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La science, la technologie et la civilisation de l’inutile

Publie le mercredi 12 août 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Par Michel MENGNEAU

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » s’exclamait Rabelais au XVIéme siècle. La science dont-il parlait apportait progrès et amélioration des qualités de vie, la médecine en particulier en était la principale bénéficiaire dans son esprit. En quelque sorte, malgré ces embellies dues à l’intelligence humaine, le précurseur que fut le futur médecin mettait en garde les hommes sur les déviances que les savants fous sont capables d’imaginer. On pense naturellement à l’eugénisme nazi et autres conceptions intellectuelles cherchant à réguler le monde par la génétique pour ne citer que cet exemple. Pour palier à ces exagérations on a donc établi des codes d’éthiques, des conseils où se réunissent des sortes de sages statuant sur les limites à ne pas dépasser.

Le bébé éprouvette en est l’un des thèmes ayant suscité maints débats, d’autant qu’un corolaire mérite d’être discuté car en effet, si l’on fait abstraction de l’aspect affectif, il pourrait encore être d’actualité si l’on considère qu’une débridée poserait problème pour l’avenir de la planète. Il ne s’agit pas de ma part de faire du malthusianisme ce qui est loin de ma pensée -très loin même pour cause de sélectivité sociale sur laquelle Malthus a théorisé-, mais de prendre conscience que la surpopulation pourrait être un problème. C’est d’ailleurs un sujet épineux, mais qui mérite néanmoins que l’on s’y attarde et réfléchisse car l’on ne peut pas non plus écarter l’affectif et le désir d’enfants dans des circonstances où cela ne parait pas possible…

C’était probablement autour de thèmes comme celui-ci que Rabelais avait donné cet avis significatif qui donnait à la réflexion où se situaient les limites morales de la science. On peu aisément supposer qu’il n’avait pas pensé que -avec l’évolution rapide des techniques accélérée par la science pour nous conduire à la révolution industrielle- la technologie, qui en apportant le bien-être, deviendrait aussi une machine à concevoir de l’inutile, que l’on appellera le consommable superficiel. Et que pour cette conception de l’apport technologique partenaire du consumérisme soit au rendement maximum, ou de part cette conception, le productivisme en deviendra le moteur sociétal.

L’évolution de nos sociétés a peut-être modifié, mais pas fait disparaître l’impondérable universel qui est celui de s’alimenter. Pour la purée de midi à la belle de Fontenay, on va chercher dans le placard le dernier robot à la mode offert à l’occasion de la . Déjà que de temps perdu pour trouver la bonne grille, lui faire un peu de place sur l’évier encombré, et vroom, quelques kilowatts consommés vont donner un truc dont on n’a pas véritablement maitrisé la structure, trop liquide, trop pâteux…On a oublié que l’on avait mis au grenier le presse-purée venant des grands-parents. Pourtant, trois tours de manivelle, de l’exercice en quelque sorte, un peu de lait ou d’eau et voilà une purée onctueuse à souhait, bien meilleure.

Il a fallu le même temps pour laver l’ustensile traditionnel, peut-être moins. Mais surtout, cela fait cinquante ans que qu’il n’est pas tombé en panne, l’autre, trois petits tours et devient jetable. Le vieil engin est recyclable sans problème, le moderne demande un démontage et un tri des éléments si le cas échéant on veut lui redonner une existence, et enfin, l’un utilise l’énergie manuelle, l’autre fait tourner une centrale nucléaire qui fuit. Pour parachever le tout, il a fallu le passage dans différents bureaux d’études pour le second dans lesquels on aurait pu mettre les chercheurs, dessinateurs, concepteurs au service d’éléments vraiment utiles à l’humain. Business oblige, surtout lors du symbole de la fête des mères où perdure une forme de machisme autour du cadeau qui n’a en réalité été recommandé que pour faire fructifier le système.

D’accord, me direz vous, mais dans le même ordre d’idées, on ne peut pas nier que l’aspirateur, pour ne parler que de lui, n’est pas inutile et pratique pour la personne qui fait l’entretien d’une maison ou d’un appartement. Certes, cela fait partie des inventions dues au progrès que l’on peut considérer comme utile, mais il n’en reste pas moins vrai que la conception de l’engin a souvent plus été tournée vers des préoccupations mercantiles laissant en retrait l’efficacité. C’est pourquoi on voit un beau carénage en , plusieurs vitesses dont personne ne se sert, mais qui sont essentiellement des arguments de vente ; même si l’esthétique n’est pas à négliger pour le plaisir de l’œil, on peut faire simple en utilisant des matériaux plus facilement recyclables et puis surtout piocher intellectuellement sur le moins de consommation d’énergie pour un efficacité maximale liée aussi à la durabilité, ce devrait être la préoccupation incontournable et non la science et la technique au service du consommable/jetable, ce qui est l’essence du système productiviste.

Si l’on fait une étude attentive autour de nous on s’apercevra que le principe consumériste est incontournable puisque l’on force la vente par divers artifices. La pub, l’orientation de la recherche, sont au service du concept qu’il faut consommer pour produire des richesses que l’on doit consommer, un cercle vicieux, en somme. Il y a une multitude d’exemples illustrant ce propos sur lesquels nous ne nous étendrons pas ; cependant, on peut rappeler, car cela est d’importance pour l’avenir, que des travaux assez poussés autour des nanotechnologies amènent les chercheurs à vouloir modifier l’atome de ce qui se trouve dans notre assiette sous divers prétextes. Manipulations pratiquement et presque uniquement mercantiles puisque l’on estime que d’ici 2015 les nanotechnologies pourraient être utilisées dans 40% des aliments venant de la filière industrielle. Pour résumer, on va prendre un support quelconque et lui donner le goût d’un produit en manipulant ses atomes ou sa structure atomique, mais ceci se faisant consciemment pour diriger l’alimentation vers une industrialisation maximum. Le pire, c’est qu’il n’y a pas eu de moratoire sur la commercialisation des nano-produits. Le principe commence sans doute à être juteux puisque les multinationales de l’agro-alimentaire font profil bas pour éviter que s’ébruite de trop le fait qu’il y a généralisation de ces méthodes.

C’est encore un nouvel exemple de la recherche mis au service du profit. Il ne s’agit pas de nier les manipulations de l’atome qui seront probablement utiles à certaines recherches, comme dans le domaine médical, mais de contester leurs utilisations lorsqu’elles sont inutiles alors qu’une alimentation traditionnelle et biologique devrait suffire. Le profit venu de l’industrialisation à outrance étant devenu dans ce cas le principal moteur de la recherche scientifique. D’ailleurs, on peut comprend mieux la juste récrimination des chercheurs qui préfèrent rester dans un cadre étatique plutôt que privé. Les axes de recherches étant plus généraux et divers et n’iront pas uniquement dans le sens de l’amélioration de la rentabilité et du profit.

Le grand enseignement que l’on peut tirer de ces réflexions est que le principe consumériste n’est probablement pas source de véritable bien-être, un peu de bien-être quand même, mais orienté, c’est incontestable… Et oui, un maxi écran plasma issu des dernières technologies pour regarder est à l’évidence le summum de la navrante inconséquence humaine servie par la perversité de système capitaliste…La technique cinématographique nouvellement découverte nous avait amené un art, l’évolution télévisuelle et sa marchandisation en a fait un foutoir ! Je ne parlerai pas de la croissance verte qui est dans même ordre d’idée car cela mériterait un article entier autour de cette aberration.

En modifiant nos comportements, on va par la moindre consommation, la plus utile consommation, sortir de productivisme ce qui va faire dire à certain que l’on va diminuer l’emploi. Comme on consomme moins, il est évident que l’on va modifier les règles du pouvoir d’achat et permettre de travailler moins. On va aussi déplacer les priorités économiques vers le collectif, l’éducation, la santé, les services sociaux et par là même déplacer le travail en lui redonnant d’ailleurs sa quintessence : une monnaie d’échange ; c’est donc une société différente et un tissu social où les inégalités se comblent qui doit être le ferment de notre imaginaire politique. Naturellement, le profit et son corolaire l’esclavagisme moderne tel que le conçoit le capitalisme sont à éradiquer en premier pour changer les états d’esprits.

Donc, il s’agit bien de redonner à la science, à la technologie leurs lettres de noblesse qui sont de donner avec sagesse et modération du véritable bien-être à l’humain, voire du bonheur, et ceci en dehors de toute contingence mercantile…

http://le-ragondin-furieux.blog4ever.com

Messages

  • Bravo Michel

    je trouve tout à fait pertinent vos analyses des exemples quotidien de l’utilisation et de la production du robot ménéger réellement inutil et inefficace et de l’aspirateur dénaturé par le consummérisme et le mercantilisme.

    Votre conclusion me semble aussi essentielle.

    L’originalité initiale de la science semble aussi être perdu depuis fort longtemps.

    Il me paraît important de ne pas non plus la centrer sur son aspect de technologie apportant réellement du bonheur ou du confort matérialiste.

    Il me semble que la première vocation de la science est de chercher à comprendre comment fonctionne le monde dans toutes ses facettes, matérielles mais aussi émergentes, c’est à dire psychologiques et affectives dépassant largement le cadre de l’humain puisqu’au fond, il me semble que les non humain sont comme les humains de façons diversifiées, mûs par des affectes c’est à dire des façon de se lier à autrui et à son environnement.

    Il me semble aussi que ce qu’a apporté la science de radicalement profond dans la compréhension du monde c’est la notion radicale de déterminisme mais aussi d’interdépendance : et cela permet de contrer les illusions typiquement occidentales et capitalistes de l’individualisme orgueilleux se prétendant conquérant de son indépendance au monde en recherchant systématiquement à le dominer et à se recréer un monde.

    ce qui me semble, c’est que quand on est en contemplation et recherche de compréhension de l’univers, on ne cherche plus à le dominer ou à le recréer selon une volonté. on ne le conçoit plus non plus comme source de crainte mais d’émerveillement. et pour moi la science, qu’elle soit science physique chimique ou naturaliste est dans ce mouvement.

    malheureusement, d’autres procéssus culturels entre en jeux dans le choix de voccation, d’orientation de parcours d’étude, qui font que beaucoup de gens ayant suivi des parcours scientifiques, n’entrent pas dans cette façon de s’immerger au monde.

    ce sont donc ces mentalités qu’il me semble important de faire évoluer car la construction de la civilisation artificielle de l’inutile n’est pas seulement le fruit d’une volonté oligarchique mais aussi d’une fascination de base pour le pouvoir que semble octroyer à son détenteur, le gadget, la nouveauté, la facilité apparente dont le robot ménager que vous citez est un excellent exemple.

    ce qui m’amuse par ailleurs c’est que je concerve et utilise affectueusement, le presse purée et passe soupe de ma grand mère et que j’ai choisi mon aspirateur pour sa simplicité et sa robustesse... sans compter que je passe mon café avec un entonnoir et des filtres...

  • c’est clair ! La recherche du profit et du pouvoir altère l’intelligence et endort la conscience. Le portefeuille s’enrichi et l’âme se ruine.
    Une phrase de saint exupéry "l’essentiel est invisible pour les yeux...". Etant donné que l’on manipule les masses pour qu’elles investissent dans l’inutile, l’essentiel est relégué au second plan, voire, à l’inexistant.
    La civilisation actuelle ressemble à un château construit sur un banc de sable. Lorsque la Nature reprendra ses droits, il ne restera que ruines, désolations, et humains s’entre dévorant ;
    Des centaines de milliards d’euros sont dépensés pour construire ou reconstruire de l’éphémère, de l’inutile, de l’inhumain..........à côté de celà il y a la famine, la maladie, les épidémies, la pollution, la mort de la planète
    Des centaines de milliards d’euros sont dépensés pour construires des iles artificielles paradisiaques, des cités de luxes entourées de murs et de miradors, pour les ultra riches..........à côté de celà, il est des centaines de millions de pauvres, de miséreux qui vivent dans des bidons ville, voire, dans des cartons, ou des poubelles.
    Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas, disait Malraux. Je pense qu’il ne sera pas !