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PORTO ALEGRE DOIT VIVRE : Un nouveau monde est possible

Publie le lundi 1er février 2010 par Open-Publishing
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« Celui qui pense qu’il est trop petit pour avoir de l’influence n’a jamais dormi avec un moustique ».

Proverbe africain

Davos : un nom qui signifie capitalisme sauvage et qui organise rituellement sa grande messe en cette fin du mois de janvier. La 40e édition de la réunion annuelle de Davos a pour thème « Améliorer l’état de la planète : repenser, remodeler, reconstruire ». La régulation du secteur bancaire est un des thèmes principaux de la 40e édition du Forum économique mondial qui se tient jusqu’à dimanche. « Ce que propose Obama va dans le bon sens mais ne va pas assez loin. Nous devons séparer les banques commerciales des banques d’investissement », a affirmé l’économiste Nouriel Roubini, connu. Souvenons-nous comment les banques ont été « sauvées » : Jacques Marseille professeur d’économie écrit : « Amorcée le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers, qui restera dans l’Histoire comme le krach du jeudi 24 octobre 1929, la crise aurait détruit à ce jour 50 000 milliards de dollars - l’équivalent d’une année de PIB mondial - et nécessité plus de 2 500 milliards de dollars - l’équivalent du PIB de la France - pour sauver le système financier mondial. »(1)

Le créateur du Forum économique de Davos, Klaus Schwab, appelle les « patrons » à « passer de la logique des bénéfices à celle du bien public ». Aurait-il viré à gauche ? Non, notre homme est un habitué de ce genre d’incantations : tout dire...pour ne surtout rien changer ! (... Voilà que le créateur du rendez-vous des puissants de Davos nous explique qu’« il est temps pour les patrons de passer de la logique des bénéfices à celle du bien public », que « [la crise] nous engage à repenser l’évolution de nos systèmes de valeurs, nos normes éthiques et nos mécanismes de régulation économiques, politiques et sociaux » et qu’« à agir comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve, nous porterions un coup fatal à l’humanité ». Le créateur du Forum de Davos en appeler au « bien public » ! Davos et Porto Alegre, Forum économique et Forum social, même combat ! Vrai-faux naïf, aussi et surtout, parce que son texte paru dans Le Monde, sert insidieusement à expliquer que « le bonus des traders est un mauvais débat » : « Le débat sur les bonus n’est en réalité qu’un symbole (...) » Et si l’on commençait justement par s’attaquer à ce genre de « symboles » que sont les bonus des traders ? Et si l’on poursuivait avec un autre « symbole » qu’est le Forum de Davos ? (2)

Le rentier et le travailleur
De quoi ont parlé les riches de ce monde en dehors de leurs affaires ? Davos s’est intéressé le jeudi 28 janvier aux pays pauvres. Outre ce débat, le Forum organisait un déjeuner sur le thème : « Comment aider les Etats fragiles ? » L’enjeu est de doubler la production d’ici 2050 pour nourrir les neuf milliards de personnes. Néanmoins, quelques idées fortes se sont dégagées. L’augmentation de la productivité est indispensable mais ne saurait être la seule solution. Certains pensent que tout est lié à la démographie. Pour tous les problèmes du monde : réchauffement climatique éventuel, maladies, famine, analphabétisme, etc..., il y a pour certains malthusiens un point commun, c’est la natalité non contrôlée d’une immense partie des familles de notre planète.

Le mercredi 27 janvier, Nicolas Sarkozy prononçait, à Davos, le discours d’ouverture. Si les mots n’étaient pas identiques, le message exprimait la même urgence : celle d’un assainissement du capitalisme financier. C’est l’impérieuse nécessité de mieux contrôler l’unique marchandise qui ne l’est pas dans le monde de la globalisation économique : les produits financiers. M.Sarkozy a stigmatisé les « dérives du capitalisme purement financier » et, dans le même souffle, critiqué « une mondialisation qui a dérapé du moment où il a été admis que le marché a toujours raison ». (...) Pour Attac France : Tout changer pour que rien ne change : tel est le message que Nicolas Sarkozy a martelé devant ses amis de Davos. Entonnant son habituel couplet pseudo altermondialiste - avec un hommage inédit au « nouveau citoyen mondial » - il a stigmatisé « le rentier qui l’emporte sur le travailleur », la « flambée des inégalités » et les « profits excessifs qui ne sont plus supportés ». Dénonçant le dumping social et environnemental dû à la prédominance des règles du libre-échange sur les droits sociaux, il a reconnu la duplicité des gouvernements, le sien inclus : Nous rognons à l’OMC et au FMI ce que nous décidons à l’OIT et à l’OMS. Après cette douche froide (....) Nicolas Sarkozy a rapidement prouvé combien il s’agissait de mots creux. Il s’est contenté de demander qu’on applique les décisions ultratechniques déjà prises par le G20 (...) Message subliminal du discours : la France ne propose aucune initiative nouvelle.(...) En arrière-plan de ce discours, la crainte avouée des réactions populaires : « Si nous ne changeons pas, les changements nous seront imposés par les crises économiques, politiques, sociales. »(...) (3)

A côté de Davos, Porto Alegre un nom de légende tant il représente l’espoir de milliards de personnes victimes justement du capitalisme obscène qui s’exhibe à Davos. Commentant l’ouvrage de Bernard Cassen paru en 2003 Tout a commencé à Porto Alegre, Pascal Boniface le présente, lui qui a été à l’origine du Forum social mondial (FSM). Ce dernier décrit l’histoire de ce mouvement dont l’impact n’est plus à discuter aujourd’hui. Tout a commencé en février 2000, lors d’une conversation avec deux visiteurs brésiliens. B.Cassen nous raconte qu’il s’est précipité dans le proche bureau de Ignacio Ramonet pour lui dire : « Ignacio, nous allons monter une opération historique, couler Davos. » On peut dire que l’objectif a été atteint. Le Forum de Porto Alegre et les suites qu’il a eues dépassent désormais, non seulement en termes d’assistance mais surtout en termes d’impact, celui de Davos. (...) Ainsi, l’affirmation clé de Porto Alegre venant à la suite de celle d’Attac (l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens), c’est qu’un autre monde est possible. Elle est, note B. Cassen, proprement révolutionnaire, car elle récuse le caractère irréversible et inévitable, et pour tout dire heureux, de la mondialisation libérale. (...) L’auteur livre une réflexion capitale sur la volonté de la famille altermondialiste de ne pas être récupérée par la frange de l’extrême gauche la plus active, (...) ce qui reviendrait à tarir les sources de recrutement de nouvelles forces du combat.(4)

« Je vais à Davos avec une mission : montrer que si le monde développé avait fait ce qu’il avait à faire, nous aurions évité la crise. » déclare Lula le président brésilien. Les vivats retentissent dans le stade où 7000 militants étaient venus l’ovationner mardi 24 janvier à Porto Alegre (sud du Brésil). Le président brésilien prenait part au Forum social mondial (FSM), la rencontre des pourfendeurs de la mondialisation néolibérale, revenue cette année dans la ville où elle a vu le jour il y a dix ans. Comme au début de son mandat, en 2003, il se rendra donc aussi chez l’adversaire : le forum de Davos (Suisse), où il compte « jeter à la figure des pays riches » la crise, mais aussi l’échec du sommet de Copenhague sur le climat « L’un des acquis du FSM, c’est de l’avoir anticipée », se félicite un de ses organisateurs, le sociologue brésilien Cândido Grzybowski.(5)

« La crise a légitimé notre discours, reprend Cândido Grzybowski. Les thèses néolibérales ne sont plus à la mode, tout le monde est d’accord désormais qu’il faut faire quelque chose. » Mais le sociologue ne se fait pas d’illusions. Le capitalisme accuse le coup, « il a sept vies ». Les plans de relance et autres mesures de sauvetage des banques cherchent à éviter l’effondrement du système, pas à le changer en profondeur.(...) Mais les mesures du G 20 (les dix-neuf plus grandes économies plus l’UE) font sourire. « On en est à la pharmacie de campagne quand il faudrait un hôpital d’urgence, résume Bertho. Je crains que le pire soit devant nous. » Même son de cloche chez Susan George, la présidente d’honneur d’Attac France, pour qui, non seulement « la crise n’est pas finie », mais « il y en aura une autre très bientôt ». Et d’admettre que la mouvance altermondialiste « n’a pas encore réussi à obliger les pouvoirs publics à prendre en compte ses revendications »...Selon elle, l’entrée en scène des grands pays émergents dans la gouvernance économique mondiale « n’a rien changé : Le G 20 travaille à remettre en selle le système financier tel quel. (..)Pour le reste, c’est reparti comme avant : les banques refont de la titrisation et le FMI - renfloué sans conditions par le G 20 - continue d’imposer en échange de son secours des politiques d’ajustement structurel désastreuses pour les pays du Sud. »(5)

Pour la dixième année consécutive cette année et comme pendant de Davos, débutent à Porto Alegre au Brésil cinq jours de débats pour tirer un bilan et dresser des perspectives face à la crise globale. « Depuis quarante ans à Davos, les multinationales et les maîtres de la finance entendent subordonner les politiques et les dirigeants des États à leurs propres intérêts. La dérégulation des marchés qu’ils ont impulsée a précipité le monde dans la crise économique. Depuis dix ans, à Porto Alegre puis dans le monde entier, le mouvement altermondialiste dénonce le néolibéralisme et propose des alternatives pour sortir de la crise et du système en place. Il démontre qu’un autre monde est possible. (...) »

« Face à la pensée unique, il a transformé l’imaginaire des possibles. Il a porté dans le débat public des alternatives concrètes, comme la suppression des paradis fiscaux, le contrôle public des banques, la taxation des transactions financières et la réduction des inégalités de tous ordres, la nécessaire création de biens publics mondiaux. Ses propositions sont aujourd’hui discutées au plus haut niveau, sans pour autant être transformées en actes concrets qui permettraient de répondre aux urgences sociales et écologiques. (...) Dix ans après, il fait face à un contexte transformé, marqué par une grave crise économique et sociale, des recompositions géopolitiques majeures et une crise écologique sans précédent. Loin de s’essouffler, il intègre ces évolutions et continue de dessiner de nouvelles voies pour l’émancipation des citoyens et la transformation des sociétés, pour que les droits humains priment sur les intérêts d’une minorité de privilégiés.(6)

On dit que les altermondialistes, après 10 ans de combat d’idées, se cherchent. Pour Jean-Pierre Langellier : « Les altermondialistes vivent une crise d’identité qui s’est reflétée dans les débats du Forum social mondial (FSM) qui ont pris fin vendredi 29 janvier à Porto Alegre (Brésil). Les participants à cette rencontre, qui marquait le dixième anniversaire du mouvement, ont émis peu d’autocritiques ex cathedra. Le FSM affronte un problème de fonctionnement, dû à sa nature même, celle d’un mouvement qui se veut autonome(..). Comment concilier les exigences globales et les aspirations locales ? (...) Pour mieux articuler le "global" et le "local", le FSM cherche depuis plusieurs années la solution en décentralisant ses débats. Après le lever de rideau de Porto Alegre, 27 forums régionaux auront lieu cette année dans le monde entier. Sur le fond, peu de réponses ont été apportées à ceux qui déplorent que "l’usine à idées" du Forum produise aussi peu d’outils conceptuels pour mener des actions concrètes, permettant à la société civile globale de s’affirmer ».

Tous analysent la crise financière mondiale comme une bonne nouvelle qui valide les thèses du Forum, et la décrivent comme le plus grave symptôme « des limites », « de l’usure », voire « de l’échec » du capitalisme. Mais ils sont déçus que la famille altermondialiste n’ait pas su exploiter l’événement à son profit en mobilisant massivement les énergies.(...) Rares sont ceux qui, comme Bernard Cassen, de l’association Attac se livrent à quelques constats gênants, par exemple à propos de la Chine d’aujourd’hui, qu’il dit ne pas tenir « pour une alliée des mouvements sociaux ». « Nous devons, ajoute-t-il, cesser de considérer les pays du Sud comme un ensemble homogène où les rivaux de nos adversaires seraient forcément nos alliés. »(7)

Un projet au pluriel

Il est vrai, comme l’écrit Samir Amin : « Le projet de construire "un autre monde possible", se décline au pluriel ». Déjà en 2005, Bruno Rebelle, directeur des campagnes de Greenpeace-International, écrivait que le risque de démobilisation est fort. Face à l’éparpillement et l’étalage sans fin des causes à défendre, une mobilisation sur quelques actions fédératrices -par exemple le changement climatique-, permettant d’obtenir des résultats tangibles, est indispensable. Tout comme l’est la construction d’une vision commune, tant le mouvement « alter » est traversé de contradictions, sociologiques, idéologiques et stratégiques, que ce recueil met bien en évidence. Cette vision pourrait être tout simplement fondée sur l’universalité des droits de l’Homme, propose Gustave Massiah, qui en décline les exigences concrètes dans un « projet pour le mouvement altermondialiste » convaincant.(8)

Peut-on dire pour autant que les Altermondialistes se sont essoufflés ? Il faut le craindre ! Mais leur cause n’est pas passée de mode. Ce n’est pas parce que le capitalisme renaît toujours de ses cendres qu’il faut baisser les bras. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’il est condamné par l’histoire à disparaître. La prise de conscience mondiale qu’un autre monde est possible doit trouver de nouveaux mécanismes pour précipiter la chute du capitalisme sauvage avant qu’il ne compromette dangereusement la vie sur Terre. C’est cela le futur combat, les changements climatiques.

Du point de vue éthique, les 50 milliardaires, qui sont plus riches que le milliard d’Africains, envisagent-ils de prendre le gain de leurs rapines quand ils rentreront dans le Royaume des morts ? Pourtant, ils doivent savoir qu’une petite obole suffit au vieux Charon pour leur faire traverser sur sa barque le Styx et l’Achéron. Cette somme exigée ne pouvait être au-dessous d’une obole ni au-dessus de trois ; aussi avait-on soin de mettre dans la bouche du mort l’argent nécessaire pour payer le passage. A quoi leur sert alors d’affamer le monde ?

1.Jacques Marseille, Le Point, jeudi 21 janvier 2010.

2.Gérald Andrieu : Davos et Porto Alegre, même combat ? Marianne 5. 01. 2010

3.Attac France : Sarkozy à Davos : l’insoutenable légèreté des mots 28/01/2010

4.Pascal Boniface : Tout a commencé à Porto Alegre ! IRIS printemps 2004

5. Chantal Rayes : A Porto Alegre, Lula est accueilli en alter héraut. Libération 28/01/2010

6.Attac France, 26.01.2010 http://www.france.attac.org/spip.php?article10715

7.Jean-Pierre Langellier : Dix ans après sa naissance, le mouvement altermondialiste s’interroge sur son avenir politique - Le Monde.fr 29.01.10

8.Antoine de Ravignan. L’altermondialisme a-t-il un avenir ? Alternatives Internationales - n°22 - Mars 2005

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

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