Accueil > Cesare Battisti : Oreste Scalzone, "Mettre en gage ma liberté"

Cesare Battisti : Oreste Scalzone, "Mettre en gage ma liberté"

Publie le mardi 20 juillet 2004 par Open-Publishing

Monsieur le Président

Je m’appelle Oreste Scalzone et je suis " réfugié de fait " en France depuis l’été 1981 après avoir été poursuivi puis condamné en 1981 par la justice de mon pays, l’Italie. Mon procès portait sur des faits, des actes, des écrits, des discours, des pratiques militantes et organisationnelles qui s’étaient déroulées tout au long d’une décennie sur l’ensemble du territoire national. Ces faits ont été qualifiés selon un profil pénal tout au long de l’instruction comme faisant partie d’une " tentative d’insurrection armée contre le pouvoir de l’État " [.] , ensuite requalifiés en tant que " constitution d’association subversive " coordonnant, entre autres, des " bandes armées ".

En octobre 1982, j’ai fait l’objet d’un avis " partiellement favorable " d’extradition vers l’Italie. J’avais donc été jugé, comme d’autres, " extradable ", selon l’avis préalable prononcé par la juridiction compétente. Cela à la différence de certains autres - comme par exemple Cesare Battisti, dont le cas vous est évidemment présent à l’esprit -, qui ont, eux, été préalablement jugés " inextradables " du strict point de vue du droit.

Monsieur le Président, il n’est pas dans mes habitudes d’interpeller les " pouvoirs publics ". En effet, une lettre adressée à vous, à votre fonction, par un " non-citoyen " - on pourrait même dire, si on veut, un " même pas citoyen " - reste, de la part de ce dernier, un procédé aussi improbable qu’une bouteille jetée à la mer.

En dépit de cela, j’ai désormais de fortes raisons d’y recourir. Il s’agit presque d’une " extrema ratio ", d’un ultime recours au moment où des annonces et des décisions semblent sonner le gel de " l’asile de fait " dont ont pu bénéficier des centaines d’hommes et de femmes en fuite d’Italie, et présager le passage à " l’asile défait "

Il semblerait donc, monsieur le Président, que cela devait finir ainsi. Que devaient finir le rêve et le pari que des hommes et des femmes, par ailleurs " destinés à cent ans de solitude, puissent avoir une deuxième chance dans l’histoire "

Dans ces conditions, celui qui vous écrit, monsieur le Président, se sent contraint de prendre un chemin singulier et de faire un geste apparemment excentrique. Ce geste, qui a germé en moi depuis l’extradition particulièrement douloureuse de mon ami Paolo Persichetti, relève d’ailleurs plutôt de la nécessité que d’un choix

Convaincu qu’il serait opportun et souhaitable que s’ouvre enfin une véritable discussion quant à une solution d’amnistie " pour tout un chacun " d’ores et déjà en Italie, voire même à l’échelle européenne.

Convaincu qu’il serait contradictoire avec cette perspective d’alourdir le contentieux actuel et qu’il coulerait de source de décider d’un moratoire pour toutes les extraditions.

Je propose, en dernière analyse, après mûre réflexion et comme il se doit seul, si cela pouvait vous aider à surseoir le cas échéant à toute extradition, de mettre en gage ma liberté en renonçant à la prescription de ma peine qui interviendrait à l’automne prochain et en me livrant à la justice de mon pays pour son exécution. Ce geste tient d’une condition et d’un parcours personnel dont découle une responsabilité correspondante, laquelle ne concerne, dans une égale mesure, aucune autre personne dans ma situation.

Ayant été accusé par la justice italienne d’être un des principaux meneurs d’une tentative d’insurrection armée contre l’État, il y aurait donc une pertinence à proposer cet " échange de symbole ".

Ayant depuis mon arrivée en France été convaincu qu’il était bon pour nous, réfugiés italiens, de vivre à visage découvert et conseillant continûment à toutes les personnes concernées de faire de même et les accompagnant dans les démarches correspondantes, il me serait impensable de rester passif face à la remise en cause d’un " ubi consistam ", d’une chance qui avait été offerte et qui serait retirée.

Comment imaginer enfin, dans ma situation, que je puisse jamais regarder impassible " passer les charrettes d’extradés " sans comprendre que ce serait là me demander bien davantage que le sacrifice de ma liberté.

Dans l’espoir d’avoir une chance, fût-elle minime, d’attirer votre attention afin que l’irréparable ne soit commis, je me suis imposé de ne pas recourir à l’exposition détaillée des arguments étayant mon raisonnement, que par ailleurs je serais tout à fait disposé à vous expliciter.

Je vous prie de croire, monsieur le Président, en quelque chose de plus fort que les formules d’usage, de croire en l’espoir que fait naître le fait de remettre en vos mains ce qui reste de mon destin et de celui de mes camarades.

Oreste Scalzone

Paris le 14 juillet 2004

http://www.humanite.fr/journal/2004-07-19/2004-07-19-397550