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Contre le nouvel eugénisme de Sarkozy (video)

Publie le jeudi 12 avril 2007 par Open-Publishing

Etant professeur de philosophie et travaillant sur des questions qui concernent les affinités de l’art et de la maladie, j’ai été choqué, comme beaucoup, par les récents propos du candidat de l’UMP.Aussi, je vous envoie quelques citations et arguments écrites dans la colère (et la joie) contre ce genre d’idées.

Bien cordialement Philippe Godin

Qu’un candidat à la présidence déclare “..qu’on naît pédophile” ou “suicidaire”, que ces prédispositions relèveraient de la génétique, ce n’est pas seulement seulement franchir “la ligne jaune”, comme le disait hier BHL, mais c’est à la lettre annoncer, ce que la formule de campagne du président de l’UMP, résume symboliquement : “tout devient possible” ! Car au delà du tout sécuritaire et de ses déclinaisons policières et brutales, il y a peut être, dans cette déclaration, une autre facette du danger sarkozy : à savoir le risque d’une société promise à de nouvelles formes d’eugénisme !

Ainsi, Didier Sicard,président du comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans un entretien récent paru dans le monde du Dimanche 4-lundi 5 fév 2007, pouvait écrire à propos de la récente polémique suscitée par le Téléthon focalisée sur le diagnostic préimplantatoire des embryons humains et le tri de ces derniers sur des critères génétiques :“La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication”. “Je suis profondément inquiet devant le caractère systématique des dépistages, devant un système de pensée unique, devant le fait que tout ceci soit désormais considéré comme un acquis. Cette évolution et cette radicalité me posent problème.Comment défendre un droit à l’inexistence ?

Outre, le fait qu’il ne soit pas sûr qu’il y ait des “prédispositions” génétiques à la pédophilie ou au suicide, pas plus qu’il y en ait pour l’homosexualité ou à la maladie dite mentale, ce qui est inquiétant, c’est de brandir l’arme suprême de l’éradication génétique.Car, même si de telles “dispositions “ existent, il semble douteux, au nom du tout sécuritaire, de vouloir traiter génétiquement ces questions.C’est faire l’impasse, notamment, sur plus d’un siècle de recherches dans le domaine de la compréhension des phénomènes psychiques ! Monsieur Sarkozy, appartient en cela, à la famille de ce que Nietzsche, nommait “les monstres moralisants” : c’est à dire, tout ceux qui ne savent répondre à un problème “passionnel” et donc “vital”, que par la politique de la guerre !

“Extirper les passions ou les appétits, uniquement pour prévenir leur bêtise ou les fâcheuses conséquences de leur bêtise, voilà qui aujourd’hui nous paraît n’être qu’une forme de la bêtise.Nous n’admirons plus les dentistes qui arrachent les dents afin qu’elles ne fassent plus mal..”( Nietzsche Crépuscule des Idoles p 82)

Castrer, extirper, éradiquer, “Karchériser”,.. ce sont au fond, toujours les même armes, que nous proposent, ceux qui parlent au nom du “bien”, de la “santé” ou de la sécurité..A chaque fois au lieu de parier, sur ce que Nietzsche appelait, ( avec humour), une “spiritualisation de la passion” ou sur ce que Freud appellera “sublimation”, les arracheurs de .. comme aurait dit Brassens, proposent toujours de s’attaquer aux “racines” du mal, sans comprendre qu’attaquer les “passions à la racine, cela revient à attaquer la vie à la racine” (pour citer une dernière fois l’auteur du Gai savoir !

Qu’il faille “combattre” la pédophilie, le suicide ou la dépression, ne relève pas de la plus originalité ; en revanche, il est moins sûr que l’on doive se placer d’emblée sur le terrain du biologique pour aborder ces problèmes !

C’est, en effet, annoncer d’un part, le peu de considérations que le futur président accordera aux médecines dites “de l’âme” (pour prendre un vocabulaire moraliste( !)), et c’est d’autre part, se placer politiquement dans cette mouvance venue (en partie) des États Unis, qui tente, de plus en plus, à traiter les “maladies” et les “troubles” “psy”, à partir des seules thérapies comportementales et cognitives (TCC), mais aussi ( pour le plus grand bien des industries pharmaceutiques), à coup de neuroleptiques et enfin pour l’avenir, par éradication génétique ; à chaque fois, au détriment des traitements psychiques.C’est évidemment la logique marchande du moindre coût et des perspectives de marché ouvertes qui est préférée à des médecines, certes plus chères, mais aussi plus exigeantes, plus “humaines” et respectueuse des particularités, etc...Il s’agit d’agir vite, en supprimant le symptômes, sans rechercher nécessairement les causes, le mileu.Cela évite d’envisager des technique mixtes qui allient par exemple, psychothérapies et prise de médicaments etc.. ; Cela dispense, de ne pas prendre conscience de l’effrayant déficit dans l’accueil des personnes handicapées, (beaucoup moins présent dans des pays comme l’Allemagne et dans certains pays nordiques,..)

.Au pays de Descartes et des Lumières, les dépistages génétiques “sont idéologiquement perçus comme un progrès des acquis scientifiques, des Lumières, de la Raison”.

De son côté, ”La psychiatrie est devenue entièrement biologique”, ‘comme le déclarait récemment Élisabeth Roudinesco), “elle est en train de se soumettre au comportementalisme en redevenant purement médicale. Les praticiens adeptes des TCC sont peu nombreux en France (550 recensés), ils n’attirent pas spécialement le public, mais ces thérapies sont valorisées dans les facultés de médecine et par le ministère de la Santé - cela peut changer - car elles sont rapides et ne coûtent pas cher” !

Les trois actes pour une future pièce : “La cité où “tout est possible..” La récente déclaration de Sarkozy est donc l’aboutissement de cette longue campagne obscurantiste, dont le premier acte fut, on s’en souvient, l’amendement Accoyer. Celui-ci subordonnait, dans sa rédaction initiale, toute psychanalyse, toute psychothérapie relationnelle, à la psychiatrie - et, dans les faits, à une certaine psychiatrie, qui tend à devenir dominante et s’appuyant sur un nouvel avatar du béhaviorisme : les analyses du comportement qui expliqueraient l’ensemble des souffrances.1

Le second acte, fut ce projet gouvernemental d’un plan de prévention de la délinquance passant par une détection très précoce des « troubles comportementaux » chez l’enfant, dès le plus jeune âge, censés annoncer un parcours vers la délinquance.

En s’appuyant sur une expertise de l’INSERM, les professionnels étaient ainsi invités à repérer des facteurs de risque prénataux et périnataux, génétiques, environnementaux et liés au tempérament et à la personnalité.Tels, à propos de jeunes enfants « des traits de caractère tels que la froideur affective, la tendance à la manipulation, le cynisme » et la notion « d’héritabilité (génétique) du trouble des conduites ». Ou avant le 36 mois des signes suivants : « indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas », etc.

Enfin, le troisième acte, dans qui confine à la fureur “hygiéniste” , c’est donc le grand nettoyage génétique ! Cette fois-ci , plus de “repérage” ou de traitement ; ni de redressage comportementaliste ! on éradique tout simplement ( version Karcher de la future politique médicale et judiciaire ?).

Or, outre l’absence de réels fondements scientifiques à ces déclarations, ce qui les rendent inacceptables, c’est qu’elles peuvent être l’annonce d’un avenir où “tout devient possible” !

Car, demain ce n’est plus seulement la pédophilie, le tempérament suicidaire qui tombera sous le coup de la raison génétique, mais, aussi la toxicomanie, l’alcoolisme, l’homosexualité,l’impuissance sexuelle, la dépression, la kleptomanie, etc.,

En traitant toutes ces dispositions, comme des maladies éradiquables génétiquement , on se déchargera de toute psychologie, et on culpabilisera même les futurs couples qui refuseraient de se soumettre à de tels tests génétiques ou pire à interrompre une grossesse d’un futur petit pervers !

Se servir de la génétique, au motif que « la science dit le vrai », pour justifier une simple politique et une idéologie est d’autant plus perfide qu’elle s’appuie sur des apports réels et bénéfiques, de la génétique dans le domaine médical !En effet, comme pour l’usage de certains neuroleptiques, souvent utiles en accompagnement d’un traitement psychique, il est évident, que certains dépistages à la naissance, comme celui de l’hypothyroïdie, (qui permettent la mise en place d’un traitement efficace par voie alimentaire), sont des plus utiles ! Mais, comme le souligne Didier Sicard, “dans la très grande majorité des cas, le dépistage prénatal n’est pas destiné à traiter mais bien à supprimer”. “La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication. Et ceci est peut-être plus vrai en France que dans d’autres pays. Certaines peuvent aller jusqu’à proposer ouvertement d’« éradiquer l’hémophilie », d’« arrêter la propagation des maladies génétiques ». Nous sommes ici dans un imaginaire où le chromosome et le gène prennent la place des agents pathogènes infectieux, que l’on demande à la médecine de ne plus voir”.(art cité)

Contre le mauvais goût en politique et pour une “sélectivité esthétique”.

Enfin, nous voudrions ajouter un argument, qui concerne peut-être la philosophie et sa partie la plus souvent déconsidérée : l’esthétique. En effet, ce n’est pas seulement la “conscience” qui manque à la science ou à la volonté de connaître, et à l’idéologie politique qu’elle cautionne : c’est aussi le manque de goût !Ce n’est pas comme le dit Houelbeck, dans les particules élémentaires, que “tout deviennent possible”, , (ni comme le dit l’affiche de Sarkozy), qui rend inhumain la perpective des manipulations génétiques, c’est aussi, qu’elles se fassent sans principe de sélectivité esthétique.

Si la sélection du sexe du fœtus est parfaitement en place sur le plan technique, ce n’est pas, seulement “ce clonage et la bio-génétique qui vont entraîner des conséquences terrifiantes ! “ comme l’affirme par exemple George Steiner : c’est une volonté de connaître qui n’est plus bridée par aucun goût ; Voilà ce qui est “barbare”, selon Nietzsche. En 1943, des médecins militaires aux États Unis diagnostiquaient, à propos d’un jeune marin de 19 ans, un état de démence précoce et de tendances schizoïdes. A leurs yeux , il avait tout pour déplaire : « il imagine des symphonies entières dans son esprit ; il peut entendre chaque note. Il voit des pages de mots imprimés. ». Plus grave : il a quitté l’école soudainement, car « il pensait qu’il n’avait rien de plus à apprendre » et voulait être écrivain.Jean Louis Lebris de Kerouac, serait sans doute aujourd’hui tombé sous le coup de la raison “comportementaliste” !

Non seulement pour des raisons “génétiques” , mais pour des raisons de troubles du comportement, Mozart ou Beethoven, enfants asociales, auraient été sans doute réadaptés, à coup de psychothérapies comportemenantalistes ou de neuroleptiques .Ils auraient été “normalisés” mais jamais ils n’auraient pu composer un seul Don Giovani ou une seule Symphonie en Ut mineur !Bartok, manifestant des penchants notoires à la pédophilie, n’aurait peut être jamais écrit ses quatuors ; le poète Trakl , vivant l’inceste très tôt avec sa soeur n’aurait pas publié Psaume et Dostoïevski aurait, soigné son épilepsie et ses obsessions de scènes de meurtres , de viols et de pédophilies à coup de tranquillisants !

Sans parler des artistes suicidaires , comme l’écrivain romantique Heinrich von Kleist, qui se tira “une balle dans la cervelle”.Ou ceux “ennuités” par la folie : Höderlin, Nerval, ce Prince Noir, de la mélancolie, qui après une vie d’errances ira se pendre, un soir de 1855 dans une rue du Marais.Et, bien sûr, pour le plus populaire ( !) Van Gogh, qui “se trancha une fois l’oreille” et finira par se tirer un coup de carabine après des mois d’internement.Etc, etc..Dans cette galerie des prétendants au redressement universel on aurait pu évidemment citer, Artaud, Paul Celan, internés et de plus suicidaire pour le second ! Et, enfin, pour les dépressifs notoires : l’écrivain américain F.S.Fitgérald, et tous ces artistes américains du XX° s qui seront happés par le suicide, la folie, mais aussi plus spécifiquement par l’usage des drogues ou de l’alcool : Malcolm Lowry, Hemingway, Pollock, Warhol, Kerouac, et les écrivains dits de la “beat génération”...

Le fait qu’on puisse arrêter chez un fœtus le développement d’une maladie est donc, d’un certain point de vue, magnifique, de l’autre, ça fait très peur : dans ce contexte, Beethoven (de nouveau !), troisième enfant d’une famille où tous les enfants étaient atteints de malformations, ne serait jamais né ”.C’est ainsi que certains souhaite que l’on dépiste systématiquement la maladie de Marfan dont souffraient notamment le président Lincoln et Mende1ssohn. Aujourd’hui, Mozart, parce qu’il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Petrucciani par sa maladie osseuse, serait considérés comme des déviants indignes de vivre.

Prétendre apporter la santé, la sécurité, par des méthodes de dressage ou d’éradication qui réduisent le sujet à ses comportements ou pire à une “caractéristique” génétique, est une des préfiguration de l’eugénisme qui nous attend !. Reconnaître, qu’il y aura toujours une partie de l’humanité qui échappera à cette normalisation, que l’on n’arrivera jamais à “l’homme parfait” qui ne fumera pas, ne se droguera pas, fera l’amour selon les normes en vigueur et se soumettra sans broncher aux règles et aux conventions sociales, serait au contraire une forme de sagesse à méditer.

Comme l’écrit la psychanalyste, Elisabeth Roudinesco : “Nous vivons dans une société troublée par la mondialisation, l’évolution des normes morales et la perte des repères religieux et identitaires, une société de plus en plus puritaine, qui veut le risque zéro, qui poursuit les pédophiles mais autorise et valorise la pornographie. Il y a un vrai combat philosophique derrière tout cela : veut-on des individus soumis aux contraintes de l’efficacité économique et de l’hédonisme réduit à la question du corps, ou bien des sujets lucides et autonomes, mais peut-être moins contrôlables ?”2

C’est donc, au nom de la santé, de la sécurité et de la norme naturelle , que tout une part de notre liberté s’élide au profit d’un monde certes plus sûr mais qui risque aussi de supprimer toutes émergence de nouveautés ; et notamment ces individualités, indomptables et retorses, que sont la plupart des artistes !

Le philosophe, Gilles Deleuze citait la prophétie des dernières pages de l’Apocalyspe de Laurence comme une prophétie de notre monde : " Chaque fois que l’on programme une cité radieuse, nous savons bien que c’est une manière de détruire le monde, de le rendre " inhabitable ", et d’ouvrir la chasse à l’ennemi quelconque.Le pire ce n’est pas seulement les images apocalyptique d’une société chaotique, ou despotique ou les délires totalitaires d’un Hitler ou d’un Staline, il est d’autres formes d’apocalypses, plus modérés plus soft, à l’image de cette Nouvelle Jérusalem et de cet avenir qu’on nous promet, pas seulement dans la science-fiction, plutôt dans la planification militaire-industrielle de l’État mondial absolu. L’Apocalypse, ce n’est pas le camp de concentration (Antéchrist), c’est la grande sécurité militaire, policière et civile de l’État nouveau ; la Jérusalem céleste) ".

Deleuze, savait aussi, à la suite de Nieztsche, que certaines “maladies” ou formes de comportements jugés pervers se “marient parfois étrangement avec l’esprit”.Et, au lieu, de vouloir défaire cet accouplement monstreux, il y voyait comme un accomplissement de tous les possibles .L’artiste ou parfois l’homme “malade” rendent visible des formes de vie à venir.

D’où, peut-être “l’élection” par Deleuze d’oeuvres provenant d’hommes en apparence malades (Proust) , hystériques (Bacon), pervers (Céline, Burroughs..), épuisés (Beckett), etc...Car, chez Deleuze, cette fascination pour les figures apparemment “nihilistes”, “négatives” du drogué , de l’alcoolique (Kerouac, Malcom Lowry), du masochiste ; du traîte, est comme retournée, en ce qu’elles témoignent dans leur capacité à se détruire , plus d’un effort de défaire ce qui est humain (l’organisation sociale et perceptive du corps, par exemple), et d’une tentative pour construire une autre Forme de l’homme, une plasticité que Deleuze nommait “devenirs”. Dépasser la Forme humaine pour expérimenter de nouvelles “formes” de vie (y compris sociales) ; fût-ce au prix de la maladie, de la perversion, de la drogue ou du jeûne ; de la trahison ou de l’infâmie, n’est-ce pas ce que la plupart, des artistes nous montrent parfois ?Au lieu d’éradiquer la vie, en accomplir tous les possibles ! Face aux terroristes et aux boureaux ; à tous ceux qui ne rient pas, (y compris les acharnés du pouvoir), Deleuze opposait enfin, les figures modernes des nouveaux damnés de la terre : de ceux qui seraint certainement tombés sous le traitement des nouvelles formes d’eugénisme que nous promet, entre autre, Monsieur Sarkozy : “Bacon non moins que Beckett fait partie de ces auteurs qui peuvent parler au nom d’une vie trés intense, pour une vie plus intense. Ce n’est pas un peintre qui « croit » à la mort. Tout un misérabilisme figuratif, mais au service d’une Figure de la vie de plus en plus forte. On doit rendre à Bacon autant qu’à Beckett ou à Kafka l’hommage suivant : ils ont dressé des Figures indomptables, indomptables par leur insistance, par leur présence, au moment même où ils « représentaient » l’horrible, la mutilation, la prothèse, la chute ou le raté. Ils ont donné à la vie un nouveau pouvoir de rire extrêmement direct. (Bacon p.42 )