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" Nous nous préparons à l’épreuve de force "

Publie le jeudi 8 mai 2003 par Open-Publishing

Retraite
Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT
" Nous nous préparons à l’épreuve de force "

Le texte de cet entretien a été relu et corrigé par M. Thibault.

Vous attendez-vous à une évolution positive de la position de François Fillon sur la réforme des retraites ?
Je remarque que le gouvernement est obligé de tenir compte de l’émotion suscitée par son projet de réforme. Il va continuer de souffler le chaud et le froid, d’entretenir un faux suspense sur des décisions qui ne porteront qu’à la marge. Le gouvernement sous-estime largement l’ampleur du désaccord entre les attentes des salariés et la philosophie de sa réforme. Les participations au 1er mai et le nombre d’arrêts de travail déjà annoncés pour le 13, sans égal depuis des années, devraient le faire réfléchir.

Croyez-vous que le gouvernement puisse encore répondre à vos demandes ?
Une chose est sûre, la CGT n’acceptera pas une réforme aux conséquences sociales désastreuses. L’abaissement du niveau des retraites pour tous les salariés et l’abandon du droit au départ à taux plein à 60 ans sont pour nous inacceptables. Ce serait l’abandon des deux premiers objectifs que tous les syndicats avaient retenus ensemble avant l’ouverture des discussions.

Si le gouvernement ne change pas d’orientation, vous dirigerez-vous vers une grève générale que certains, comme FO, évoquent ?
On ne décrète pas la grève générale devant une assemblée de 2 000 personnes. Le 13 mai doit être une grande journée de grèves et de manifestations. L’UNSA et la FSU sont d’accord pour préparer une manifestation nationale à Paris le 25 mai. Si le gouvernement maintient son cap au conseil des ministres du 28 mai, c’est qu’il choisit l’épreuve de force. Nous nous préparons à cette éventualité.

Le projet Fillon peut-il et doit-il être amendé, comme le suggère la CFDT ?
Le projet gouvernemental va déstabiliser le système par répartition. Il est plus inégalitaire, socialement redoutable et économiquement inefficace. Il y a une grande méconnaissance chez ceux qui nous gouvernent de la réalité du travail. Dire aujourd’hui, dans un pays qui frôle les 10 % de chômeurs, que "les Français doivent retrouver le goût du travail" frise la provocation. Le gouvernement est en train de s’enfermer dans une approche économique et sociale qui va marginaliser une proportion plus importante de la population. Lorsque 80 % d’un texte est mauvais, il faut accepter de le réécrire. Nous voulons que MM. Raffarin et Fillon ouvrent de véritables négociations sur d’autres bases.

N’est-ce pas un peu tard ?
Non, si le principe d’une telle négociation est accepté, en trois ou quatre mois, les discussions peuvent aboutir à une autre réforme. Il n’y a pas d’impératif au calendrier établi par le gouvernement, hormis les échéances que celui-ci s’est fixé. Beaucoup de monde fait du dossier des retraites un enjeu plus politique que social. Le gouvernement veut confirmer l’autorité politique qu’il a sur le pays. Mais les ministres sont toujours de passage et il s’agit là de l’avenir de millions de salariés.

Les enjeux semblent aussi importants pour les syndicats que pour le gouvernement...
Tout le monde joue gros au travers du dossier des retraites. Les organisations syndicales mettent en jeu leur crédibilité. Si le syndicalisme français, souvent divisé, devait faire preuve de défaillance, les salariés perdraient énormément. Mais le gouvernement joue aussi une partie importante. Non pas du point de vue de ses marges de manœuvre institutionnelle. Il dispose d’une large majorité pour faire voter sa loi. Mais il doit bien mesurer les conséquences d’un passage en force sur un tel sujet. Il ne doit pas perdre de vue, un an après le 21 avril 2002, que la surdité face aux désarrois sociaux explique pour une large part le discrédit à l’égard des partis politiques. C’est aussi comme cela que l’on favorise les extrémismes.

Qu’attendez-vous des partis politiques lors du débat parlementaire ?
Je n’attends pas des partis qu’ils se substituent aux organisations syndicales dans leurs responsabilités à conduire la mobilisation et à représenter les salariés dans les négociations. C’est sur leur capacité à mener un vrai débat de société qu’ils sont attendus, à présenter plusieurs projets politiques permettant un débat contradictoire. Le gouvernement aurait tort de considérer qu’au motif qu’il n’est pas menacé politiquement dans les institutions, il est à l’abri d’une contestation sociale de grande ampleur à propos de l’avenir de nos retraites.

Propos recueillis par Rémi Barroux