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Souvenez-vous de la dernière crise

Publie le lundi 13 octobre 2008 par Open-Publishing
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Beaucoup plus pertinent que la plupart des « fast thinkers », qui dramatisent la crise actuelle après avoir été incapables de l’anticiper, Frédéric Lordon nous explique que cette crise est un copier-coller de la précédente, celle de l’explosion de la bulle du Net en 2000-2002.

L’histoire repasse les plats

Dans l’extrait de son livre , ce chercheur au CNRS revient sur l’explosion de la bulle du Net et de ses entreprises que l’on baptise « dotcoms ».

« (…) Les crises dotcom 2000-2002 et subprimes 2007-2008 avaient normalement tout pour figurer deux épisodes sans rapport aucun. Que peut-il y avoir de commun entre une crise de valorisation d’une certaine catégorie d’actions, donc liée à des anticipations de profits d’entreprise, et une crise d’évaluation des risques portant sur des produits dérivés de crédit ? Rien, semble-t-il a priori. C’est bien pourquoi leur parallélisme formel n’en est que plus frappant – et plus révélateur d’une profonde unité. Le miracle du « nouveau paradigme ». Dotcom et subprimes, l’une comme l’autre, sont l’illustration de ce fantasme permanent de la finance à la recherche du miracle qui permettra de gagner plus en risquant moins. Comme si elle ne parvenait pas à prendre son parti de l’idée, qui lui est pourtant consubstantielle, que le gain financier ne va pas sans risque – et même que le gain financier est la rémunération du risque, par conséquent que rentabilité et risque sont voués à croître de concert –, la finance ressuscite à intervalles réguliers le rêve de vaincre sa pesanteur à elle : gagner plus à risque constant, ou risquer moins à rentabilité égale. Le miracle, qui réclame sa dose de croyance, ne va pas sans son appareil de prophéties, et celles-ci se ramènent à une seule : « le monde a changé ». « Innovation » est le nom présentable de la chimère. Quand elle est inspirée, la finance a même ses fulgurances ; alors elle dit : « changement de paradigme ». »

L’histoire dégrise les présompteux

Et l’auteur de revenir sur l’Illusion lyrique qui a précédé la crise de la bulle du Net en 2000 et celle du crédit et des banques que nous vivons.

« Des start-up, lancées par quelques étudiants autour de trois tables Ikea, valent des millions, parfois des milliards : en effet, il faut au moins un « nouveau paradigme » pour rendre possible ce genre d’événement aberrant… « Les gens croyaient vraiment que le monde était différent », dit Larry Fink, du fonds BlackRock. Mais ces propos datent de 2008 et ils parlent de la titrisation.

Ainsi, la croyance dotcom et la croyance subprimes se seront données exactement les mêmes mots. Comme les uns avaient cru repousser les frontières du profit entrepreneurial, les autres ont cru à la solution définitive du risque de crédit – et le discours du dégrisement est le même ».

L’histoire ne fait pas la vaisselle

Et notre chercheur de pointer certains responsables de l’emballement général, les grandes agences de « rating » qui notent les risques du marché. Or ces gardes fous n’ont pas fonctionné, pas plus en 2000 qu’en 2008.

« Dans les deux cas, c’est peu dire que les agences de notation ont encouragé l’ébriété générale. De même qu’elles avaient validé les valorisations boursières délirantes des start-up, elles ont certifié la parfaite sûreté des produits de la titrisation – ne faisant rien d’autre que rejoindre le grand courant de la croyance, là où elles étaient supposées garder la tête froide. Il fallait que des institutions supposées extérieures à la frénésie du marché apportent leur jugement et leur autorité pour consolider la croyance : les agences s’en sont chargées, et elles figureront en bonne place parmi les contributeurs aux fausses prophéties du « nouveau paradigme », dotcom et subprimes aussi bien.

À qui voudrait persister à tenir ces deux crises pour totalement hétérogènes, la similarité des termes dans lesquels sont mises en cause les agences de notation à cinq ans d’intervalle devrait donc suggérer quelques petites « connexions »… pour ne rien dire de la profonde incapacité de la communauté financière à l’apprentissage dont elle témoigne. La prolifération des « hors-bilans ». Mais que dire alors du bégaiement des protestations faussement scandalisées – elles sont tenues par ceux qui ont été les plus fervents partisans du jeu… avant qu’il ne se retourne – s’indignant de la prolifération des structures juridico-financières opaques et hors de tout contrôle ? On dénonce les bien nommés SPV, Special Purpose Vehicles (Véhicules à finalité spéciale), où Enron avait abrité ses activités les plus douteuses jusqu’en 2001. Mais ce sont les mêmes coquilles offshore qui ont été les supports de la titrisation massive des crédits subprimes jusqu’en 2007.

À six ans de distance, la dénonciation des structures dites hors-bilan est resservie à l’identique. Et, d’une crise à l’autre, ce sont les mêmes mots qui nourrissent les mêmes exhortations impuissantes – et trop contentes de l’être. Les appels à la vertu ».

L’histoire, écrite par les vainqueurs

« Enfin, le comble du ridicule et de l’écholalie est atteint au moment où les « moralisateurs » font leur grandiloquente entrée en scène. Ce sont la vertu et l’éthique, expliquent-ils, qui ont manqué. On dénonce les inconduites et les crapules, on en appelle avec emphase à « l’esprit du capitalisme ». Ici Kenneth Lay (le PDG d’Enron), là Jérôme Kerviel, deux paratonnerres idéaux sur lesquels précipiter la vindicte et organiser la diversion. Car évidemment tant qu’on parle des « fraudeurs » on ne parle pas d’autre chose – en particulier pas de la logique générale du système qui a vu les plus grosses pertes réalisées en toute conformité avec les pratiques habituelles légales. Aux noms propres près, les discours « éthiques » tenus en 2000 et 2007 sont eux aussi parfaitement superposables – et identiquement ineptes.

Une seule solution : l’autorégulation ! Pendant ce temps-là, les hommes du sérail comprennent très rapidement que le spectacle non seulement de l’aberration financière exposée au grand jour, mais aussi des dégâts collatéraux qu’elle ne manque pas d’occasionner dans l’économie réelle, est de nature à susciter quelque agitation politique, peut-être même des velléités d’action régulatrice ».

L’Etat paye les pots cassés

Dans notre monde, les dettes sont publiques et les profits privés. Cette fois comme toutes les fois précédentes.

« Or l’État n’est bon qu’à sauver les menus ratages de la splendide finance privée : que le Trésor public ait la sagesse de contribuer à réparer quelques « incidents isolés » et, pour le reste, qu’il se taise. Et comme tout de même il faut bien lâcher un peu de lest, la finance se fend généreusement de quelques oblats verbaux et annonce avec magnanimité qu’elle va se charger elle-même de réexaminer ses pratiques – comprendre : « nous ne laisserons pas la loi se mêler de nos affaires ! » ».

Et l’histoire repart pour un tour, jusqu’à la prochaine

« Le 10 avril 2008, l’Institute of International Finance, qui représente 375 des plus grandes compagnies financières, pose publiquement un acte de contrition pour la crise des subprimes, mais dont le sens véritable n’est révélé qu’avec ses propositions finales : « nous voulons prouver que nous, l’industrie financière, pouvons faire du meilleur travail », et de préciser pour les malentendants : « il serait complètement erroné que les autorités imposent plus de régulations à l’industrie financière ». En parfait état, tiré une nouvelle fois du placard où il est chaque fois remisé après usage ad hoc, le discours du « code de bonne conduite » n’a pas pris une ride : tel qu’il était en 2000, il est resservi en 2007. Les professionnels de la finance s’engagent à l’élaborer avec le plus grand sérieux… et surtout à n’en rien faire dès que l’orage sera passé, avec cet avantage épatant que l’abstention de l’action permet de renouveler dans toute sa solennité l’engagement à chaque nouvelle occasion !

Certes, la condition d’efficacité de la manoeuvre réclame qu’il ne se trouve personne pour faire remarquer que les mêmes, la dernière fois déjà… Mais comme elle a d’assez bonnes chances d’être remplie, la finance-promettant-de-s’autoréguler-dès-que-possible aurait tort de se gêner. Pour l’avenir toutefois, on suggérera d’éviter les maladresses les plus flagrantes et les castings à problème : en 2002, après l’éclatement spectaculaire de la bulle Internet, et désireux d’éviter toute réaction politique, le Medef s’était précipité pour faire rédiger dans l’urgence un rapport dénonçant par avance le caractère inapproprié de la régulation externe, à laquelle, comme il se doit, l’autorégulation doit être préférée. Le rapporteur de l’époque s’appelait Daniel Bouton, président d’une certaine banque qui s’illustrera cinq ans plus tard pour la qualité de son « autorégulation »… »

http://www.bakchich.info/article5366.html

Messages

  • Pas d’accord.
    Cette fois ci, on entre bien dans la phase de crise(s) de surproduction. La planète est devenue trop petite pour le Capital, et ça va pas se tasser tout seul. Alors peut être que la grande dépression n’est ni pour 2008, 2009 ou 2010, mais ce qui se passe actuellement correspond bien à la manifestation d’une limite fondamentale à l’accumulation capitaliste : la baisse tendancielle su taux de profit. Celle ci a été contenue pendant 50 ans par le développement du crédit pour soutenir la consommation en Occident, et la délocalisation massive vers des pays où le coût du travail est faible, essentiellement en Asie.
    C’est bien le spectre de Marx...