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Putes et fièr(e)s de l’être

Publie le mercredi 13 janvier 2010 par Open-Publishing
13 commentaires

de PACO

Vu sur France 2 en mars 2009, un documentaire de Jean-Michel Carré consacré aux travailleu(r)ses du sexe sortira en salles le 3 février 2010. Un film intelligent, troublant et combatif.

Depuis les années soixante-dix, Jean-Michel Carré et les films Grain de sable secouent bien des cocotiers. « Le cinéma est l’art le plus adéquat pour l’activisme politique », assure le réalisateur à qui l’on doit Alertez les bébés (1978), Votre enfant m’intéresse (1981), Femmes de Fleury (1991), Galères de femmes (1993), Visiblement je vous aime (1995), Charbons ardents (1999), Koursk, un sous-marin en eaux troubles (2004), Le système Poutine (2007)…

En 2009, Jean-Michel Carré a sorti Les travailleu(r)ses du sexe. Ce n’est pas la première fois qu’il filme l’univers de la prostitution. Le réalisateur a déjà à son actif six documentaires sur les trottoirs de Paris, sur les enfants des prostituées, sur les clients…, films réunis dans le DVD Prostitution à visage découvert (Doriane films-Films Grain de sable). On y rencontre la mère de Jean-Marie, jeune homosexuel prostitué devenu Sandra. Bénédicte parle de son combat pour quitter la prostitution et devenir éducatrice spécialisée. Un client et une prostituée parlent de leur couple. Des jeunes s’expriment sur le métier de leur mère. Il est aussi question de la spirale drogue-prostitution…

L’angle choisi pour Les travailleu(r)ses du sexe est différent. Le sous-titre « et fièr(e)s de l’être » donne le ton. Interviewé(e)s en France, en Belgique ou en Suisse, les prostitué(e)s qui s’expriment ici défendent farouchement leur métier. À visage découvert, elles /ils revendiquent haut et fort leur choix dans la lignée des slogans libertaires vus et entendus lors de la Pute Pride : « Je préfère vendre mes charmes pour du pognon que vendre mon âme à un patron ! », « Plus de caresses, moins de CRS ! » Réalisateur du film J’ai très mal au travail (2006), Jean-Michel Carré a trouvé des gens heureux chez ces travailleu(r)ses indépendant(e)s, ces artisan(e)s, ces assistantes sociales « avec le sperme en plus ».

« Toute la société pratique la prostitution voulue ou non voulue. Tout le monde se vend, se prostitue d’une façon ou d’une autre », plaide Sofia, juriste et prostituée. Certaines paroles vont choquer les puritains putophobes qui pullulent à l’ombre des bénitiers, mais aussi, hélas, dans certains milieux féministes. Pourtant, selon Isabelle, prostituée toulousaine depuis 18 ans, « se prostituer est un acte politique et féministe. » Alors ? « Le premier gros argument contre la prostitution, c’est la marchandisation des corps et le deuxième, incontournable, c’est l’esclavage, dit-elle. Des arguments qui peuvent être justes, mais qui sont justes pour l’ensemble du fonctionnement social et mondial. L’esclavagisme, malheureusement, en fait partie. Lorsque des travailleurs et des travailleuses immigré(e)s sont exploité(e)s dans des ateliers clandestins, il n’y a pas grand monde pour le dénoncer avec autant de force que la prostitution. Qu’est-ce qui se passe de si grave, de si douloureux pour une société dans le travail du sexe ? Qu’est-ce qui se joue là de si fondamental que tous les arguments convergent contre le travail du sexe ? »

« Je ne pourrais pas travailler dans un abattoir. Je ne pourrais pas être non plus spéléologue ou infirmière. Faut-il pour autant interdire ces métiers ?, lance avec malice Sonia, prostituée à Bruxelles qui a une dent contre certaines féministes. Je ne les appelle pas des féministes parce qu’une vraie féministe, c’est pas ça. Une féministe, elle accepte d’entendre la parole de toutes les femmes. Il n’y a pas des femmes qui méritent d’être défendues et d’autres qui ne le méritent pas. Je crois que ça les arrange cette histoire d’esclavage. Elles nous empêchent d’avoir le droit à la parole, parce qu’elles ont très peur de ce qu’on pourrait dire. Dès qu’une fille dit qu’elle va bien, que c’est un métier qui lui convient alors, là, il faut la tuer. Moi, je n’ai jamais été interrogée par une prohibitionniste. Elles vont chercher des filles qui sont dans la drogue, des filles qui travaillent dans des conditions abominables dans la rue. C’est uniquement sur ça qu’il faut se battre et ne pas faire un amalgame qui n’est que du populisme politique. »

Régulièrement, des enquêtes paraissent pour expliquer que de nombreuses prostituées ont été violées dans leur enfance. Ce n’est pas le cas chez les interviewées qui refusent d’endosser un rôle de victimes. « Fait-on ce genre d’études pour les secrétaires ou les ouvrières ? Non, on les fait seulement chez les putes… » Tous les moyens sont bons pour stigmatiser les prostitué(e)s. Les moralistes attaquent sous divers masques. « Mon corps n’est pas un tabernacle !, insiste Sonia. Pour moi, mon sexe n’est pas sacré, ça ne vient pas du divin, ce n’est pas fait que pour avoir des enfants, ou faire l’amour par désir pour l’homme que j’aime. Moi, mon sexe me sert au travail, et il me sert dans ma vie privée. Mais ce n’est pas le même parce qu’il n’est pas donné de la même manière. »

S’il fallait le rappeler, le film revient sur la dimension humaine et sociale de la prostitution. « Quelquefois, il y en a qui viennent juste pour tenir la main d’une femme, en respirer l’odeur, sentir l’épaule, et puis ils sont contents. Ils se rappellent peut-être quelqu’un d’autre. Dans ces cas-là, je suis un substitut d’amour », explique tendrement Pascale. Marianne s’est spécialisée dans une clientèle composée de personnes handicapées. En pratiquant des « tarifs sociaux », elle offre à des personnes « considérées comme des monstres par la société » de rares moments d’humanité. La sexualité des personnes handicapées est un tabou parmi les tabous. Parfois, elles doivent économiser pendant six mois pour pouvoir connaître un orgasme avec une « professionnelle ». Intenable. Un client, infirme moteur cérébral depuis sa naissance, livre un témoignage poignant. Marianne, l’une des « belles personnes » du film, s’est inscrite parallèlement dans une formation d’infirmière psychiatrique. Un médecin lui a avoué que ses patients prennent moitié moins de médicaments depuis qu’elle leur permet d’avoir des relations sexuelles régulières. Oui aux « assistantes sexuelles », non aux camisoles chimiques !

Les films de Jean-Michel Carré ont l’habitude de prendre les idées reçues à rebrousse poil. Celui-ci casse encore bien l’hypocrisie ambiante. Depuis la loi pour la sécurité intérieure pondue en mars 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, une série de nouveaux délits répriment la prostitution. Ainsi, pendant que l’économie de marché se gave de sexe via salons, soirées sex-toys, films et Internet, que les médias font du sexy un argument massue, les prostitué(e)s sont obligé(e)s de longer les murs pour ne pas être accusé(e)s de « racolage passif ». Le sex appeal s’est démocratisé sur fond de pseudo libération sexuelle. Mademoiselle et madame Toulemonde sont sommées d’être sexy pour être dans le coup. Les putes, elles, sont priées d’aller se rhabiller. « Autrefois, on reconnaissait une pute à la manière dont elle s’habillait, constate Isabelle. Si ça continue, avec la loi, ça va être l’inverse. On peut voir des nanas habillées hyper sexy et les prostituées ont à cœur de s’habiller bien classique pour ne pas se faire repérer par les flics… » C’est qu’elles risquent gros entre PV, amendes, contrôles fiscaux, retrait de la garde des enfants…

Dédié à Grisélidis Réal, romancière, peintre et prostituée décédée en 2005, le documentaire de Jean-Michel Carré donne également la parole à Yvan (client de Sonia depuis dix ans), à Gaby (ex-prostituée qui veut créer une maison d’accueil pour les prostituées âgées « oubliées » sans ressources, ni sécurité sociale, ni retraite), à Alain (escort boy), à Maîtresse Nikita (président de l’association Les Putes et naturopathe), à Lisa (directrice de maison close à Genève)… Chaque témoignage nous questionne sur les rapports hommes/femmes, sur les pratiques sexuelles, sur la notion de travail, sur le contrôle de la sexualité par le pouvoir. Ce reportage explique enfin que la répression anti-prostitué(e)s fait totalement le jeu des proxénètes et des mafias. C’est en sortant la prostitution de la clandestinité que l’on pourra lutter contre les réseaux esclavagistes. C’est en donnant un statut et des droits aux prostitué(e)s qu’elles/ils pourront se défendre contre les maquereaux dont le principal demeure l’État.

Les travailleu(r)ses du sexe - et fière(e)s de l’être (1h25, France, 2009) documentaire écrit, réalisé et filmé par Jean-Michel Carré sera dans les salles à partir du 3 février 2010. Un film produit par les Films Grain de sable/Simple production/RTBF-télévision suisse romande et la participation de France 2. Un livre portant le même titre sortira aux éditions du Seuil courant 2010.

Le site du STRASS –Syndicat du TRAvail Sexuel

PACO sur Le Post.fr

Messages

  • Enfin un peu de vérité sur un métier tant décrié, qui pourtant en vaut bien d’autres, à tous points de vue.

    • Un métier qui en vaut un autre , nous dites vous ?
      Conseillez donc à votre fille de le pratiquer mais éclairez la sur tout : le danger de se faire rançonner par un mac , la violence des clients , leur crasse , leurs exigences de toutes sortes ,plus dégueus les unes que les autres mais le client est roi , n’est ce pas ? et leur mépris.
      Oui .."un métier qui en vaut en autre" !
      c’est hallucinant de lire encore des choses pareilles !

  • Les eunuques du palais impérial étaient sans doute aussi très fiers d’être EUNUQUES DU PALAIS IMPERIAL !!!!

  • Ce qu’il y a de terrible avec le sujet de la prostitution, c’est que ça oblige à se coltiner toutes ses propres contradictions, et à bien réfléchir à ce qu’est le salariat, l’exploitation des travailleurs, à la confronter à ce que font les travailleuses & travailleurs du sexe et à se demander si au fond (ahah) cela ne reviendrait pas un peu au même, avec quelques différences toutefois finalement bien moins pregnantes que les ressemblances.

    Ce qu’il y a en revanche de plus troublant, c’est de voir certaines personnes qui se prétendent progressistes condamner fermement et aveuglément tout ce qui a trait de près ou de loin à la prostitution, et enfermer prostituées, clients, proxénètes et mafias dans un même sac pour le jeter loin, très loin, le plus loin possible de leurs capacités de réflexion.

    Pire encore : je me souviens du regard de dégoût d’une amie pour une transsexuelle dans une manifestation. De ses propos immondes, inqualifiables à leur encontre. De son refus de parler de leurs droits. Du fait qu’on en était arrivés à parler de prostitution (car oui, selon certains, trans = putes, systématiquement) et qu’elle avait eu les mêmes mots, là encore, pour les prostitué-e-s.
    Cette amie était pourtant une progressiste, selon elle.

    Bref, il reste encore beaucoup à faire. A apprendre. A transmettre.

    (k)G.B., qui se pose des questions et n’a pas de réponses toutes faites là dessus.

    • je crois que les travailleurs et travailleuses du sexe devrait avaoir une formation et que cette matiere soit enseigneé et pourquoi pas un bac pro .

      Et comme le mariage qui parfois est une servitude sexuelle,et comme le salariat est aussi une exploitationn du coprs,il y a obligatoirement une égalité de statut .

      Donc je serai trés content et toi aussi quand nos filles nous diront :
      Papa je vais passer un bac pro pute ,pardon travailleuse du sexe et j’ai déja commencé un stage pratique avec 12 patients dans la journée.

      les conneries passées à la moulinette du discours pseudo intellectuel psychanacon ,raménées au réel ça fait du bien.

  • l’apologie de la marchandisation du corps toujours la propagande libéral-libertaire voila qui va déculpabiliser les clients ! on a besoin d’une nouvelle révolution sexuel qui abolira les rapports marchands entre les corps désirants n’oublier pas que les anarchistes du 19éme avec raison pourchasser les clients pour les corriger.

    • Merci pour ton commentaire plus que pertinent !

      Il faut traquer TOUS ceux qui rabaissent la dignité à quelques piècettes : prostitué(e)s volontaires ET clients, beaucoup manquent d’éducation et tous ont besoin de thérapie !

      Les gouvernements des états qui tolèrent la prostitution sont de facto des proxénètes. Et même quand c’est illégal, les économies parallèles sont nécessaires à la survie du capital.

      signé : le fils de la pute "Marie" (Sexe, prostitution et contes de fées)

    • Une femme sexy n’est ni travailleuse du sexe ni nonne !

      Contre une stigmatisation dangereuse

      Il est dangereux de laisser entendre qu’une femme qui porte des jupes courtes avec des talons hauts est une "pute" ou versus plus euphémisé "vulgaire". La vulgarité n’est pas une affaire de hauteur de jupe ! Surtout comment dés lors expliquer aux jeunes adolescents qu’il ne faut pas stigmatiser leurs copines en usant du terme "pute". Ou alors il faut admettre que le terme "pute" a plusieurs sens. Ce qui est d’ailleurs exact.

      Faut-il rappeler qu’une femme sexy (jeune ou pas, fine ou pas) cherche du plaisir pour elle dans un cadre hétérosexuel ou homosexuel alors qu’une travailleuse du sexe fait commerce d’une partie de sa sexualité contre rétribution financière et sans plaisir. Il peut y avoir du plaisir il y a surtout de façon générale de la souffrance et une forte aliénation. C’est pourquoi la prostitution devrait être combattue fermement.

      L’ordre moral patriarcal et famillialiste entend circonscrire par des normes ce qui est acceptable.
      Cela concerne les femmes mais aussi les hommes.
      Exemple : Ce propos d’une femme (une vendeuse) : la jupe en-dessous du genoux cela fait mamie, la mini-jupe c’est pour les moins de trente ans la jupe pour vous (femme entre 50 et 60 ans) c’est juste au-dessus du genoux. L’espace de liberté est mince si l’on veut se conformer. Il reste le pantalon certains sont sexy et d’autres pas.

      Personne n’empêche quiconque de devenir nonne mais ce n’est guère attrayant pour de très nombreux jeunes. Le modèle de la religion serait sans séduction et sans sexualité. Il faudrait pour la jeunesse une spiritualité et une religiosité digne des octogénères ! D’un autre côté la marchandisation incite à son contraire.

      L’éloge des femmes passives - Les mots sont importants (lmsi.net)
      http://lmsi.net/L-eloge-des-femmespassives

      Essayons un mixte : Déguisement de nonne sexy

      Déguisement et Fête | Pour croyants et non croyants !
      A chacun ses gouts ! Certains sont anodins .

      http://www.deguisement-et-fete.com/product.php?id_product=2278

    • Zéromachos /

      Les confusions de Frédéric Joignot sur la prostitution (in Le Monde).

      Dans le supplément « M » du quotidien Le Monde du 9 juin 2012, p. 33, Frédéric Joignot rend compte de la manifestation du Strass (Syndicat des travailleurs du sexe), qui s’est déroulée à Paris le 2 juin. Il se joint à la protestation de ce lobby contre la proposition de loi Geoffroy-Bousquet « visant à pénaliser les clients ». Zéromacho a produit une lettre ouverte pour appuyer cette proposition.

      http://www.zeromacho.eu/actions.htm...

      L’article se termine ainsi : « Le client n’est pas un criminel s’il sollicite les services d’une personne majeure consentante ; soumis au droit commun, il ne doit pas utiliser la force ou la menace, ou abuser de la faiblesse d’une personne. Dès lors, rien n’autorise sa pénalisation. Pourtant, PS et UMP entendent le réprimer. Au nom de quel principe ? Ces rapports sexuels entre adultes consentants sont payants. L’amour tarifé serait éthiquement inférieur à l’amour gratuit. Il doit donc être prohibé. Tous ceux qui ne partagent pas ce jugement moral discutable doivent-ils être emprisonnés et rançonnés ? Faudra-t-il pénaliser les mariages d’argent ? Les hommes seuls cherchant une sexualité ? Les puceaux attardés en quête d’éducation ? Les célibataires handicapés ? »

      N’est-ce pas un morceau d’anthologie ? On y trouve le « consentement » au lieu du désir, « l’amour » au lieu de la sexualité, la « rançon » au lieu de l’amende, la comparaison fallacieuse avec le mariage (qui, lui, donne des droits et des devoirs), l’argument de la solitude (masculine uniquement), la fonction pédagogique de la prostitution, et les immanquables handicapés, des hommes seulement, bien sûr !

      Absentes en revanche, les notions de réciprocité, d’égalité, de respect de l’autre et encore plus de désir ou de plaisir partagés !

      Comme si le système prostituteur, fondé sur des violences, pouvait remédier à des souffrances existentielles ! Comme si une pratique de domination prenant une forme sexuelle pouvait être une solution !

      Quel dommage de voir un journaliste reprendre sans aucune distance les arguments d’un lobby !

      Les responsables de Zéromacho,

      Gérard Biard, Patric Jean et Frédéric Robert,

      avec Florence Montreynaud