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(video) Piazza Fontana, Milan, 12 décembre 1969 : Qu’est ce que c’est que ce putsch ? je sais, moi

13 décembre 2011, 09:22, par Roberto Ferrario

Le massacre de Piazza Fontana : Un « mystère » que l’on a jamais voulu élucider

par Fluvio di Cicero

Parmi les nombreux « mystères » de la tragique histoire criminelle italienne, celui du massacre de Piazza Fontana est, probablement, le moins « mystérieux », le plus clair dans sa dynamique et dans ses responsabilités : la droite subversive d’ « Ordre nouveau » et ses ramifications en Vénitie à la fin des années 60, sa politique meurtrière, dont l’attentat milanais a constitué seulement une étape, la plus marquante.

Pourtant, malgré cela, personne n’a été condamné pour ces attentats et les faits de Piazza Fontana peuvent désormais être considérés comme un épisode historique sur lequel des pressions énormes ont été exercées pour que l’on arrive jamais à établir une vérité judiciairement reconnue. Le juge Guido Salvini – qui, comme nous le verrons, est le magistrat qui, dans les années 1990, s’est approché plus que tout autre d’une vérité incontestable – affirme : « Je continue à me demander, et je ne suis pas le seul, pourquoi pour des enquêtes anciennes et nouvelles, de l’homicide de Calabresi aux Brigades Rouges, en passant par Abu Omar, sans parler des histoires de mafia et de corruption, on a consacré à Milan les plus grandes forces et un engagement total, on a travaillé avec intelligence, et pourquoi Piazza Fontana est restée en revanche ’au placard’ »

Le massacre

La mémoire courte de l’histoire italienne fait de l’explosion de 16h37 dans la Banque Nationale de l’Agriculture à Milan un épisode unique. Et, au contraire, ce fut l’acte final d’une longue série d’attentats attribuables à un groupe néo-nazi, formé en Vénitie, dans les régions de Padoue et de Mestre, à partir des attentats à la bombe, qui n’ont pas fait de victimes, du 25 avril 1969, toujours à Milan et à d’autres attentats organisés dans la Vénitie « blanche », jusqu’au massacre final dont nous commémorons aujourd’hui le quarantième anniversaire. Il suffit de penser qu’entre 1968 et 1974, ce sont près de 140 attentats à la bombe qui se sont succédés, tous d’origine fasciste et nazie, car, comme l’a avancé Salvini, ’Ordre Nouveau’ « était la seule organisation terroriste qui ne se posait pas la question des victimes civiles et, dans les documents dont elle s’inspirait, il était théorisé la nécessité de s’opposer maintenant et par tous les moyens, y compris le chaos, à l’avancée du communisme, favorisée par un système parlementaire bourgeois conçu comme décadent et pourri dont il n’y avait à sauver, peut-être, que les militaires ».

Dans cet après-midi hivernal, il y eut d’intenses négociations entre les opérateurs du marché agricole et, par conséquent, le grand hall de la banque était bondé. Le sac avec la TNT et la minuterie avait été placé sous la grande table sur laquelle s’appuyaient les clients, ne serait-ce que pour rédiger un bordereau de paiement. L’explosion est énorme : 17 personnes moururent (Giovanni Arnoldi, Giulio China, Eugenio Corsini, Pietro Dendena, Carlo Gaiani, Calogero Galatioto, Carlo Garavaglia, Paolo Gerli, Vittorio Mocchi, Luigi Meloni, Mario Pasi, Carlo Perego, Oreste Sangalli, Angelo Scaglia, Carlo Silvia, Attilio Valè, Gerolamo Papetti) ; 88 personnes furent blessées.

La piste anarchiste

Le 17 décembre, le « Corriere della Sera », avec à sa tête son rédacteur en chef historique Giovanni Spadolini, s’ouvre sur la nouvelle suivante : l’arrestation du monstre, c’est-à-dire l’auteur de l’attentat : il s’appelle Pietro Valpreda, un danseur anarchiste qui fréquente le cercle de Ponte de Ghisolfa à Milan. Le Président de la République Giovanni Saragat s’empresse d’envoyer un billet de félicitations inattendu au préfet de police de Milan Marcello Guida. Il se baserait sur le témoignage d’un chauffeur de taxi, Cornelio Rolandi, selon lequel, au cours de ce fameux après-midi, il aurait accompagné Valpreda (qu’il reconnaît d’après des photos et d’après un processus d’identification largement influencé par les enquêteurs et donc peu fiable) à Piazza Fontana [c’est seulement des années plus tard, qu’il apparaîtra qu’un homme très ressemblant à Valpreda, son ’sosie’, s’est fait déposer en taxi à Piazza Fontana : c’est le début du brouillage de pistes ndr]. L’anarchiste milanais, avant d’être libéré en décembre 1972, après que le Parlement a approuvé une loi qui introduit la liberté provisoire même pour des délits graves. A présent, les enquêtes ont pris le chemin du néo-fascisme padovien et les magistrats sont convaincus que, pour Piazza Fontana, les anarchistes n’y sont pour rien. Il sera acquitté avec la même formule douteuse qui permettra à tous les fascistes de rester impunis. Il mourra en 2002. Le chauffeur de taxi Roland était déjà mort en 1971.

Le néo-nazisme vénitien

Le tissus de contradictions qui caractérise les enquêtes des premières années semble se dissiper dès le 13 avril 1971, quand le juge de Trévise, Giancarlo Stiz, arrête Franco Freda et Giovanni Ventura. Autour de ces noms, c’est le dénouement de l’enquête qui est en jeu, comme l’expliquera plus tard clairement l’enquête réouverte par le juge Salvini dans les années 1990. Freda et Ventura sont deux dangereux néo-nazis ; Freda est l’idéologue, et fonde une maison d’édition, « Ar » et en 1963 il écrit de sa main le manifeste du Groupe « Aristocratie aryenne », dans la lignée des théories nazies de Julius Evola. Stiz les accuse d’être les auteurs des précédents attentats à la bombe et du massacre milanais. Mais, après un long procès, tortueux, les deux ont été acquittés faute de preuves. La cour de Cassation, en 1995, présentera un tableau tout à fait différent, mais les deux ne peuvent plus être poursuivis et condamnés pour le même crime (selon le principe du ’ne bis in idem’). Le même Salvini isole dans le duo les véritables responsables de l’attentat à la bombe de Piazza Fontana : « Certainement, la matrice du massacre est désormais indiscutable, sa signature est celle de la croix celtique d’Ordre Nouveau. Les dernières sentences d’acquittement ont une ’vertu cachée’, et c’est-à-dire qu’elles posent clairement les choses : après les nouvelles enquêtes, et il est à retenir que l’on a trouvé la ’preuve posthume’ de la culpabilité de Freda et Ventura, toutefois il est impossible de les poursuivre car ils ont été acquittés faute de preuve pour les massacres de piazza Fontana même s’ils ont déjà été condamnés pour les attentats précédents ».

Les enquêtes de Guido Salvini

Si aujourd’hui nous connaissons, très certainement, la vérité historique et, en partie, aussi judiciaire sur le massacre de piazza Fontana, nous le devons à un juge courageux et compétent, Guido Salvini, qui, en 1989, presque par hasard (ou par un coup de chance), après qu’il ait retrouvé, de manière fortuite, des documents d’une enquête sur l’homicide de Sergio Ramelli (un étudiant membre du MSI tué à Milan en 1975), réouvre la piste néo-nazie et, en fait, se retrouve face à deux personnes : Carlo Digilio et Martino Siciliano, qui vont tous deux apporter une nouvelle lumière sur le massacre. Le premier a été extradé de Saint-Domingue, où il s’était réfugié ; on l’appelait « l’oncle Otto », selon plusieurs repentis de droite, comme Sergio Calore, celui qui s’est occupé concrètement de l’explosif à placer à piazza Fontana (bien qu’il ne l’ait pas placé lui-même). Le second vivait en Colombie, il s’était refait une nouvelle vie et une nouvelle famille mais ce sont des éléments des services secrets qui l’ont convaincu de collaborer, les mêmes qui avaient grandement contribué à brouiller les pistes des enquêteurs, dans une tentative évidente et posthume de se racheter moralement de leur sombre passé. Digilio et Siciliano ont emmené le juge Salvini à faire la lumière sur le groupe néo-nazi de Mestre, sur les préparatifs du massacre et sur tous les attentats réalisés avant et après.

Droite néo-fasciste et appareil d’Etat : complicité dans la Stratégie de la tension

Le cadre politique qui se dessine est exactement celui décrit par la première « contre-enquête » sur piazza Fontana, faite par des militants et des journalistes de la gauche extra-parlementaire publiée en 1972 (Le massacre d’Etat, qui fut raillé alors comme une oeuvre extrémiste par les lecteurs « bien-pensants » du « Corriere della Sera » ou par la « majorité silencieuse » milanaise qui soutenait directement le parti néo-fasciste du MSI de Giorgio Almirante), qui a infirmé la « vérité officielle », celle donnée par la police et les services secrets. Les « fascistes révolutionnaires » vénitiens, en lien avec l’appareil d’Etat, ont organisé les attentats à la bombe pour préparer le terrain à un coup d’Etat de droit, en prenant l’exemple de ce qui s’est passé en Grèce en 1967. Du chaos social provoqué par ces massacres, aurait émergé la nécessité d’un gouvernement d’urgence pour s’opposer à l’avancée du mouvement ouvrier et de la gauche en général, alors en pleine ascension. Mais le Président du Conseil, Mariano Rumor, a fait d’une certaine manière obstacle au projet et cela expliquerait ainsi la tentative d’assassinat dont il a été victime, et qui était l’œuvrede Gianfranco Bertoli, le 17 mai 1973, devant le siège de la police de Milan, qui a fait quatre morts.

Un personnage a joué un rôle clé, et il est devenu célèbre seulement après sa mort en 1996 (avant il était connu comme restaurateur et critique gastronomique dans l’Espresso) : Federico Umberto D’Amato, chef du « Bureau des Affaires Privées ». Inscrit à la loge P2 de Gelli, D’Amato travaillait en lien étroit avec la CIA. Seize jours après sa mort, Aldo Giannulli, qui travaillait avec Salvini, a découvert dans un vieil entrepôt de la via Appia à Roma près de 150 documents privés issus des archives de D’Amato. Dans ces documents, est expliqué le « contexte » dans lequel se déroulaient ces massacres et le travail effectué par le Bureau des Affaires Privées, il y est décrit minutieusement les projets d’infiltrations d’agents dans les groupes anarchistes, experts en armement et en explosifs, « comme si leur tâche n’était pas seulement d’empêcher les attentats, mais aussi d’en créer les conditions ou d’en donner l’idée », affirme Salvini.

Jugement des tribunaux et jugement de l’Histoire

L’enquête courageuse de Guido Salvini a permis d’arriver à un premier résultat éphémère : le 30 juin 2001, ont été condamnés à perpétuité Carlo Maria Maggi, Delfo Zorzi et Giancarlo Rognoni, tous néo-nazis de la cellule vénitienne. En appel (12 mars 2004), tous ont été acquittés. La cour de cassation a classé définitivement l’affaire, confirmant cette dernière sentence car les preuves n’ont pas été apportées « au-delà de tout doute raisonnable » de la culpabilité des accusés. Mais les mêmes juges de la Cour Suprême attribuent au néo-fascisme la responsabilité du massacre, tout en n’en punissant pas les auteurs.

Maintenant, dit encore Salvini, il y aurait un dernier témoignage, qui permettrait de faire un grand pas en avant dans la traque des responsables du massacre de piazza Fontana. Il s’agit d’un autre repenti, déjà connu dans les années 1990, mais réticent par peur : Gianni Casalini. Il y a un an, il a écrit une lettre au juge milanais, lui assurant qu’il voulait tout dire. Et il y aurait un autre mystérieux représentant du groupe de Freda, et ami de Delfo Zorzi, dont parle Casalini, mais que personne n’a jamais recherché. Parce qu’en l’absence de coupables, le juge Guido Salvini – dans l’histoire tragique de piazza Fontana – ne peut bouleverser l’histoire de ce pays, la réécrire.

Pour le plus grand bonheur d’une poignée de puissants et de leurs successeurs actuels.

Traduction AC

http://bellaciao.org/it/spip.php?article30353