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ELECTION À LA TÊTE DE L’UNESCO : Farouk Hosni a-t-il le magistère moral ?

Publie le lundi 21 septembre 2009 par Open-Publishing

"[...] Il faut que l’Égypte redevienne belle comme elle l’était et qu’elle cesse d’imiter les Arabes qui considéraient, à une certaine époque, l’Égypte comme une partie de l’Europe."

Farouk Hosni

Mi-septembre, l’Unesco attend son nouveau directeur général. Plusieurs candidats sont en lice, mais il y a un favori, en l’occurrence, un candidat controversé pour des raisons diverses et pour une fois les inconditionnels d’Israël comme BHL, et Claude Lanzmann sont sur la même longueur d’onde que les intellectuels arabes surtout égyptiens...Un battage médiatique sans précédent a été organisé pour barrer la route à Farouk Hosni. J’ai même vu sur la chaîne France 24, Claude Lanzmann, encore lui, et Elisabeth Chemla, que nous connaissons aussi en Algérie descendre en flammes le candidat malgré les interventions équilibrées de Charles Saint-Prot. Cela m’a interpellé et j’avoue que j’avais un sentiment de colère contre cet acharnement qui veut qu’en toute chose, l’imprimatur doit être donnée par Israël, j’ai donc cherché à le défendre et j’ai déchanté.

Qui est Farouk Hosni ? Diplômé de la faculté des beaux-arts d’Alexandrie en 1964. En 1971, il est attaché culturel à l’ambassade d’Égypte à Paris et directeur du Centre culturel égyptien dans la capitale française. Il travaille également pour le compte des services de sécurité égyptiens, en établissant des rapports sur les étudiants égyptiens installés à Paris, comme l’a révélé le professeur de droit international Yahya el-Gamal, ancien ministre et attaché culturel à Paris, dans ses mémoires intitulés Ordinary Life Story(1)

Que lui est-il reproché ? Farouk Hosni est soutenu par la France pour sa candidature à la tête de l’Unesco. Il part favori. Interpellé l’an dernier au Parlement égyptien par les Frères musulmans, Hosni, 71 ans, déclare qu’il brûlerait lui-même les livres écrits en hébreu s’il en trouvait dans les bibliothèques égyptiennes. En 1997, il affirme : « Les juifs volent notre histoire et notre civilisation ; ils n’ont pas eux-mêmes de civilisation ; ils n’ont pas de pays et ne méritent pas d’en avoir. Dans les colonnes du Monde, en mai dernier, Hosni tente de balayer les accusations d’antisémitisme pour se présenter comme le candidat passerelle entre Nord et Sud : "Au moment où il faut se mobiliser contre les forces de la régression et de l’enfermement communautaire, partout à l’oeuvre, le choix d’un Arabe, d’un musulman, d’un Égyptien serait, au-delà de ma personne, un formidable message de paix." Un argumentaire qui ne convainc pas BHL. Le philosophe considère que cela n’équivaut pas à des excuses. Bernard-Henri Lévy avance même que le plaidoyer de Hosni était en partie rédigé par Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy et chef de mission de l’Union pour la Méditerranée, coprésidée par la France et l’Égypte... »(2)

« La grandeur de l’Egypte »

Le soutien militant de la France est tellement puissant qu’outre « les réseaux », Henri Guaino, la plume du président de la République, aurait sinon rédigé lui-même, tout au moins « lu avant publication », la réponse de Farouk Hosni, dans une tribune du Monde en mai dernier. Le moins que l’on puisse dire est que Farouk Hosni n’a aucune caution des intellectuels arabes. Abbas Beydoun écrit dans As Safir : Alors que la presse égyptienne nationaliste et officielle fait campagne en faveur de la candidature du ministre de la Culture, les intellectuels égyptiens se montrent beaucoup plus réservés à l’égard de ce représentant fidèle d’un régime plutôt décrié. Ceux qui ont lu la page entière consacrée à Farouk Hosni dans le quotidien cairote Al Ahram auront compris que la « grandeur de l’Egypte » est mobilisée derrière sa candidature au poste de Directeur général de l’Unesco, comme elle avait été mobilisé derrière Boutros Boutros-Ghali (ancien secrétaire général de l’ONU), Mohamed El Baradei (chef de l’Aiea) et Ahmed Zeweil (prix Nobel de chimie). La grandeur de l’Egypte, le prestige de l’Egypte, le rôle régional de l’Egypte, c’est tout cela qui est en jeu. Une question de patriotisme. Pourtant, les intellectuels égyptiens ne semblent pas déborder d’enthousiasme. Ils ne se retrouvent pas dans ce combat. Même l’hostilité de certains amis d’Israël tels que Bernard Henri-Lévy ne suffit pas à leur faire serrer les rangs derrière le candidat. Prenons les islamistes. Ils sont toujours prompts à dénoncer les pro-israéliens, mais leur aversion pour Hosni l’emporte sur l’aversion pour les amis d’Israël. J’en conclus que les intellectuels, au-delà de leurs différences, n’adhèrent pas à son bilan de ministre de la Culture (poste qu’il occupe depuis vingt-deux ans). (...) Mais la presse nationaliste égyptienne et arabe, Al Ahram et les autres, continue de mener la bataille, les thuriféraires vantant ses succès en tant que ministre. L’enjeu essentiel, toutefois, c’est la grandeur de l’Egypte. »(3)

« Au départ, il était peintre. Un peintre formé à Paris. Le nommer au ministère de la Culture était une bonne idée, d’une intelligence rare chez les gouvernants arabes. (...) La charge de son travail de ministre ne lui a pas laissé le temps d’évoluer, mais il a continué à peindre, à exposer et à vendre. A des prix astronomiques. Il a vendu des toiles pour plus de 100.000 dollars, voire 150.000 mille, alors que feu le grand peintre Hassan Suleiman se contentait de quelques miettes. (..) L’Unesco nous intéresse en tant que telle. Un de ses rôles est de protéger la culture des peuples du monde entier, pas seulement celle de l’Occident. D’après ce qu’on peut conclure de l’article du dernier numéro du Monde diplomatique, l’organisation n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire sous la présidence actuelle de Koichiro Matsuura. Celui-ci aurait réduit les moyens financiers alloués à cette fin et attribué des postes à des Japonais et des Européens, dont certains sont entachés d’une réputation de racisme. L’Unesco est plongée dans un chaos total - débâcle administrative et corruption. Farouk Hosni est-il la personne idoine pour la sortir de cette impasse ? Y a-t-il quelque chose dans son parcours qui le désigne comme le sauveur que tout le monde attend ? (...) Demandons-nous si, face à l’étranger, nous devons soutenir n’importe quel Arabe et n’importe quel Egyptien. Suffit-il d’être Arabe ou Egyptien pour faire la gloire des Arabes ou de l’Egypte ? Regardons plutôt ses méthodes, sa qualification et ce qu’il risque de faire de son poste. Quelle est l’impression qu’il laissera - de lui-même, mais aussi de nous tous ?(3)

Abdelwahab al-Effendi, un intellectuel soudanais, est encore plus sévère. Ecoutons le : « Il y a une grande différence entre demander pardon par un sursaut moral et demander pardon pour gagner les bonnes grâces de quelqu’un. Dans le premier cas, cela s’appelle faire amende honorable ; dans le second, c’est de l’hypocrisie. Les excuses du ministre de la Culture égyptien, Farouk Hosni, publiées le 27 mai dans le quotidien français Le Monde, pour ses déclarations d’il y a un an affirmant qu’il était prêt à brûler tous les livres hébreux dans les bibliothèques de son pays, relèvent de la seconde catégorie. Comme il est convaincu qu’Israël a des relais partout, il pense que les courbettes constituent le plus sûr moyen d’accéder au poste de secrétaire général de l’Unesco. »(4)

« Pour commencer, il faut souligner que ses déclarations méritaient effectivement des excuses : elles relevaient d’une bêtise sans bornes. Un livre est source de savoir, quelle que soit sa langue et d’où qu’il vienne ; seuls les ignorants peuvent le nier. (...) Voilà le coeur du problème : dans une dictature, le rôle d’un ministre de la Culture n’est pas de protéger la culture, mais de l’étouffer afin de protéger le régime. De ce point de vue, Farouk Hosni a fait des merveilles. C’est un virtuose de l’obéissance et de la flagornerie, qui a su domestiquer la culture et la mettre au service du pouvoir. Cela lui a valu d’être maintenu à son poste pendant près de vingt ans, malgré les critiques et l’amertume des intellectuels et artistes égyptiens. Le milieu dans lequel il souhaite entrer aujourd’hui ne ressemble en rien à celui auquel il est habitué. Jusqu’à présent, il pouvait écraser sous sa botte tout ce qui avait un rapport avec la culture et les intellectuels, alors qu’au poste qu’il convoite, la règle est de les respecter. Car ceux qui occupent le pouvoir dans le monde arabe ne se rendent pas compte qu’en se faisant les "alliés" des Occidentaux, c’est-à-dire en faisant le sale boulot de répression et de torture à leur place, ils ne gagnent en rien le droit de s’asseoir à la même table qu’eux, ni de leur parler d’égal à égal. Il n’est pas pensable que l’Unesco se donne un secrétaire général qui soit originaire d’un pays où l’on élimine les opposants par des procès manipulés et des actes d’accusation fantaisistes. »

Rejeté par les artistes

« La volonté de Farouk Hosni d’accéder au sommet de l’Unesco ne se heurte pas seulement à sa manière répréhensible de traiter la culture dans son pays, mais également à sa pratique du pouvoir. Il a en effet géré son ministère comme un fief personnel, donnant prise à des accusations de confusion entre l’intérêt public et ses intérêts privés. En tout état de cause, il ne faut pas considérer Farouk Hosni comme le candidat des Egyptiens et encore moins comme celui des Arabes. Il est rejeté par la plupart des artistes égyptiens. Tout au plus peut-il être considéré comme le candidat de l’Egypte officielle, de cette Egypte qui expulse les militants européens exprimant leur solidarité avec les habitants de la bande de Ghaza, cette prison gardée par Israël d’un côté, par l’Egypte de l’autre. Cette Egypte-là n’a rien à voir avec l’humanisme ; elle ne représente en aucun cas les Arabes. Si Farouk Hosni devait être nommé à ce poste, ce qui est fort peu probable, cela ne servirait en rien les Arabes. Au contraire, il risquerait de devenir une source d’embarras. La dernière chose dont les Arabes ont besoin, ce serait que leur réputation, déjà en lambeaux chez eux, subisse un nouveau déshonneur à l’extérieur. »(4)

Bernard-Henry Lévy, encore lui, se bat jusqu’au bout dans tous les journaux. Il écrit : « (...) Et cet incendiaire de livres et d’âmes s’étant lancé, depuis cette date, dans une campagne électorale dont la frénésie n’a d’égale que l’habileté à désinformer.(...) Farouk Hosni est égyptien et on fâcherait, en le récusant, ce grand pays qu’est l’Égypte. On atteint là les sommets de la mauvaise foi. Car s’il est exact que l’homme est soutenu par l’autocrate dont il chante servilement la gloire depuis des décennies, il ne l’est évidemment pas par l’autre Égypte, la seule qui compte en la circonstance, puisque c’est celle des créateurs et des artistes. (..)Va-t-on confier les rênes de l’agence culturelle mondiale à un homme qui, lorsqu’il entend le mot culture, sort ses ciseaux ou son briquet ? Et puis va-t-on, sous prétexte qu’il représenterait "le Sud" ou "le Monde arabe", donner le "comité du patrimoine mondial" à un responsable qui, lorsqu’il avait la charge de son patrimoine national, a vu trois de ses collaborateurs directs, plus un ancien chef de cabinet, lourdement condamnés pour avoir trempé dans un trafic de trésors archéologiques égyptiens ?

(...) Alors, sans doute est-il déjà tard. Peut-être eût-il fallu que le Maroc maintienne la candidature d’Aziza Bennani, le Brésil celle de Gilberto Gil, ou que le juriste algérien Mohamed Bedjaoui soit soutenu par son pays. »(5)

Si Monsieur Hosni passe, c’est qu’il n’y a plus de morale dans ce bas monde, tout est une question de rapports de force. Quand bien même nous serions pour une fois du même côté d’un islamophobe tel que BHL, la raison, les intellectuels arabes qui, naturellement, n’ont pas le droit au chapitre, le méprisent. On peut donc s’occuper de la culture en faisant allégeance à des tyrans au nom de la réalpolitik. Il semble que les négociations entre Moubarak et Netanyahu ont porté sur cela. Comment se fait-il qu’indépendamment des pays occidentaux solidaires d’Israël, donc de l’Egypte, aucun pays qui vote pour ce poste n’ait eu un sursaut de dignité ? Est-ce normal et sans être naïf, que Bernard-Henry Lévy fasse l’apologie de Mohamed Bedjaoui à notre lieu et place ?

Doit-on ad vitam aeternam subir l’Egypte des tyrans qui n’a rien à voir avec l’Egypte des intellectuels du peuple de l’histoire ? Cette Egypte se croit autorisée à parler au nom des Arabes, de tous les Arabes. Que l’on se rende compte : le poste de SG de la Ligue arabe est une propriété privée de l’Egypte au point que tous les anciens ministres des Affaires étrangères atterrissent à ce poste. Nous l’avons vu avec la reculade de l’Algérie quand la Ligue arabe s’était réunie à Alger, il y a quatre ans. Nous l’avons vu avec la présidence de l’Union pour la Méditerranée qui a été attribuée, on ne sait sur quel critère, à l’Egypte. En fait, la politique de l’Egypte officielle consiste à faire de l’à-plat-ventrisme vis-à-vis des pays occidentaux pour mieux faire les matamores vis-à-vis des autres pays arabes. Le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahu, aurait négocié avec le président Moubarak la levée du veto israélien contre cette candidature. En échange, Le Caire devrait s’attaquer au trafic d’armes à destination de Ghaza, affirme Al Quds Al Arabi. C’est tout dire...

Pour toutes ces raisons, la nomination de Farouk Hosni est une double erreur à double titre : au titre du tyran qu’il sert depuis 22 ans en verrouillant la culture et à titre personnel il n’apporte rien. Un homme « de culture » qui parle de brûler des livres, c’est-à-dire le savoir, combien même ce seraient des livres israéliens, n’est pas digne de s’occuper de la culture. Pauvres Arabes ! L’Egypte se considère héritière des pharaons quand ça l’arrange et nie de ce fait tout lien culturel avec le monde arabe mais quand il s’agit de le diriger, personne ne doit passer avant elle. Elle se veut le seul interlocuteur de l’Occident, tout ce qui concerne les Arabes doit passer par elle. Cette tyrannie est insupportable car elle n’est justifiée sur aucun plan dans le domaine de la science, des lettres. Toutes les universités arabes sont dans un mouchoir de poche, dans les 500 dernières universités sur 9000. Du point de vue économie, il n’y a aucun exemple à suivre. D’où vient alors cette réputation surfaite ? Peut-être dans le charisme du grand homme que fut Nasser et qui avait à sa façon une vision pour le monde arabe au même titre que Fayçal et Boumediene.

En définitive, Farouk Hosni n’a pas, le croyons-nous, le magistère moral pour conduire l’éducation et la culture à l’échelle mondiale déjà bien perturbée par la mondialisation qui a fait d’avoir un produit marchand et qui ne s’est pas particulièrement illustré sous la direction de Koïchiro Matsuura moins de croire au miracle et pourquoi pas , monsieur Hosni pourrait alors donner la pleine mesure de son talent maintenant qu’il est libre de ne pas penser uniquement du prisme réducteur du Raîs.

1.selon Al-Arham : http://weekly.ahram.org.eg/2004/678/bo41.htm

2.Beatrice Parrino : Farouk Hosni, l’embarrassant candidat égyptien. Le Point.fr 17/09/2009

3.Abbas Beydoun. Farouk Hosni : Pour le meilleur ou pour le pire ? As-Safir 18.09.2009 ???

4.Abdelwahab al-Effendi. N’élisez pas Farouk Hosni à l’Uneso. Al-Quds Al-Arabi 29.05.2009 ?

5.B.-H. Lévy : « Ne laissons pas l’Unesco à un flic de la culture » Le Point. 17/09/2009 N°1930

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechniqueep-edu.dz