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Le patrimoine culturel sous sarkozy

Publie le vendredi 19 juin 2009 par Open-Publishing
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Un épilogue
Bernard Delattre, correspondant de "La Libre" à Paris

C’est l’épilogue d’une controverse d’une vivacité que le patrimoine parisien n’avait plus connue depuis des années. C’est aussi le sort d’un des plus beaux lieux de Paris qui vient d’être scellé, presque en catimini : l’Hôtel Lambert (si vous ne situez pas, des photos ici). Cet édifice du bord de Seine, à la silhouette si familière aux Parisiens, qui occupe toute la proue Est de l’île Saint-Louis. Un joyau de l’architecture du dix-septième siècle, que l’on doit à l’architecte Louis Le Vau et au décorateur Charles Le Brun, le duo qui s’illustra au château de Versailles. On n’avait pas encore eu l’occasion de traiter le dossier ici, donc il est plus que temps de lui consacrer quelques lignes aujourd’hui.

Tout commença en 2007, lorsque l’Hôtel Lambert fut vendu (pour un prix astronomique) par son propriétaire, le baron Guy de Rothschild, au frère de l’émir du Qatar. Avant de s’y installer, la famille princière avait prévu d’y mener des travaux pharaoniques : un parking souterrain dont la sortie donnerait sur le quai d’Anjou, une vingtaine de salles de bains, plusieurs ascenseurs intérieurs, etc. L’édifice (où vécut notamment Voltaire) étant entièrement classé, les amoureux du patrimoine avaient blêmi. Une pétition contre le projet avait été lancée, qui recueillit plusieurs milliers de signatures dont celles d’académiciens (Françoise Chandernagor, Jean Clair, Dominique Fernandez, Marc Fumaroli, etc.), de grands noms de l’architecture (Bruno et Henri Gaudin, Yves Lion, Bruno Fortier etc.), ou d’historiens (Emmanuel Le Roy Ladurie). Le propre adjoint au maire de Paris chargé de la Culture, Christophe Girard, avait signé le texte. L’Hôtel de Ville s’apprêtant à rejeter le projet, le ministère de la Culture (sur injonction du quai d’Orsay ?) s’était auto-saisi du dossier. Nouveau tollé. A l’époque, même le très docile « Figaro » n’avait pas semblé ravi. « On n’ose croire que les liens personnels entre Nicolas Sarkozy et l’émir du Qatar ou que les intérêts diplomatiques entre les deux pays puissent être suffisants pour passer outre les réserves unanimes » des opposants au saccage de ce fleuron du patrimoine parisien, écrivait à l’époque un de ses éditorialistes.

Finalement, mardi, la ministre de la Culture a donné son accord au projet. Entre-temps, celui-ci a, au fil de mois d’âpres débats, été revu à la baisse. Au total, selon le ministère, les travaux que réalisera l’émir dans l’Hôtel Lambert permettront d’« assurer la sauvegarde et redonner vie à un ensemble architectural et décoratif de premier plan ». Mais la mairie de Paris a assez séchement pris acte de cet aval. Car à l’instar des défenseurs du patrimoine (ici, par exemple), elle considère que le projet final est encore très imparfait.

Et la controverse sur la politique culturelle, et patrimoniale singulièrement, de l’équipe Sarkozy n’est probablement pas close. Témoin, cette tribune vengeresse publiée l’autre jour encore dans « Le Monde », titrée « Alerte à la non-assistance à chefs-d’oeuvre en danger » et signée notamment par un professeur à la prestigieuse université de la Sorbonne, Alexandre Gady. « Dans l’affaire de l’hôtel Lambert, dossier particulièrement sensible, ses positions (de la ministre de la Culture) ont été très en deçà de ce qu’on pouvait attendre face à un tel enjeu, et il a fallu une large polémique pour que le projet médiocre de l’architecte en chef soit un peu amélioré. Une question se pose : y a-t-il encore une volonté de défendre le patrimoine, bien commun de tous les Français ? Un Président de la République indifférent à la Culture, prêt à sacrifier toutes les règles d’urbanisme qui protègent nos villes et nos paysages de l’avidité des promoteurs, et un ministre sans poids politique, qui ne s’oppose à rien : le bilan est accablant. L’Etat dispose pourtant de tous les moyens légaux pour protéger le patrimoine. Il en est le premier destructeur, quand il devrait en être le premier garant ».

http://parislibre.lalibreblogs.be/archive/2009/06/18/un-epilogue.html

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