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Dans la démocratie de la base du Likoud

Publie le samedi 17 avril 2004 par Open-Publishing

Par Amira Hass

Si George Bush et Hosni Moubarak « accueillent favorablement » le retrait israélien - autrement dit, le retrait de toutes les colonies - de la Bande de Gaza, à plus forte raison les habitants de Sayaffeh et d’al-Mawassi sur les terres desquels ont été fondées et ont prospéré des colonies dans le nord de la Bande et du Goush Qatif. Ces trois dernières années et demie, la guerre pour la paix des colons et pour leurs privilèges a fait des cultivateurs de Sayaffeh et d’al-Mawassi des prisonniers dans leurs propres maisons, les réduisant à l’assistance extérieure et détruisant leurs terres cultivées. Maintenant, la démocratie israélienne autorise quelque 200.000 personnes appartenant à la base du Likoud à décider si les habitants du nord et du centre de la Bande de Gaza resteront prisonniers sans jugement, ou non. S’ils continueront à dépendre d’une assistance en dépit de la fertilité de leurs terres ou s’ils pourront réaliser leur volonté et leur capacité d’entretenir leurs familles.

Cela fait trois ans qu’il leur faut des autorisations et des arrangements spéciaux pour sortir de chez eux ou y entrer, que la porte de la clôture qui les enferme est ouverte à des heures limitées - et parfois pas du tout - et que le passage à pied n’en est autorisé qu’à certains groupes d’âges. Chaque tomate, chaque goyave qui sort, chaque tournevis, chaque aspirine qui entre, nécessite une autorisation israélienne, avec examen et attente. Les proches ne peuvent pas venir en visite, sauf occasions exceptionnelles. Les ouvriers palestiniens travaillant aux infrastructures, les médecins, les enseignants etc. sont autorisés à entrer après d’épuisantes négociations entre un représentant palestinien et un officier de liaison de l’Administration israélienne de Coordination et de Liaison. Lorsqu’un système semblable a été introduit, plus tard, dans les enclaves créées par la clôture en Cisjordanie, la chose a au moins provoqué une sorte de bourrasque en Israël, qui s’est reflétée dans une attention des médias, dans le déplacement ici ou là de la clôture et dans des promesses (non encore tenues) de la déplacer encore en d’autres endroits.

Le sort des quelques dizaines d’habitants de Sayaffeh et des quelques milliers d’habitants d’al-Mawassi est un exemple du sort du million et demi d’habitants de toute la Bande de Gaza : otages de quelques milliers de colons et de leurs privilèges - eau, terre en abondance, liberté de mouvement, accès à la plage, possibilité d’expansion. Et le sort des habitants de la Bande de Gaza est exemplatif du sort de tous les Palestiniens : prisonniers de l’entreprise de colonisation israélienne.

Si effectivement la base du Likoud vote en faveur du retour à la maison, en Israël, des colons de la Bande de Gaza, même les plus soupçonneux quant aux intentions secrètes d’Ariel Sharon ne cacheront pas leur joie. Les enfants de Deir al-Balah, de Khan Younis et de Rafah retourneront jouer sur la plage, le seul espace non bâti, le seul endroit de détente et de calme qui leur soit accessible - mais qui leur a été fermé depuis quatre ans environ. Les cultivateurs de Beit Lahiya, Asban, Sheikh Ajlin et Khan Younis s’empresseront de semer, de planter sur des terres que les bulldozers ont ravagées, où les bulldozers ont arraché les arbres et détruit les serres. Les projets de développement sortiront de la naphtaline : écoles ou cliniques qu’il n’était pas possible de bâtir parce que les seules terres libres ont été saisies par les colons, station d’épuration des eaux usées qu’il n’était pas possible d’étendre ou de moderniser pour la même raison. Étudiants, enseignants, équipes médicales, chauffeurs de camions ne se retrouveront plus plantés pendant des heures, chaque jour, sur la route entre Rafah et Gaza parce que des soldats, dont la tâche est de protéger les colons, ferment le carrefour du Goush Qatif au passage des Palestiniens.

Conjecture nullement saugrenue : la base du Likoud, dans le processus démocratique interne à leur parti, ne se verra pas demander s’il est démocratique que 7.000 personnes dictent leur vie à un million et demi de personnes. De ce point de vue, le référendum attendu constitue un résumé de l’histoire de la démocratie israélienne depuis 1967. Une démocratie dont les citoyens ont fixé et fixent par leurs votes comment se déroulera la vie d’environ trois millions sept cent mille autres êtres humains qui ne participent pas à cette démocratie et qui n’ont dès lors pas le droit de voter ni de décider comment se déroulera leur vie. C’est une démocratie qui a imposé et impose à sa jeunesse d’obéir à ses décisions démocratiques et de servir dans une armée qui est chargée d’appliquer les décisions des citoyens de l’État d’annexer, de fait, la majeure partie des terres palestiniennes libres. Une démocratie qui a appris à considérer comme une évidence la manière dont, sur le même bout de terre, entre mer et fleuve, sous l’autorité effective d’un même gouvernement - le gouvernement israélien -, s’est développé un système de deux appareils de lois inégalitaires et de droits inégaux : le premier, pour les citoyens qui votent et décident, et le deuxième, pour les habitants qui ne votent pas et dont le sort est fixé par ceux qui ont le droit de voter. Comme les membres de la base du Likoud.

Sharon essaiera de convaincre les membres de son parti que le désengagement de Gaza est la bonne voie pour conserver la plus grosse partie des colonies de Cisjordanie. Il essaiera de convaincre Bush que les enclaves palestiniennes qui seront créées par le maintien des blocs de colonies, pourront être appelées un État. Et aux oreilles du monde entier, Israël continuera à expliquer que ce processus - dans lequel ses propres citoyens décident de l’espace de vie qui reviendra aux Palestiniens et en combien d’enclaves cet espace sera fragmenté - est un processus démocratique. Le seul du Proche-Orient.

Traduit de l’hébreu par Michel Ghys
http://www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=415086

En anglais : The democracy of the Likud rank and file
http://www.haaretz.com/hasen/spages/415018.html