis. Il y a aussi une réelle peur que les Brigades rouges se reconstituent. » De même, l’écrivain et traducteur Serge Quadruppani qui, avec l’écrivain Valerio Evangelisti, est l’initiateur d’une pétition en Italie, remarque que, « là-bas, la gauche est très partagée. Certains députés ont signé la pétition, d’autres sont hostiles à ce qui évoque le gauchisme des années 70. Mais le cas de Battisti est intéressant parce qu’il a tourné la page, sans renier le mouvement de révolte qui avait porté des milliers de gens dans la rue ».

Par Sabrina CHAMPENOIS et Natalie LEVISALLES et Dominique SIMONNOT

http://www.liberation.fr/page.php?Article=179301