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Israel et ses amis

Publie le jeudi 3 avril 2008 par Open-Publishing

Avec des amis comme ceux-là...

Gidéon Lévy

La débauche de soutien manifestée pour Israël ces jours-ci est presque embarrassante.

Nous n’avions pas vu depuis un moment un tel défilé d’invités étrangers de haut rang et d’aussi chaleureuses réceptions pour les hommes d’état israéliens à l’étranger.

Qui n’est pas venu nous visiter récemment ? De la chancelière allemand jusqu’au principal concurrent pour la présidence américaine ? Et le secrétaire général des Nations Unies est en route. Une visite en Israël est devenue obligatoire pour les politiciens étrangers. Si vous n’êtes pas passé par ici, alors vous n’existez pas.

Les visiteurs sont naturellement de corvée de mémorial Yad Vashem sur l’holocauste, de mur ouest [mur des lamentations] et maintenant aussi de Sderot, le nouvel lieu national de pèlerinage. Les uns s’imposent également une visite rapide à Ramallah mais personne ne va dans la bande de Gaza, et tous ces visiteurs ne se lassent pas de louer Israël. Pas un mot de critique sur l’occupation, sur les opérations violentes israéliennes dans les territoires, sur le fait d’assiéger et affamer [Gaza] — à l’exception de quelques vagues remarques sur le besoin d’une solution. Israël presse au maximum le « citron médiatique » de Sderot.

Le mélange de Sderot et d’holocauste, l’islamophobie internationale et le contrôle du Hamas sur Gaza font le reste. La politique étrangère d’Israël n’a pas connu ce type de succès depuis les jours des accords d’Oslo. À en juger par les déclarations de nos invités et de nos hôtes à l’étranger, aucun autre état dans le monde n’est plus aimé que nous. Un état qui impose un siège qui est presque sans précédent dans le monde par sa cruauté, qui adopte une politique officielle d’assassinats est choyé par la famille des nations, si nous devons nous en croire les propos tenus par de nombreux hommes d’état qui franchissent notre seuil.

Il est naturellement plaisant de se délecter de cette vague de soutien, mais il s’agit d’une illusion. L’opinion publique dans la plupart des pays dont les dirigeants nous prodiguent tous ces éloges ne sont pas du même avis. Israël reste un état sans soutien, parfois même banni et méprisé. Le monde voit les images de Gaza à la télévision — en comparaison Sderot ressemble à un lieu de villégiature — et il en tire ses propres conclusions.

Le sens normal de la justice qui pousse à soutenir la lutte des peuples opprimés pour leur liberté, telle que celle des Tibétains, impose un soutien naturel à la lutte des Palestiniens pour leur libération.

Le fait que c’est une lutte entre un David palestinien et un Goliath israélien ne fait que s’ajouter à l’histoire. Excepté les États-Unis, le monde est en effet contre nous, et indépendamment de ses hommes d’état. Ne nous faisons donc pas d’illusion : cette abondance de soutien officiel ne recouvre rien de réel.

Pas plus réelle est l’idée que ce soutien aveugle et sans conditions serait de l’amitié. Le soutien à Israël comme projet justifié, partagé par la majeure partie de l’occident ne signifie pas que tous ses caprices soient acceptés. Un véritable ami d’Israël, qui serait sincèrement soucieux de son destin, doit oser exprimer une critique même acerbe de sa politique d’occupation qui représente le risque le plus sérieux pour son futur, et doit oser prendre également des mesures pratiques pour que cela cesse. La plupart des hommes d’état « amicaux » ne comprennent rien à cela.

L’attitude des chefs d’état européens est particulièrement confondante. Nous ne parlons pas des États-Unis avec ses lobby juifs et chrétiens, mais de l’Europe plutôt dogmatique ; elle aussi a perdu sa capacité d’agir en tant que courtier honnête, du genre de celui qui joue de son influence pour mettre fin à un conflit qui le met lui-même en danger. Nous avons besoin de l’Europe, la paix a besoin de l’Europe, mais l’Europe officielle se cache les yeux et s’aligne sur les États-Unis par son soutien aveugle à l’égard d’Israël et par son boycott de la bande de Gaza.

Angela Merkel, qui a reçu une réception si royale ici la semaine dernière, n’a évoqué aucune question controversée dans son discours à la Knesset. Et son discours si « historique » s’est transformé en simple baudruche.

Le même comportement a été affiché par son collègue le président français Nicolas Sarkozy lors de la visite en France de Shimon Peres. Les drapeaux d’israéliens ondulant le long des Champs-Élysées et tout le plat fait sur Israël au salon du livre à Paris ne pouvaient pas cacher le fait que beaucoup de Français sont révoltés par l’occupation. En ne parlant pas du blocus de Gaza, de la famine qui y est imposée et du massacre de centaines de ses habitants, les dirigeants européens ne remplissent pas leurs engagements politiques et moraux.

Ceux qui croient que seule une intervention internationale honnête peut mettre fin à l’occupation se sentent désespérés et déçus. Oui, l’Europe, justement ce continent qui ressent un sentiment justifié de culpabilité au sujet de l’holocauste juif, devrait trouver une autre façon de venir en aide à Israël. Les visites mielleuses et les discours édulcorés expriment en fait un profond manque de respect pour Israël comme pour l’opinion publique européenne.

Cette amitié aveugle permet à l’état israélien de faire ce qu’il veut. Les jours n’existent plus où chaque installation de caravane dans les territoires [nouveaux points de colonisation - N.d.T] et chaque assassinat ciblé étaient mis en oeuvre avec la crainte d’un réprobation au niveau international. Ce temps est révolu. Israël a aujourd’hui carte blanche pour tuer, détruire et occuper. Les États-Unis ont il y a bien longtemps abandonné le rôle du courtier honnête et l’Europe lui emboîte maintenant le pas.

Comme c’est déprimant : avec de tels amis, Israël n’a pour ainsi dire pas besoin d’ennemis.

Gidéon Lévy
Haaretz - Le 23 mars 2008
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach
Source : info-palestine.net