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Hommage à Jules Durand au Havre, un « Dreyfus ouvrier »

1er décembre 2010, 23:42, par Charles

Lutte Ouvrière n°2209 du 3 décembre 2010

Il y a cent ans : 25 novembre 1910, condamné à mort parce que syndicaliste

Il y a cent ans, le samedi 25 novembre 1910, Jules Durand, secrétaire du syndicat des charbonniers du Havre, était condamné à mort. Le tribunal de Rouen l’avait jugé coupable de « complicité morale » dans l’assassinat d’un certain Dongé.

L’affaire remontait à deux mois. En pleine grève des charbonniers du Havre, les dockers qui chargeaient et déchargeaient le charbon dans les soutes des bateaux, Dongé, un jaune notoire, décéda des coups reçus lors d’une bagarre d’ivrognes. Le patronat local, décidant de tirer profit de cet événement, trouva et stipendia des témoins pour affirmer à la police et à la presse que la mort de Dongé avait été votée en assemblée générale des grévistes. Les autorités du gourdin et celles de la plume n’ayant rien à refuser au patronat, Durand et plusieurs de ses camarades furent arrêtés. Les charbonniers reprirent le travail sans avoir rien obtenu.

Les accusations contre Durand et les autres militants ne tenaient pas debout. Non seulement les grévistes n’avaient évidemment pas voté quoi que ce soit contre Dongé, mais Durand les avait prévenus contre toute forme de provocation. Car la colère des charbonniers risquait d’être à la mesure de leur exploitation. Ils étaient à l’époque quelques milliers à descendre dans les soutes des transatlantiques et des navires charbonniers pour pelleter le charbon. Embauchés à la journée, payés au rendement, soumis au bon vouloir des contremaîtres, risquant leur vie sous les éboulis à fond de cale, silicosés, les charbonniers étaient de plus tellement mal payés qu’une soupe populaire était installée à demeure sur les quais. Le patronat avait pris soin qu’y soient aussi installés en permanence de nombreux débits d’alcool et un poste de police.

Ce sont ces « damnés de la terre » que Jules Durand et quelques militants avaient entrepris d’organiser en formant un syndicat, affilié à la CGT. Et c’est bien parce que ce jeune syndicat, déjà fort de quelques centaines de membres, menaçait de grandir encore que le patronat du Havre tenait à le briser.

Cet épisode de la lutte de classe, comme il y en avait d’autres dans le pays à cette époque, prit une tournure nationale à cause de l’outrance de la condamnation à mort. Que la justice soit aveuglément pour le patronat, les travailleurs et le mouvement ouvrier en avaient l’habitude. Mais condamner à mort un homme pour le simple fait d’être un militant ouvrier, cela souleva l’indignation.

Le lundi suivant le verdict, des milliers de travailleurs, et pas seulement des charbonniers, débrayaient au Havre et se rassemblaient pour exiger la révision du procès. La CGT et le Parti Socialiste entamèrent une campagne en ce sens, ponctuée de meetings et de manifestations dans toutes les villes de France. Jules Durand fut finalement libéré le 16 février 1911. Mais la prison, et probablement l’injustice, avaient eu raison de lui, il dut être interné et il finit ses jours dans un asile psychiatrique. La justice ne le réhabilita pleinement qu’en 1918.

Aucun patron du Havre, aucun juge, aucun accusateur rétribué ne fut jamais inquiété.

Paul GALOIS