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La Ville-sans-nom

Publie le dimanche 30 décembre 2007 par Open-Publishing

En amont de la publication de ce livre une commande faite par Euroméditerranée (établissement public chargé de la réhabilitation des quartiers portuaires de Marseille) à un photographe reconnu, Antoine d’Agata. On demanda à l’artiste de mettre en images la rénovation « en évitant tout regard nostalgique ».

Refusant de servir de caution à un projet de destruction des quartiers populaires, le D’Agata fit des montages de silhouettes d’adolescents sur des images de destruction avec la mention : « Qu’allez-vous faire de nous ? ». En parallèle à ce travail il collecta avec Bruno Le Dantec des citations de puissants alléchés par le projet Euroméditerranée.

L’ensemble photos et citations donna lieu à une exposition, « Psychogéographie », que Renaud Muselier (président d’Euroméd et saigneur local de l’UMP) qualifia de « travail volé ».

La Ville-sans-nom rassemble les citations de cette collaboration. Elles mettent en évidence une constante : de Louis XIV à la mairie actuelle de Jean-Claude Gaudin les puissants n’ont eu de cesse de vomir leur bile sur Marseille jugée tour à tour trop populeuse, crasseuse, bordélique, paresseuse et envahie d’étrangers. Un brouhaha étouffant de voix de politiciens, journalistes, urbanistes, hommes d’affaires, écrivains stigmatisant le petit peuple et les étrangers (des Italiens de la fin du XIXe siècle aux Arabes de la fin du XXe), exhortant à balayer la canaille. Un avant-goût du « kärcher » de l’actuel président, qui rappelons-le a de fervents supporters à la mairie marseillaise.

Ces rêves d’utopistes bouffeurs de pauvres et d’étrangers prennent forme depuis 2002 avec le projet Euroméditerrannée qui orchestre la « gentryfication » du centre-ville, autrement dit le vidage progressif (façon poulet vidé de ses viscères) de ce que le centre peut compter de pauvres, de basanés, de qui-parlent-fort pour en faire un paradis pour cadres moyens et supérieurs, un terrain de jeux pour businessmen et touristes fortunés. Etrangement, comme le souligne Le Dantec concernant Marseille, « presque tout ce qui lui était auparavant reproché s’(est) maintenant transformé en argument de vente ».

Quelques grosses entreprises se partagent la galette : parmi elles Eiffage (pour les horodateurs et la transformation du « Grand Hôtel » de Noailles en commissariat), Kaufman & Broad, Connex (Véolia – pour une partie des parts du tramway, de la SNCM et les navettes fluviales locales), Lone Star (fonds de pension américain – notamment pour la rue de la République) et Eurazéo.

Sous les applaudissements unanimes de la majorité municipale et de la presse de la finance.

Selon l’auteur, Marseille serait la dernière grande ville d’Europe dont le centre-ville est encore populaire. De l’inauguration du Centre-Bourse en 1977, supposé contrer l’influence du marché arabe, à la construction de la grande bibliothèque Alcazar, sensée effrayer les pauvres autochtones d’origine immigrée, en passant par les travaux de rénovation interminables du centre et les luttes de ses habitants, Le Dantec commente les différentes étapes de cette « reconquête » de la ville par la bourgeoisie.

A lire pour mieux comprendre ce qui se joue à Marseille. :

Bruno Le Dantec,
La Ville-sans-nom : Marseille dans la bouche de ceux qui l’assassinent,
Marseille : Le Chien rouge, 2007 – 105 p.

http://utopitre.over-blog.fr/article-15052531.html