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Jean-Louis Sagot-Duvauroux : Ne regrettons pas les temps d’enthousiasme

Publie le mercredi 18 avril 2007 par Open-Publishing
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de Jean-Louis Sagot-Duvauroux philosophe, dramaturge et scénariste français

Il est très important que la gauche l’emporte sur Nicolas Sarkozy, parce que la violence berlusco-thatchérienne de cet homme abîme et abîmerait beaucoup la vie en société. Pour aboutir à cela, une mobilisation sans détour est nécessaire. Mais nous savons déjà qu’elle n’aura pas pour débouché une présidence de la République acquise aux options anticapitalistes que défendent les communistes.

Il est donc très important qu’au sein de la gauche, les diverses sensibilités antilibérales recueillent le maximum de voix. Le rapport de forces ainsi créé pèsera sur la suite. Et puisque sensibilités diverses il y a, il est très important que tous ceux, dont je suis, qui se sentent plus proches des propositions portées par Marie-George Buffet se mobilisent sans détour. C’est aujourd’hui le mieux que nous puissions faire.

La raison plutôt que l’enthousiasme ? Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. L’élection présidentielle est le moment où les illusions étatistes sont les plus débridées. Observez comme nous demandons spontanément à ceux qui briguent nos suffrages de répondre à tout, d’être le plus compétents possible, de nous offrir un programme infaillible et si possible une personnalité piquante. Puis, nous étant dépossédés ainsi de notre citoyenneté active au profit de leur compétence, de leur programme et de leur personnalité, nous avouons presque à chaque fois être " déçus ". Comment ne le serions-nous pas ? C’est la fonction même de chef de l’État, les illusions et les démissions qu’elle porte que nous devons mettre en cause si nous voulons vraiment éviter ce genre de déception. Il est bien difficile, c’est un vrai travail politique, travail intime aussi, de ne pas se placer dans la position des grenouilles de La Fontaine, qui vivaient libres, mais, ne s’en consolant pas, demandèrent un roi et furent dévorées par lui.

Essayons de nous défaire de ça. Tout de suite. Il y a, parmi les propositions que porte Marie-George Buffet, plusieurs idées potentiellement majoritaires. Je pense par exemple à l’une d’entre elles, toute petite en apparence, mais grande par son utilité, par la façon dont elle écorne le règne de l’argent, par sa faisabilité immédiate, par sa capacité à produire de solides évidences contre les puissantes évidences du marché. L’idée proposée est d’interdire la publicité durant les émissions enfantines et de financer cette obligation de service public par une taxe sur la publicité dans les autres tranches de programme.

L’écrasante majorité des parents, électeurs de droite comme électeurs de gauche, accueilleraient avec soulagement la garantie que les programmes destinés à leurs enfants ne soient plus transformés en appâts pour les nourritures hypercaloriques, les vêtements porte-logos ou les divertissements made in USA. Ce qui, dans cette majorité potentielle, distingue ceux qui vont mettre dans l’urne le bulletin au nom de Marie-George Buffet, c’est de formuler politiquement ce souhait, de désigner l’obstacle qui est le règne de l’argent, de disposer d’une organisation pour donner force à l’engagement citoyen contre la manipulation de nos enfants. Marie-George Buffet ne sera pas présidente de la République. Mais l’idée qu’elle porte aujourd’hui restera bonne demain et toujours potentiellement majoritaire. L’abolition des publicités enfantines gagnera certainement à regrouper dès le mois d’avril le plus grand nombre possible de voix sur elle. Elle profitera indubitablement d’une défaite électorale de Nicolas Sarkozy, dont chacun sait qu’il est comme cul et chemise avec Martin Bouygues, propriétaire de TF1. Mais elle ne vivra que si le rassemblement potentiellement majoritaire n’attend la permission, ni la bonne grâce d’aucune autorité, fut-elle juste, de gauche et tricolore. Elle vivra si nous la faisons advenir à la politique hors des élections comme nous l’aurons fait lors des élections. Alors il nous faudra mettre toute notre imagination, toutes nos capacités organisatrices à convaincre d’abord nos camarades des autres sensibilités de la gauche anticapitaliste, puis ceux qui comme nous aurons voté à gauche lors des élections en cours, puis ceux de nos concitoyens qui ont jugé la droite mieux capable de conduire le pays, mais trouvent néanmoins rassurant que le samedi matin ne soit pas consacré à mettre sur le marché le cerveau de leur progéniture. Et ce travail-là donne à voir les méfaits de l’ordre capitaliste en même temps qu’il en montre la vulnérabilité. Ce travail-là peut l’emporter. Il porte loin.

Faire de la politique ainsi, c’est placer l’autonomie des citoyens au dessus des illusions étatistes, fussent-elles " démocratiques ". Cela dégage les votes à venir des illusions qui les entourent et du coup leur rend leur réelle importance. Je vais voter Marie-George Buffet, parce que c’est une façon de donner de la voix à ce que je souhaite pour ma société. Je n’ai pas besoin d’enthousiasme pour ça. J’ai besoin de liberté et de capacité critique, deux valeurs que souvent l’enthousiasme embrume.

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