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"Death to the Arabs !" : "Mort aux Arabes !"...

Publie le samedi 5 avril 2008 par Open-Publishing
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de Uri Avnery

DEMAIN, ce sera le 32e anniversaire du premier "Jour de la Terre", un des événements qui jalonnent l’histoire d’Israël.

Je me souviens bien de ce jour. J’étais à l’aéroport Ben Gourion, au départ pour une rencontre secrète à Londres avec Saïd Hamami, émissaire de Yasser Arafat, quand quelqu’un m’a dit : "Ils ont tué beaucoup de manifestants arabes !"

Cela n’était pas totalement inattendu. Quelques jours auparavant, nous – les membres du tout nouveau Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne – avions remis au Premier ministre, Yitzhak Rabin, un mémorandum urgent l’avertissant que l’intention du gouvernement d’exproprier d’énormes parcelles de terres de villages arabes provoquerait une explosion. Nous y avions joint une proposition de solution alternative, élaborée par Lova Eliav, un vétéran expert des colonies.

Quand je suis revenu de l’étranger, le poète Yevi suggéra que nous fassions un geste symbolique de chagrin et de regret pour les morts. Trois d’entre nous, Yevi lui-même, le peintre Dan Kedar et moi sommes allés déposer des couronnes sur la tombe des victimes. Ceci déclencha une vague de haine contre nous. J’ai senti qu’il s’était passé quelque chose d’une grande portée, que les relations entre Juifs et Arabes à l’intérieur de l’État avaient fondamentalement changé.

Et en effet, l’impact du Jour de la Terre – comme l’événement fut appelé – fut encore plus fort que le massacre de Kafr Kassem de 1956 ou les tueries des événements d’octobre 2000.

LES RAISONS en remontent au tout premier jour de l’État.

Après la guerre de 1948, seule une communauté arabe petite, faible et apeurée pu rester à l’intérieur de l’État. Non seulement environ 750.000 Arabes avaient été déracinés du territoire qui était devenu l’État d’Israël, mais ceux qui restaient n’avaient pas de dirigeants. Les élites politiques, intellectuelles et économiques avaient disparu, la plupart d’entre elles dès le début de la guerre. Le vide fut d’une certaine façon comblé par le Parti communiste, dont les dirigeants avaient été autorisés à rentrer de l’étranger – principalement pour plaire à Staline qui, à l’époque, soutenait Israël.

Après un débat interne, les dirigeants du nouvel État décidèrent d’accorder aux Arabes de l’"État juif" la citoyenneté et le droit de vote. Cela n’allait pas de soi. Mais le gouvernement voulait apparaître aux yeux du monde comme un État démocratique. De mon point de vue, la raison principale était de politique partisane : David Ben Gourion croyait qu’il pourrait amener les Arabes à voter pour son propre parti.

Et en effet, la grande majorité des citoyens arabes votèrent pour le parti travailliste (qui s’appelait alors Mapai) et ses deux partis arabes satellites qui avaient été créés dans le même but. Ils n’avaient pas le choix : ils vivaient dans un état de peur, sous l’étroite surveillance des services de sécurité (alors appelés Shin Bet). On disait à chacune hamulah (famille étendue) arabe exactement comment voter, soit pour le Mapai, soit pour l’un des deux autres partis subsidiaires. Étant donné que chaque liste électorale avait deux piles de bulletins de vote, une en hébreu, une en arabe, il y avait six possibilités pour les fidèles arabes dans chaque bureau de vote, et il était facile pour le Shin Bet de faire en sorte que chaque Hamula vote exactement comme on lui avait dit. Plus d’une fois Ben Gourion n’a atteint la majorité à la Knesset que grâce à ces votes captifs.

Au nom de la "sécurité" (dans les deux sens) les Arabes furent soumis à un "gouvernement militaire". Chaque détail de leur vie en dépendait. Ils avaient besoin d’un permis pour quitter leur village et aller à la ville ou au village voisin. Sans la permission du gouvernement militaire, ils ne pouvaient pas acheter un tracteur, envoyer une fille au collège, obtenir un travail pour un fils, obtenir une licence d’importation. Sous l’autorité du gouvernement militaire et d’un ensemble de lois, d’énormes portions de terres furent expropriées pour des villes juives et des kibboutz.

Une histoire gravée dans ma mémoire : mon regretté ami, le poète Rashed Hussein du village Musmus, fut convoqué par le gouverneur militaire de Netanya, qui lui dit : Le Jour de l’Indépendance approche et je veux que vous écriviez un poème pour l’occasion. Rashed, fier jeune homme, refusa. Quand il vint chez lui, il trouva toute sa famille assise sur le sol et en larmes. D’abord, il pensa que quelqu’un était mort, mais ensuite, sa mère cria : "Tu nous as détruits ! Nous sommes finis !" Alors le poème fut écrit.

Chaque initiative politique arabe indépendante fut étranglée à sa naissance. Le premier groupe indépendant – le groupe nationaliste al-Ard ("la terre") – fut purement et simplement supprimé. Il fut déclaré illégal, ses dirigeants furent exilés, son journal interdit – tout cela avec la bénédiction de la Cour suprême. Seul le parti communiste fut autorisé à rester, mais ses dirigeants furent aussi persécutés de temps à autre.

Le gouvernement militaire ne fut démantelé qu’en 1966, après le départ du pouvoir de Ben Gourion et peu de temps après mon élection à la Knesset. Après avoir manifesté contre lui si souvent, j’eus le plaisir de voter pour son abolition. Mais en pratique, très peu a changé – au lieu du gouvernement militaire officiel, un gouvernement militaire non officiel est resté, comme l’essentiel de la discrimination.

’LE JOUR DE LA TERRE" a changé la situation. Une seconde génération d’Arabes avait grandi en Israël, plus aussi timidement soumise, une génération qui n’avait pas connu les expulsions de masse et dont la situation économique s’était améliorée. L’ordre donné aux soldats et aux policiers de tirer sur eux provoqua un choc. Ainsi un nouveau chapitre a commencé.

Le pourcentage de citoyens arabes dans l’État n’a pas changé : des premiers jours de l’État à aujourd’hui, il tourne autour de 20%. Le taux plus élevé de croissance naturelle de la communauté musulmane était compensé par l’immigration juive. Mais les nombres absolus ont cru de façon significative : de 200.000 au début de l’État à près d’1,3 million – deux fois la taille de la communauté juive qui avait fondé l’État.

Le Jour de la Terre changea aussi spectaculairement l’attitude du monde arabe et des Palestiniens à l’égard des Arabes d’Israël. Jusqu’alors ils étaient considérés comme des traîtres, des collaborateurs de l’"entité sioniste". Je me rappelle une scène en 1965 d’une rencontre organisée à Florence par le légendaire maire Giorgio La Pira, qui essayait de réunir ensemble des personnalités d’Israël et du monde arabe. A l’époque ce fut considéré comme une entreprise courageuse.

Durant une des pauses, j’étais en train de bavarder avec un diplomate égyptien de haut rang sur une place ensoleillée à l’extérieur du lieu de la conférence, quand deux jeunes Arabes d’Israël, qui avaient entendu parlé de la conférence, s’approchèrent de nous. Après nos accolades, je les ai présentés à l’Égyptien, mais celui-ci leur tourna le dos et s’exclama : "Je suis prêt à parler avec vous, mais pas avec ces traitres !"

Les événements sanglants de la Journée de la Terre ramenèrent les "Arabes d’Israël" dans le sein de la nation arabe et du peuple palestinien, qui aujourd’hui les appellent "les Arabes de 1948".

En octobre 2000, des policiers ont encore tiré et tué des citoyens arabes, quand ceux-ci ont essayé d’exprimer leur solidarité avec les Arabes tués l’Esplanade des Mosquées (Mont du Temple) à Jérusalem. Mais entretemps, une troisième génération d’Arabes avaient grandi en Israël, nombre d’entre eux, en dépit de tous les obstacles, avaient fait des études supérieures et étaient devenus hommes d’affaires, hommes politiques, professeurs, avocats, et médecins. Il est impossible d’ignorer cette communauté – même si l’État essaie de tout faire pour cela.

De temps en temps, on entend des réclamations à propos de la discrimination, mais tout le monde se dérobe devant la question fondamentale : quel est le statut de la minorité arabe qui a grandi dans l’État qui se définit lui-même officiellement comme "juif et démocratique" ?

UN DIRIGEANT de la communauté arabe, le regretté membre de la Knesset Abd-el-Aziz Zuabi, a ainsi exprimé ce dilemme : "Mon État est en guerre avec mon peuple". Les citoyens arabes appartiennent à la fois à l’État d’Israël et au peuple palestinien.

Leur appartenance au peuple palestinien va de soi. Les citoyens arabes d’Israël, qui depuis quelque temps ont tendance à s’appeler "Palestiniens d’Israël", ne sont qu’une part du peuple palestinien dispersé, qui comprend de nombreuses branches : les habitants des territoires occupés (aujourd’hui eux-mêmes séparés entre la Cisjordanie et la bande de Gaza), les Arabes de Jérusalem-Est (officiellement "résidents" mais pas "citoyens" d’Israël), et les réfugiés vivant dans de nombreux pays différents, chacun sous un régime particulier. Toutes ces branches ont un fort sentiment d’appartenance commune, mais la conscience de chacune est formée par sa situation particulière.

Quelle est la force de la composante palestinienne dans la conscience des citoyens arabes d’Israël ? Les Palestiniens des territoires occupés se plaignent souvent qu’elle s’exprime principalement en mots, mais pas en actions. Le soutien apporté par les citoyens arabes d’Israël à la lutte de libération est surtout symbolique. Ici et là un citoyen est arrêté pour avoir aidé un kamikaze, mais ce sont de rares exceptions.

Quand l’extrémiste anti Arabe Avigdor Lieberman proposa qu’un groupe de villages arabes d’Israël proches de la Ligne verte (appelés ’"Le Triangle") reviennent au futur État palestinien en échange des blocs de colonies juives en Cisjordanie, pas une seule voix arabe ne s’est élevée pour le soutenir. Cela est un fait très significatif.

La communauté arabe est beaucoup plus attachée à Israël qu’il ne semble à première vue. Les Arabes jouent un rôle important dans l’économie israélienne, ils travaillent dans l’État, paient les impôts à l’État. Ils bénéficient de la sécurité sociale – c’est normal puisqu’ils paient pour cela. Leur niveau de vie est beaucoup plus élevé que celui des frères palestiniens des territoires occupés et d’ailleurs. Ils prennent part à la démocratie israélienne et ne désirent pas vivre dans des régimes comme ceux d’Égypte et de Jordanie. Ils ont de nombreuses raisons de se plaindre – mais ils vivent en Israël et continueront de le faire.

CES DERNIÈRES ANNÉES, des intellectuels de la troisième génération arabe d’Israël ont publié plusieurs propositions pour la normalisation des relations entre la majorité et la minorité.

Il existe, en principe, une alternative principale :

Première solution : Israël est un État juif, mais un autre peuple y vit aussi. Si les Israéliens juifs ont défini des droits nationaux, les Israéliens arabes doivent aussi définir des droits nationaux. Par exemple dans les domaines de l’éducation, de l’autonomie culturelle et religieuse (comme le jeune Vladimir Jabotinsky l’a demandé il y a une centaine d’années pour les Juifs de la Russie tsariste). Ils doivent être autorisés à avoir des relations libres et ouvertes avec le monde arabe et le peuple palestinien, comme les relations entre les citoyens juifs avec les Juifs de la Diaspora. Tout ceci doit être inscrit dans la future constitution de l’État.

Deuxième solution : Israël appartient à tous ses citoyens, et seulement à eux. Tout citoyen est israélien, tout comme tout citoyen des États-Unis est citoyen américain. Dès lors que l’État est concerné, il n’y a pas de différence entre un citoyen et un autre, qu’il soit juif, musulman ou chrétien, Arabe ou Russe, tout comme, du point de vue de l’État américain, il n’y a pas de différence entre les citoyens blancs, bruns ou noirs, qu’ils soient d’origine européenne, africaine ou asiatique, protestants, catholiques, juifs ou musulmans. Dans le langage israélien, cela s’appelle "un État de tous ses citoyens".

Il va sans dire que je préfère la seconde solution, mais je suis prêt à accepter la première. Chacune des deux est préférable à la situation existante, où l’État prétend qu’il n’y a pas de problème à part quelques traces de discrimination qui subsistent (sans faire quoi que ce soit contre cela).

Si on n’a pas le courage de soigner une blessure, celle-ci s’infecte. Dans les matchs de football, la racaille crie "Mort-aux-Arabes !" et les députés d’extrême droite de la Knesset menacent d’expulser les membres arabes de leur Institution, et aussi de l’État.

Au trente-deuxième anniversaire de la Journée de la Terre, alors que le soixantième anniversaire du Jour de l’Indépendance est proche, il est temps de prendre le taureau par les cornes.

Article en anglais, "Death to the Arabs !", Gush Shalom, 29 mars 2008

Traduit de l’anglais pour l’AFPS : RM/SW. Révisé par Mondialisation

Messages

  • quel est le statut de la minorité arabe qui a grandi dans l’État qui se définit lui-même officiellement comme "juif et démocratique" ?

    "Juif et démocratique", "catholique et démocratique", "musulman et démocratique" ! On voit bien que le noeud du problème est là, on ne peut pas être les deux à la fois, sous peine d’exclure les autres ! Un état démocratique n’exclut personne. La laïcité non plus. Dans ce cas-là, il y a plus d’avantages à ouvrir large, pour que tout le monde y trouve sa place.