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Les passions de l’amour

Publie le lundi 30 avril 2007 par Open-Publishing
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de Blaise Pascal

L’HOMME est né pour penser ; aussi n’est-il pas un moment sans le faire ; mais les pensées pures, qui le rendroient heureux s’il pouvoit toujours les soutenir, le fatiguent et l’abattent.

C’est une vie unie à laquelle il ne peut s’accommoder ; il lui faut du remuement et de l’action, c’est-à-dire qu’il est nécessaire qu’il soit quelquefois agité des passions, dont il sent dans son coeur des sources si vives et si profondes.

Les passions qui sont les plus convenables à l’homme, et qui en renferment beaucoup d’autres, sont l’amour et l’ambition : elles n’ont guère de liaison ensemble, cependant on les allie assez souvent ; mais elles s’affoiblissent l’une l’autre réciproquement, pour ne pas dire qu’elles se ruinent.

Quelque étendue d’esprit que l’on ait, l’on n’est capable que d’une grande passion ; c’est pourquoi, quand l’amour et l’ambition se rencontrent ensemble, elles ne sont grandes que de la moitié de ce qu’elles seroient s’il n’y avoit que l’une ou l’autre. L’âge ne détermine point, ni le commencement, ni la fin de ces deux passions ; elles naissent dès les premières années, et elles subsistent bien souvent jusqu’au tombeau. Néanmoins, comme elles demandent beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres, et il semble qu’elles se ralentissent avec les années ; cela est pourtant fort rare.

La vie de l’homme est misérablement courte. On la compte depuis la première entrée dans le monde ; pour moi je ne voudrois la compter que depuis la naissance de la raison, et depuis qu’on commence à être ébranlé par la raison, ce qui n’arrive pas ordinairement avant vingt ans.

Devant ce temps l’on est enfant ; et un enfant n’est pas un homme.

Qu’une vie est heureuse quand elle commence par l’amour et qu’elle finit par l’ambition ! Si j’avois à en choisir une, je prendrois celle-là. Tant que l’on a du feu, l’on est aimable ; mais ce feu s’éteint, il se perd : alors que la place est belle et grande pour l’ambition ! La vie tumultueuse est agréable aux grands esprits, mais ceux qui sont médiocres n’y ont aucun plaisir ; ils sont machines partout. C’est pourquoi l’amour et l’ambition commençant et finissant la vie, on est dans l’état le plus heureux dont la nature humaine est capable.

A mesure que l’on a plus d’esprit, les passions sont plus grandes, parce que les passions n’étant que des sentimens et des pensées, qui appartiennent purement à l’esprit, quoiqu’elles soient occasionnées par le corps, il est visible qu’elles ne sont plus que l’esprit même, et qu’ainsi elles remplissent toute sa capacité. Je ne parle que des passions de feu, car pour les autres, elles se mêlent souvent ensemble, et causent une confusion très-incommode ; mais ce n’est jamais dans ceux qui ont de l’esprit. Dans une grande âme tout est grand.

L’on demande s’il faut aimer. Cela ne se doit pas demander, on le doit sentir. L’on ne délibère point là-dessus, l’on y est porté, et l’on a le plaisir de se tromper quand on consulte.

La netteté d’esprit cause aussi la netteté de la passion ; c’est pourquoi un esprit grand et net aime avec ardeur, et il voit distinctement ce qu’il aime.

Il y a de deux sortes d’esprits, l’un géométrique, et l’autre que l’on peut appeler de finesse. Le premier a des vues lentes, dures et inflexibles ; mais le dernier a une souplesse de pensées qu’il applique en même temps aux diverses parties aimables de ce qu’il aime. Des yeux il va jusques au coeur, et par le mouvement du dehors il connoît ce qui se passe au dedans. Quand on a l’un et l’autre esprit tout ensemble, que l’amour donne de plaisir ! Car on possède à la fois la force et la flexibilité de l’esprit, qui est très-nécessaire pour l’éloquence de deux personnes.

Nous naissons avec un caractère d’amour dans nos coeurs, qui se développe à mesure que l’esprit se perfectionne, et qui nous porte à aimer ce qui nous paroît beau sans que l’on nous ait jamais dit ce que c’est. Qui doute après cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? En effet, on a beau se cacher, l’on aime toujours. Dans les choses même où il semble que l’on ait séparé l’amour, il s’y trouve secrètement et en cachette, et il n’est pas possible que l’homme puisse vivre un moment sans cela.

L’homme n’aime pas à demeurer avec soi ; cependant il aime : il faut donc qu’il cherche ailleurs de quoi aimer. Il ne le peut trouver que dans la beauté ; mais comme il est lui-même la plus belle créature que Dieu ait jamais formée, il faut qu’il trouve dans soi-même le modèle de cette beauté qu’il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soi-même les premiers rayons ; et selon que l’on s’aperçoit que ce qui est au dehors y convient ou s’en éloigne, on se forme les idées de beau ou de laid sur toutes choses. Cependant, quoique l’homme cherche de quoi remplir le grand vide qu’il a fait en sortant de soi-même, néanmoins il ne peut pas se satisfaire par toutes sortes d’objets. Il a le coeur trop vaste ; il faut au moins que ce soit quelque chose qui lui ressemble, et qui en approche le plus près. C’est pourquoi la beauté qui peut contenter l’homme consiste non-seulement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance : elle la restreint et elle l’enferme dans la différence du sexe.

La nature a si bien imprimé cette vérité dans nos âmes, que nous trouvons cela tout disposé ; il ne faut point d’art ni d’étude ; il semble même que nous ayons une place à remplir dans nos coeurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu’on ne le peut dire. Il n’y a que ceux qui savent brouiller et mépriser leurs idées qui ne le voient pas.

Quoique cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas que de recevoir de très-grandes différences dans l’application particulière ; mais c’est seulement pour la manière d’envisager ce qui plaît. Car l’on ne souhaite pas nûment une beauté, mais l’on y désire mille circonstances qui dépendent de la disposition où l’on se trouve ; et c’est en ce sens que l’on peut dire que chacun a l’original de sa beauté, dont il cherche la copie dans le grand monde. Néanmoins les femmes déterminent souvent cet original. Comme elles ont un empire absolu sur l’esprit des hommes, elles y dépeignent ou les parties des beautés qu’elles ont, ou celles qu’elles estiment, et elles ajoutent par ce moyen ce qui leur plaît à cette beauté radicale. C’est pourquoi il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes, et le partage qu’il y a entre les femmes sur l’estime des unes ou des autres fait aussi le partage entre les hommes dans un même temps sur les unes et sur les autres. La mode même et les pays règlent souvent ce que l’on appelle beauté. C’est une chose étrange que la coutume se mêle si fort de nos passions. Cela n’empêche pas que chacun n’ait son idée de beauté sur laquelle il juge des autres, et à laquelle il les rapporte ; c’est sur ce principe qu’un amant trouve sa maîtresse plus belle, et qu’il la propose comme exemple.

La beauté est partagée en mille différentes manières. Le sujet le plus propre pour la soutenir, c’est une femme. Quand elle a de l’esprit, elle l’anime et la relève merveilleusement. Si une femme veut plaire, et qu’elle possède les avantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira ; et même, si les hommes y prenoient tant soit peu garde, quoiqu’elle n’y tâchât point, elle s’en feroit aimer. Il y a une place d’attente dans leur coeur, elle s’y logeroit.

L’homme est né pour le plaisir : il le sent, il n’en faut point d’autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son coeur sans savoir par où elle a commencé.

Un plaisir vrai ou faux peut remplir également l’esprit. Car qu’importe que ce plaisir soit faux, pourvu que l’on soit persuadé qu’il est vrai ?

A force de parler d’amour, on devient amoureux. Il n’y a rien si aisé. C’est la passion la plus naturelle à l’homme.

L’amour n’a point d’âge ; il est toujours naissant. Les poëtes nous l’on dit : c’est pour cela qu’ils nous le présentent comme un enfant. Mais sans lui rien demander, nous le sentons.

L’amour donne de l’esprit, il se soutient par l’esprit. Il faut de l’adresse pour aimer. L’on épuise tous les jours les manières de plaire ; cependant il faut plaire, et l’on plaît.

Nous avons une source d’amour-propre qui nous représente à nous-mêmes comme pouvant remplir plusieurs places au dehors : c’est ce qui est cause que nous sommes bien aises d’être aimés. Comme on le souhaite avec ardeur, on le remarque bien vite et on le reconnoît dans les yeux de la personne qui aime. Car les yeux sont les interprètes du coeur ; mais il n’y a que celui qui y a intérêt qui entend leur langage.

L’homme seul est quelque chose d’imparfait ; il faut qu’il trouve un second pour être heureux. Il le cherche bien souvent dans l’égalité de la condition, à cause que la liberté et que l’occasion de se manifester s’y rencontrent plus aisément. Néanmoins l’on va quelquefois bien au-dessus, et l’on sent le feu s’agrandir, quoiqu’on n’ose pas le dire à celle qui l’a causé.

Quand on aime une dame sans égalité de condition, l’ambition peut accompagner le commencement de l’amour ; mais en peu de temps il devient le maître. C’est un tyran qui ne souffre point de compagnon ; il veut être seul ; il faut que toutes les passions ploient et lui obéissent.

Une haute amitié remplit bien mieux qu’une commune et égale le coeur de l’homme ; et les petites choses flottent dans sa capacité ; il n’y a que les grandes qui s’y arrêtent et qui y demeurent.

L’on écrit souvent des choses que l’on ne prouve qu’en obligeant tout le monde à faire réflexion sur soi-même et à trouver la vérité dont on parle. C’est en cela que consiste la force des preuves de ce que je dis.

Quand un homme est délicat en quelque endroit de son esprit, il l’est en amour. Car comme il doit être ébranlé par quelque objet qui est hors de lui, s’il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s’en aperçoit, et il le fuit. La règle de cette délicatesse dépend d’une raison pure, noble et sublime : ainsi l’on se peut croire délicat, sans qu’on le soit effectivement, et les autres ont le droit de nous condamner. Au lieu que pour la beauté chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres. Néanmoins entre être délicat et ne l’être point du tout, il faut demeurer d’accord que, quand on souhaite d’être délicat, l’on n’est pas loin de l’être absolument. Les femmes aiment à apercevoir une délicatesse dans les hommes ; et c’est, ce me semble, l’endroit le plus tendre pour les gagner : l’on est aise de voir que mille autres sont méprisables, et qu’il n’y a que nous d’estimables.

Les qualités d’esprit ne s’acquièrent point par l’habitude ; on les perfectionne seulement. De là, il est aisé de voir que la délicatesse est un don de nature, et non pas une acquisition de l’art.

A mesure que l’on a plus d’esprit, l’on trouve plus de beautés originales ; mais il ne faut pas être amoureux ; car quand l’on aime, l’on n’en trouve qu’une.

Ne semble-t-il pas qu’autant de fois qu’une femme sort d’elle-même pour se caractériser dans le coeur des autres, elle fait une place vide pour les autres dans le sien ? Cependant j’en connois qui disent que cela n’est pas vrai. Oseroit-on appeler cela injustice ? Il est naturel de rendre autant qu’on a pris.

L’attachement à une même pensée fatigue et ruine l’esprit de l’homme. C’est pourquoi pour la solidité et la [durée] du plaisir de l’amour, il faut quelquefois ne pas savoir que l’on aime ; et ce n’est pas commettre une infidélité, car l’on n’en aime pas d’autre ; c’est reprendre des forces pour mieux aimer. Cela se fait sans que l’on y pense ; l’esprit s’y porte de soi-même ; la nature le veut ; elle le commande. Il faut pourtant avouer que c’est une misérable suite de la nature humaine, et que l’on seroit plus heureux si l’on n’étoit point obligé de changer de pensée ; mais il n’y a point de remède.

Le plaisir d’aimer sans l’oser dire a ses peines, mais aussi il a ses douceurs. Dans quel transport n’est-on point de former toutes ses actions dans la vue de plaire à une personne que l’on estime infiniment ? L’on s’étudie tous les jours pour trouver le moyen de se découvrir, et l’on y emploie autant de temps que si l’on devoit entretenir celle que l’on aime. Les yeux s’allument et s’éteignent dans un même moment ; et quoique l’on ne voie pas manifestement que celle qui cause toute ce désordre y prenne garde, l’on a néanmoins la satisfaction de sentir tous ces remuemens pour une personne qui le mérite si bien. L’on voudroit avoir cent langues pour le faire connoître ; car comme l’on ne peut pas se servir de la parole, l’on est obligé de se réduire à l’éloquence d’action.

Jusque-là on a toujours de la joie, et l’on est dans une assez grande occupation. Ainsi l’on est heureux ; car le secret d’entretenir toujours une passion, c’est de ne pas laisser naître aucun vide dans l’esprit, en l’obligeant de s’appliquer sans cesse à ce qui le touche si agréablement. Mais quand il est dans l’état que je viens de décrire, il n’y peut pas durer longtemps, à cause qu’étant seul acteur dans une passion où il en faut nécessairement deux, il est difficile qu’il n’épuise bientôt tous les mouvemens dont il est agité.

Quoique ce soit une même passion, il faut de la nouveauté ; l’esprit s’y plaît, et qui sait se la procurer sait se faire aimer.

Après avoir fait ce chemin, cette plénitude quelquefois diminue, et ne recevant point de secours du côté de la source, l’on décline misérablement, et les passions ennemies se saisissent d’un coeur qu’elles déchirent en mille morceaux. Néanmoins un rayon d’espérance, si bas que l’on soit, relève aussi haut qu’on étoit auparavant. C’est quelquefois un jeu auquel les dames se plaisent ; mais quelquefois en faisant semblant d’avoir compassion, elles l’ont tout de bon. Que l’on est heureux quand cela arrive !

Un amour ferme et solide commence toujours par l’éloquence d’action ; les yeux y ont la meilleure part. Néanmoins il faut deviner, mais bien deviner.

Quand deux personnes sont de même sentiment, elles ne devinent point, ou du moins il y en a une qui devine ce que veut dire l’autre sans que cet autre l’entende ou qu’il ose l’entendre.

Quand nous aimons, nous paroissons à nous-mêmes tout autres que nous n’étions auparavant. Ainsi nous nous imaginons que tout le monde s’en aperçoit ; cependant il n’y a rien de si faux. Mais parce que la raison a sa vue bornée par la passion, l’on ne peut s’assurer, et l’on est toujours dans la défiance.

Quand l’on aime, on se persuade que l’on découvriroit la passion d’un autre : ainsi l’on a peur.

Tant plus le chemin est long dans l’amour, tant plus un esprit délicat sent de plaisir.

Il y a de certains esprits à qui il faut donner longtemps des espérances, et ce sont les délicats. Il y en a d’autres qui ne peuvent pas résister longtemps aux difficultés, et ce sont les plus grossiers. Les premiers aiment plus longtemps et avec plus d’agrément ; les autres aiment plus vite, avec plus de liberté, et finissent bientôt.

Le premier effet de l’amour c’est d’inspirer un grand respect ; l’on a de la vénération pour ce que l’on aime. Il est bien juste : on ne reconnoît au monde de grand comme cela.

Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvements de l’amour de leur héros : il faudroit qu’ils fussent héros eux-mêmes.

L’égarement à aimer en divers endroits est aussi monstrueux que l’injustice dans l’esprit.

En amour un silence vaut mieux qu’un langage. Il est bon d’être interdit ; il y a une éloquence de silence qui pénètre plus que la langue ne sauroit faire. Qu’un amant persuade bien sa maîtresse quand il est interdit, et que d’ailleurs il a de l’esprit ! Quelque vivacité que l’on ait, il est bon dans certaines rencontres qu’elle s’éteigne. Tout cela se passe sans règle et sans réflexion ; et quand l’esprit le fait, il n’y pensoit pas auparavant. C’est par nécessité que cela arrive.

L’on adore souvent ce qui ne croit pas être adoré, et l’on ne laisse pas de lui garder une fidélité inviolable, quoiqu’il n’en sache rien. Mais il faut que l’amour soit bien fin ou bien pur.

Nous connoissons l’esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous-mêmes avec les autres. Je suis de l’avis de celui qui disoit que dans l’amour on oublioit sa fortune, ses parents et ses amis : les grandes amitiés vont jusque-là.

Ce qui fait que l’on va si loin dans l’amour, c’est que l’on ne songe pas que l’on a besoin d’autre chose que de ce que l’on aime : l’esprit est plein ; il n’y a plus de place pour le soin ni pour l’inquiétude. La passion ne peut pas être sans excès ; de là vient qu’on ne se soucie plus de ce que dit le monde, que l’on sait déjà ne devoir pas condamner notre conduite, puisqu’elle vient de la raison. Il y a une plénitude de passion, il ne peut pas y avoir un commencement de réflexion.

Ce n’est point un effet de la coutume, c’est une obligation de la nature que les hommes fassent les avances pour gagner l’amitié des dames.

Cet oubli que cause l’amour, et cet attachement à ce que l’on aime, fait naître des qualités que l’on n’avoit pas auparavant. L’on devient magnifique, sans l’avoir jamais été. Un avaricieux même qui aime devient libéral, et il ne se souvient pas d’avoir jamais eu une habitude opposée : l’on en voit la raison en considérant qu’il y a des passions qui resserrent l’âme et qui la rendent immobile, et qu’il y en a qui l’agrandissent et la font répandre au dehors.

L’on a ôté mal à propos le nom de raison à l’amour, et on les a opposés sans un bon fondement, car l’amour et la raison n’est qu’une même chose. C’est une précipitation de pensées qui se porte d’un côté sans bien examiner tout, mais c’est toujours une raison, et l’on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines très-désagréables. N’excluons donc point la raison de l’amour, puisqu’elle en est inséparable. Les poëtes n’ont donc pas eu raison de nous dépeindre l’amour comme un aveugle ; il faut lui ôter son bandeau, et lui rendre désormais la jouissance de ses yeux.

Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui éclate en événemens nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C’est de là que ceux de la cour son mieux reçus dans l’amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l’uniformité n’a rien qui frappe : la vie de tempête surprend, frappe et pénètre. Il semble que l’on ait toute une autre âme quand on aime que quand on n’aime pas ; on s’élève par cette passion, et on devient toute grandeur ; il faut donc que le reste ait proportion, autrement cela ne convient pas, et partant cela est désagréable.

L’agréable et le beau n’est que la même chose, tout le monde en a l’idée. C’est d’une beauté morale que j’entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions du dehors. L’on a bien une règle pour devenir agréable ; cependant la disposition du corps y est nécessaire ; mais elle ne se peut acquérir.

Les hommes ont pris plaisir à se former une idée de l’agréable si élevée, que personne n’y peut atteindre. Jugeons-en mieux, et disons que ce n’est que le naturel, avec une facilité et une vivacité d’esprit qui surprennent. Dans l’amour ces deux qualités sont nécessaires : il ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien de lenteur. L’habitude donne le reste.

Le respect et l’amour doivent être si bien proportionnés qu’ils se soutiennent sans que ce respect étouffe l’amour.

Les grandes âmes ne sont pas celles qui aiment le plus souvent ; c’est d’un amour violent que je parle : il faut une inondation de passion pour les ébranler et pour les remplir. Mais quand elles commencent à aimer elles aiment beaucoup mieux.

L’on dit qu’il y a des nations plus amoureuses les unes que les autres ; ce n’est pas bien parler, ou du moins cela n’est pas vrai en tout sens.

L’amour ne consistant que dans un attachement de pensée, il est certain qu’il doit être le même par toute la terre. Il est vrai que, se déterminant autre part que dans la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n’est que dans le corps.

Il est de l’amour comme du bon sens ; comme l’on croit avoir autant d’esprit qu’un autre, on croit aussi aimer de même. Néanmoins quand on a plus de vue, l’on aime jusques aux moindres choses, ce qui n’est pas possible aux autres. Il faut être bien fin pour remarquer cette différence.

L’on ne peut presque faire semblant d’aimer que l’on ne soit bien près d’être amant, ou du moins que l’on aime en quelque endroit ; car il faut avoir l’esprit et les pensées de l’amour pour ce semblant, et le moyen de bien parler sans cela ? La vérité des passions ne se déguise pas si aisément que les vérités sérieuses. Il faut du feu, de l’activité et un feu d’esprit naturel et prompt pour la première ; les autres se cachent avec la lenteur et la souplesse, ce qu’il est plus aisé de faire.

Quand on est loin de ce que l’on aime, l’on prend la résolution de faire ou de dire beaucoup de choses ; mais quand on est près, on est irrésolu. D’où vient cela ? C’est que quand on est loin la raison n’est pas si ébranlée, mais elle l’est étrangement en la présence de l’objet : or pour la résolution il faut de la fermeté, qui est ruinée par l’ébranlement.

Dans l’amour on n’ose hasarder parce que l’on craint de tout perdre ; il faut pourtant avancer, mais qui peut dire jusques où ? L’on tremble toujours jusques à ce que l’on ait trouvé ce point. La prudence ne fait rien pour s’y maintenir quand on l’a trouvé.

Il n’y a rien de si embarrassant que d’être amant, et de voir quelque chose en sa faveur sans l’oser croire : l’on est également combattu de l’espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière devient victorieuse de l’autre.

Quand on aime fortement, c’est toujours une nouveauté de voir la personne aimée. Après un moment d’absence on la trouve de manque dans son coeur. Quelle joie de la retrouver ! l’on sent aussitôt une cessation d’inquiétudes. Il faut pourtant que cet amour soit déjà bien avancé ; car quand il est naissant et que l’on n’a fait aucun progrès, on sent bien une cessation d’inquiétudes, mais il en survient d’autres.

Quoique les maux se succèdent ainsi les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaiter la présence de sa maîtresse par l’espérance de moins souffrir ; cependant quand on la voit, on croit souffrir plus qu’auparavant. Les maux passés ne frappent plus, les présens touchent, et c’est sur ce qui touche que l’on juge. Un amant dans cet état n’est-il pas digne de compassion ?

Messages

  • ah ah ah - Blaise Pascal.
    Encore un bon catho celui-là ...Son discours sur l’amour me casse la tête, déjà amochée.

    Aimer : vouloir donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas - Jacques Lacan

    Aimer, ça n’est toujours pas arrivé et c’est encore à inventer - Le christiannisme a balayé défintivement tout ce qu’il pouvait y avoir de sauvage et de pur dans le coeur des hommes.

    Par ailleurs, aimer, aujourd’hui, c’est encore et toujours un piège qui se retourne contre la femme car l’homme n’a pas encore franchi l’étape intellectuelle qui lui permettra de jouir pleinement de son coeur et des merveilles que prodiguent l’amour. Il n’a pas encore reconnu la femme comme pleinement son égale et s’il lui arrive de le faire , au lieu d’en être transporté et de se féliciter de la veine qu’il a eue, de la chérir davantage , et bien non, il ne peut plus la baiser et il finit par lui en vouloir - Faibles. Etres faibles et débiles.

    Il faut gratter au-delà de toutes nos espérances pour mettre à nu la surface bien vive et bien rouge où écrire la Fraternité entre l’homme et la femme, qui permet de ne pas avoir peur de s’attacher les poignets, car on sait que l’autre nous détachera aussi, ne pas avoir peur de se faire manger car on sait que l’autre nous régurgitera aussi, ne pas avoir peur de perdre "tout le reste" en se concentrant sur "un ou une" car o n sait que cet un ou une est la clef pour "tout le reste".

    Ne pas avoir peur. LA seule vraie rencontre c’est celle de deux âmes, de deux esprits, et cette rencontre-là elle se traduit immédiatement par la peau. C’est quand l’un reconnaît l’autre comme égal, avec qui il est plaisant de se perdre, d’errer , à qui et en qui on peut s’abandonner et à qui on peut donc faire une totale confiance. C’est le frère d’armes entre les mains de qui on peut mettre sa vie.

    Il n’y a pas d’amour sans admiration ni respect. Mutuels.

    Ne pas être hypocrite, ne pas prétendre protéger une liberté dans des discours complètement cathos, bien pensants, e napparence "révolutionnaires" ("mon corps n’est à personne" - évidemment il n’est même pas à nous même et alors ?) alors que la seule chose que l’on veut, c’est surtout ne pas plonger corps et âme et garder le contrôle, ne pas se laisse fondre ni absorber ni couler .

    Ne pas confondre liberté et mépris de l’autre en tant qu’individu. Et l’individu, il aime etre unique, ou en tout cas désigné comme tel, fut-il profondèment social. L’Amour c’est fait pour cela aussi - créer un lieu où l’on est seul par la magie du regard de l’Autre, débarassé des notions de concurrence, de coexistence, de rivalité, un lieu calme et tranquille où l’on se repose.

    L’Amour à inventer c’est encoe et toujours la Fraternité - et entre un homme et une femme elle ne peut qu’être incestueuse. Dommage pour ceux à qui cela pose problème.

    Ishtar

    • waouh c’est grand et tout plein de choses balaises tout ça !

      moi je ne sais rien de tout ça : j’y ai pas eu droit jusque là.

      mais quand je vous lis ainsi que le dénommé fatiguant pascal là, ben je trouve ça compliqué compliqué...

      alors je me dis que je sens bien que , comme pour tout ceux qui n’y ont pas droit tellement y sont nulls laids pauvres misérables cons, d’être aimé j’veux dire, bref j’m’dis qu’j’y connais forcément rien parce que je suis niais de chez niais...

      mais en même temps, j’m’méfie un peu : ça doit pas être très confortable tout ça à vivre, faut faire attention à plein de choses !

      alors que déjà sans ça faut surtout que je fasse attention à pas trop être gentil, ni gêner par un regard trop intéressé à qui que ce soit qui risquerait de se sentir insulté d’être "intéressant" pour une misérable merde... qu’à jamais été intéressant pour quelqu’un...

      bref : finalement, ma vie est assez compliquée comme ça à prendre la précaution nécessaire à ma survie en rasant les murs de l’orgueil des aimants qui ont le droit au monde dès qu’ils sont à deux...

      j’aime pas et je vais vivre comme ça jusque à la fin : et heureusement il ne me reste plus grand chose à attendre la fin de la fin.

      paul
      http://paulriluma.club.fr/paul-blog-2/index.php?2007/04/16/59-la-vie

    • La cruauté de l’amour

      Les 99 pour cent du mal parmi les hommes proviennent de ce faux sentiment qu’ils nomment l’amour. Tolstoï (de la vie 170)

      Chantez l’amour des mères, chantez l’amour rêvé, mais le mal, et toute la cruauté du monde, vient de l’amour aussi, il vient de nous, de notre désir jaloux et de notre indifférence, de l’amour de Dieu ou de la patrie, de tous les ressentiments qui transforment l’amour en haine et nous rendent si malheureux. C’est à cause de l’amour que "tout le monde est malheureux, tout le temps". Aimer ce n’est pas toujours vouloir du bien à l’autre, ce n’est pas souvent un amour désintéressé, amor beneficentiae (Amare est gaudere félicitate alterius, Leibniz). Il y a aussi la part de l’amour captatif, dominateur, possessif jusqu’à la dévoration, amor concupiscentiae. L’aimé est si important pour nous qu’il provoque de trop grandes peines et notre amour devient vite ambivalent, chargé de colère et de reproches. On ne peut séparer l’amour de la haine, ce que Lacan appelait l’hainamoration, encore moins de la souffrance et de l’angoisse.

      Plaisir d’amour ne dure qu’un instant, chagrin d’amour dure toute la vie...

      Pire encore, on peut dire qu’il y a une prédominance du chagrin d’amour sur l’amour partagé tout simplement parce que l’attente de l’amour malheureux n’a pas de raison de s’arrêter et fixe le désir tout comme l’interdit alors que Platon remarquait déjà qu’on ne peut continuer à désirer ce qu’on possède déjà. L’amour partagé fait à chaque fois l’épreuve de sa satisfaction, de la finitude et des fluctuations du désir, alors que l’amour perdu ne fait que ressasser toujours les mêmes souvenirs, dans un temps où il ne se passe rien. Perdre l’aimée, c’est perdre une seconde fois les meilleurs moments passés (ou imaginés), alors qu’ils étaient déjà perdus la plupart du temps. De plus, il y a peu de chance qu’un amour qui n’est pas réciproque le devienne car le désir de l’autre n’y trouve pas de résistance, ni attente ni véritable échange qui lui permette d’exister. Il faut garder un risque, une attente incertaine, un enjeu à gagner pour que l’amour reste réciproque. "L’amour est une interrogation continuelle. Oui, je ne connais pas de meilleure définition de l’amour", Kundera (le rire et l’oubli, p250). C’est pour cela qu’il y a presque toujours un des deux qui aime moins (celui qui est le plus aimé) car celui qui aime, et n’est pas assuré de l’amour de l’autre, reste obnubilé par la peur de perdre son amour, paré de toutes les merveilles d’un bonheur rêvé, alors que celui qui est aimé ne peut plus s’abandonner à ses rêves et ne peut éviter d’être agacé des défauts de l’autre, confronté à la déception de la triste réalité, jusqu’au mépris souvent, l’esprit occupé par tant d’autres amours possibles. On pense à ce qu’on perd, c’est pourquoi "en amour, il y en a toujours un qui souffre et l’autre qui s’ennuie" d’après Honoré de Balzac. Pas d’amour sans angoisse. L’amour doit rester actif et donc menacé. "Aimer est bien plus fort que d’être aimé" comme Aristote le disait déjà.

      On ne peut réduire l’amour à la tromperie ou la séduction. Il y a une vérité de l’amour même si elle n’est pas de l’ordre de l’exactitude, ni d’une charité universelle mais plutôt de l’authenticité du désir. Et cette vérité qui lui donne corps est ce qui le rend cruel lorsqu’il n’est pas réciproque. Même si l’amour se nourrit d’illusions et de tromperies, ce n’est pas du tout une pure fiction. Il y a un enjeu de vérité absolument primordial. L’amour doit être vrai, c’est pour cela qu’on ne peut le commander, il doit plutôt même contredire le commandement pour paraître sincère. L’amour réduit au devoir est la pire des hypocrisies et des soumissions ("La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut donc guère mieux qu’une infidélité" La Rochefoucauld, 381). C’est parce que l’amour doit être vrai et libre qu’il ne peut être ordonné ni garanti, événement à chaque fois improbable et renouvelé car l’amour donne lieu et corps, il est incarnation, moment d’éternité unique. L’amour ne peut jamais être un droit car il doit est libre et il s’adresse à une liberté qu’on ne peut ni acheter ni contraindre, mais c’est pour cela aussi qu’il est si cruel, d’une cruauté qu’on ne saurait tolérer ailleurs et qui peut aller jusqu’à mort d’homme, au nom d’une vérité supérieure, celle du sentiment ou du désir, de la liberté elle-même, liberté de choisir et de dire non. C’est peut-être le dernier domaine où chacun sait qu’on joue avec sa vie. Répétons-le, ne cherchez pas ailleurs l’origine du mal, de la haine, de l’injustice, de la domination (qui n’est pas toujours masculine mais celui qui domine, c’est celui qui aime le moins et c’est l’homme le plus souvent). Vérité et illusions, liberté et aliénation, amour et haine, joies et regrets sont complètement indissociables.

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    • ENTRE AMOUR ET AMITIE : UNE LIAISON DOUCE

      chrismondial blogg

      Si l’amitié est parfois suspecte dans le cadre du travail, l’amour est lui subversif.. La rencontre amoureuse c’est la peste ! Pour certains philosophes comme Eric Fromm se réclamant de Spinoza, le "tomber amoureux" (1) relève de la passivité non de l’activité . Les frontières et les normes n’existent que pour l’ordre moral et social pas pour les sentiments et plus encore les désirs qui eux sont mouvants. Les moeurs ont évolué contre la rigueur des institutions civiles comme la famille (1 bis ) et religieuses notamment envers la sexualité et cela a favorisé la montée des divorces mais aussi cette porosité des frontières entre amour et amitié. Pourtant passer de l’amour à l’amitié au moment de la rupture n’est pas évident tant dans le couple qu’en dehors. Le lot commun est plutôt fait de haines, d’indifférences, de rejets, donc d’empoisement sur la blessure de la rupture.

      I - D’AMOUR EN AMITIE

      Jacqueline KELEN (2) écrit ceci sur l’amitié : "L’amitié est faite pour durer : entre amis on n’a pas besoin de fêter l’anniversaire de la rencontre, on sait qu’on se verra encore dans cinq ans, dans vingt ans, qu’on "vieillira ensemble", ô merveille !" (p49) Si l’on rapproche ce propos (optimiste ?) sur l’amitié de ce que dit Robert MISRAHI de l’amour (3), on observe que les qualités essentielles de l’amour ne sont pas celles de l’amitié. La durée n’est pas la première qualité de l’amour amoureux. Dans l’amour, "l’autre est posé comme digne d’amour, affirmé comme valeur décisive". Ce qui peut inciter, jusqu’à un certain point, à l’inscrire dans la durèe malgré les aléas du désir charnel. Pour J Kelen, c’est l’amitié qui implique continuité et engagement, qui se nourrit de présence, de témoignages et d’échanges renouvelés, elle se nourrit de présence, de témoignages et d’échanges renouvelés. Sinon elle se nomme camaraderie, rencontre de vacances, relations opportuniste ou superficielle(p49).

      Chacun des auteurs se fait une haute idée l’un de l’amour, l’autre de l’amitié . Jacqueline KELEN et Robert MISRAHI n’ont pas la même définition de l’amour . Cela demanderait d’ailleurs approfondissement . En deux mots ici, J. Kelen pour valoriser l’amitié généralise abusivement certains défauts des amants et sous prétexte de réalisme n’évoque en somme que l’aventurier comme amant : "L’amant n’a pas pour rôle d’aider ni de consoler ; il ne vous aime ni triste, ni malade, ni laide, ni faiblarde". Certes, l’amant qui voit que l’autre, non malade, se complait dans la laideur partira (4). Mais bien des amants restent auprès de leur bien aimée quand le sort tourne mal pour elle. Le propos est bien sûr valable en sens inverse pour des amantes . Un sévère mal de dos peut survenir et perdurber la relation amoureuse mais justement permettre un basculement dans une préfiguration de l’amour-amitié.

      En attendant disons, que dans la "vraie vie" des éléments de l’un et de l’autre peuvent s’interpénètrer . On peut, alors que l’on vit en amoureux (4), et à partir du sentiment d’admiration et de grande valeur attribuée à l’autre vivement souhaiter vivre vieux en s’engageant donc à maintenir une forte affinité sentimentale avec son amour alors que, replacé dans le temps, l’amour amoureux peut s’effilocher et même connaitre la rupture. L’affinité sentimentale pourra continuer de se vivre soit "en couple" soit "hors du couple" selon les aléas de l’histoire de la rencontre amoureuse. L’affinité sentimentale perdurera que si elle maintenue par reconnaissance de la valeur de l’autre. La valeur de l’autre étant le point commun de l’amour et de l’amitié. Au passage je signale que c’est sur cette notion de valeur importante donnée à l’autre que je rapproche aussi Robert MISRAHI et Jacqueline KELEN malgré leur développements différents voire contradictoires. Je poursuis avec des considérations plus évidentes : Le divorce n’empêche nullement de vivre vieux en amitié. L’on sait aussi, et J. Kelen le développe nécessairement, que l’amitié peut se vivre dans un couple qui ne connait plus les joies de l’amour amoureux . On pense aux couples âgés qui ne souffrent plus de l’absence du désir chez l’autre.

      L’amitié dit JK implique continuité et engagement, Aimer quelqu’un sans l’aider, sans le consoler au besoin, n’est pas l’aimer dit-elle. L’indifférence réelle ou feinte ne relève donc pas de l’amitié. Le "restons amis" de celui qui se détache sent l’aumône lâché dans la fuite et s’apparente plus de l’indifférence blessante que de l’amitié .

      II - ENTRE AMOUR ET AMITIE : LA VOIE MEDIANE

      La séparation peut certes déboucher sur une stricte amitié mais aussi échapper aux vieux démons du dualisme amant ou ami, perdant ou gagnant, l’abandonné ou le fuyard pour choisir un entre-deux sans perdant que certains nomment "l’amitié amoureuse" ou quand la liaison amoureuse est plus rare "la liaison douce". L’amitié n’est plus alors la menue monnaie de l’amour.

      "L’histoire de la littérature française a conservé le témoignage d’une relation entre homme et femme aux frontières de l’amour et de l’amitié, celle du philosophe Diderot et de Louise-Henriette Vollant, surnommée Sophie. Lorsqu’ils se rencontre, en 1754, ils ont la quarantaine. Diderot est marié, père d’une fille, il est déjà célèbre. Pendant une vingtaine d’années, à un rythme irrégulier, il correspondra avec Sophie qu’il appelle "mon amie", "ma tendre amie", ma Sophie", "chère amie". Lui-même signe ses lettres "votre amant et votre ami Diderot" . Ils ne vivront pas ensemble, mais leur "liaison douce" - tel est l’expression de Diderot - est un échange complice, amusé, ironique et tendre, qui compte plus sur les affinités du coeur et de l’intelligence que sur les relations physiques, espacées, improbables. "Les sentiments de tendresse et d’amitié que vous m’avez inspirés font et feront à jamais la partie la plus douce de mon bonheur", écrit Diderot le 2 octobre 1761 à la femme aimée".

      Diderot mourra en 1784, quelques mois après Sophie Volland. Plus près de nous, on pense à Cocteau, qui s’éteint le même jour que sa grande amie Edith Piaf : une complicité, un pacte qui franchissent les barrières irrémédiables.

      Christian DELARUE

      1) voir essai personnel sur le "tomber amoureux" sur mon blog chrismondial
      http://www.blogg.org/blog-44839.html
      1 bis la famille couvre encore malgré cette évolution des moeurs des pratiques diverses de domination et d’oppression, dont le viol . Par ailleurs le maintien dans la famille de couples dont l’un refuse des liens sexuels explique aussi cette évolution à une époque moins austère .
      2) Aimer d’amitié. L’amour véritable commence avec l’amitié de Jacqueline KELEN - Robert LAFONT
      3) *Libres extraits de "Qui est l’autre ?" (de Robert MISRAHI) par Christian Delarue

      http://rennes-info.org/Libres-extraits-de-Qui-est-l-autre

      4) Sur un aspect de la valeur liée à la séduction cf *La "mère" et la "putain" Christian Delarue

      http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=29304

    • Heureux les détachés et les philosophes le royaume des cieux leur appartient.

      Amen.

    • LES COHABITANTS : AUCUNE PASSION, PEU D’ AMOUR

      Qu’est-ce qu’un couple de cohabitants ?

      Il est des couples, cohabitants ou non, qui s’aiment amoureusement plusieurs années durant. Ils entretiennent une vie amoureuse plus ou moins intense source de grand bonheur.

      Un couple simplement cohabitant partage un lieu d’habitation - partiellement ou totalement, comme couple marié ou comme couple compagnon – mais l’amour tendre a déserté le couple depuis longtemps, voire n’a quasiment jamais existé.

      Ces couples ont pu s’être engagés par intérêt du moins sans être réellement amoureux de l’autre. Autre raison : le maintien en couple se justifiera « pour les enfants » (parfois pour la maison). Le motif "enfants" est souvent « un alibi pour préserver une coexistence pseudo-conjugale arrangeant le quant-à-soi de chacun ».

      « Les couples qui s’éloignent sans se séparer, qui cohabitent sans coexister amoureusement… se sont souvent unis sous les signe de l’amour du semblable plutôt que sous le signe de l’amour de l’autre ».

      Si l’absence de sexualité dans le couple est un signe de couple simplement cohabitant la présence d’une sexualité ne suffit pas pour autant à dire qu’il y a plus que de la simple cohabitation.

      Tout cela ne signifie pas que le couple de cohabitants ne connaît pas le bonheur, mais il s‘agira alors plus d’un bonheur de contentement que d’un bonheur sublime qui illumine la vie du couple aimant. De plus le couple de cohabitants risque fort de connaître des jalousies ou des infidélités. Car dans la vie un d’un tel couple les périodes moroses ne sont pas rares et génèrent une aspiration à « autre chose » qui forme une disponibilité à la rencontre amoureuse.

      Lak

    • Special dedicase a Ishtar

      Ce qui commence est déjà, et pourtant tout aussi bien il n’est pas encore. Être et non-être sont donc en lui en union immédiate ; ou le commencement est leur unité indifférenciée.

      L’analyse du commencement donnerait ainsi le concept de l’unité de l’être et du non-être - ou dans une forme plus réfléchie, l’unité de l’identité et de la non-identité. Ce concept pourrait être regardé comme la première, la plus pure définition de l’absolu.

      Hegel, Logique I, p46.

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    • Dans la grisaille du présent, nous attendons un jour nouveau, une vie nouvelle, un printemps nouveau, une rédemption, un rachat, une revanche, une révolte.

      C’est dans ces moments, enfin, que surgit un "nous" collectif nouveau, composé uniquement de deux personnes unies par l’amour.

      L’amour est donc plus fréquent à l’aube des grands mouvements, souvent il les précède.

      Qui alors répand l’idée selon laquelle l’amour serait un mouvement égoïste et fermé ? L’institution politique, idéologique ou religieuse qui prétend exercer un contrôle total sur les individus.

      L’amour est une révolution : plus l’ordre des choses est complexe, articulé et riche, plus terrible en est le bouleversement, plus difficile, dangereux et risqué le processus.

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