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GUERRE des CLASSES, en FRANCEen 2011 : SPECIFICITE et PERSPECTIVE

14 décembre 2011, 23:44

Cher Alain.

Merci pour ta contribution au débat d’abord.

Rapidement, pour commencer.

Selon moi, il "manque deux bouts" (au moins) à cette analyse. Ou disons qu’il y a deux bouts avec lesquels je suis en désaccord, une fois n’est pas coutume.

Le premier bout, c’est ce qu’est devenu l’Etat capitaliste.

Le deuxième bout, c’est ce qu’est devenue la Nation.

Ce n’est pas par "anti-nationalisme primaire" que je pense que la voie "nationale" est périmée et que chercher à souffler dans les poumons d’un CADAVRE est une perte de temps qu’on ne peut pas se permettre.

C’est parce que la Nation n’existe PLUS dans les TÊTES. On peut le déplorer ou s’en réjouir, là n’est pas le débat. C’est un constat.

Sauf à croire, bien-sûr, que la Nation EXISTE (mais je ne l’ai jamais croisée au bistrot ;-)) - ce que je ne crois pas.

La "Nation", cette "communauté humaine identifiée dans des limites géographiques parfois fluctuantes au cours de l’histoire, mais dont le trait commun supposé est la conscience d’une appartenance à un même groupe" peux-tu me dire où tu la trouves, et comment, dans un pays aussi métissé que le nôtre aujourd’hui, je veux dire, ailleurs que chez les quinquas blancs "de souche" ? Peux-tu me dire avec certitude que la conscience "de classe" (même diffuse, même "dévoyée" dans le "riches/pauvres" etc) ne l’emporterait pas aujourd’hui sur la "conscience nationale" ? Franchement, je pense que la réponse n’est pas si évidente...

Penses-tu que les jeunes (des cités ou d’ailleurs) se sentent aujourd’hui appartenir à la "Nation française" ? Que les femmes de ménage comoriennes se sentent appartenir à la "Nation française" ? Que les manutentionnaires marocains se sentent appartenir à la "nation française" ? Que les yuppies de la classe moyenne, les traders... qui vivent un jour à Londres, un jour à Bangkok... se sentent appartenir à "la Nation française" ? HHMMM...

Valmy ? Mais qui aujourd’hui dans la majorité des lycéens de ce pays sait encore ce qu’est Valmy ? Sait encore ce que fut la Révolution française ? La Commune ?

Tu veux que je te dise ce que c’est "La Commune" pour la majorité des jeunes aujourd’hui qui n’ont ni parents communistes, ni parents un peu "lettrés" ? C’est une super série ultra-violente de C+ qui se déroule dans une banlieue glauque !

Il n’y a plus de Nation, car tout ce qui lui donnait une forme de "matérialité" ou presque a disparu. Même moi, je ne me sens pas appartenir à cela et je ne m’y reconnais pas ! Ce n’est "par choix idéologique", c’est une évidence pour de nombreuses personnes de ma génération.

C’est ce que signe la persistance de l’emploi (souvent péjoratif) de "Français d’origine..." (algérienne, russe, portugaise etc)

Encore une fois, on pourra discuter ensuite de savoir si c’est bien ou pas. Moi ce que j’aimerais surtout, c’est qu’on arrive de discuter de "l’existant" et si possible qu’on en tire un "consensus" a minima.

Je te le dis en amitié , sincèrement : je ne fais pas de toi un "rouge-brun" ou "un communiste national" ! Tu es pour moi un camarade et un ami qui se plante complètement sur l’analyse de la société actuelle sur ce sujet de la Nation (je dis pas "pour tout" ou "pour le reste" ), principalement parce qu’il la fait à son aune avec son "habitus" (ce qui est assez logique....)

Se sentir "Français" (si cela a un sens, et pour ceux qui le peuvent) pour la ajorité des habitants de ce pays, recouvre-t-il aujourd’hui autre chose que le fait d’habiter en France (par accident de la naissance ou par choix) ? Personnellement, je doute fort.

Etre ou se sentir Français aujourd’hui, pour une bonne partie des prolos de moins de 50 ans, ça ne signifie plus se reconnaître dans la "nation française". Ça veut dire avoir des papiers émis par l’État français , habiter en France et se faire racketter via l’Etat français pour engraisser différents actionnaires (et pas seulement ceux des banques).

Je crois qu’il y en a beaucoup plus qui se sentent plus "Corses" ou "Berrichons" ou "Marseillais" que "Français" même du point de vue d’un éventuel "sentiment national" !

Le Capital a bien travaillé pour que la Nation n’existe plus (si elle a jamais existé), avec différents instruments. C’est le développement logique du capitalisme mondialisé. Et ça Marx et Engels le disaient déjà dans Le Manifeste, justement.

Si il y a si peu de monde dans la rue à l’appel des syndicats hier, c’est peut-être aussi parce qu’il y a finalement peu de monde dans les syndicats de ce prolétariat moderne "a-national" ? Et peut être que la coloration "nationale" (je ne dis pas "nationaliste" et je ne dis pas ça de façon péjorative) des syndicats et des luttes qui y sont portées n’y est pas pour rien, que cela met en décalage les uns et les autres ?

Bref, en un mot comme en cent, je dirais que la nation ETAIT un "appareil idéologique d’Etat" qui a disparu. Avec elle, forcément ,disparaissent (et nous le voyons tous les jours) la "république" telle que née de 1789 et la "démocratie bourgeoise".

La France n’est plus une "nation", pour moi c’est évident (sauf peut-être pour disons, 20% à 30 %des Français -ce qui laisse un paquet de monde de ce pays "à côté" ?) MAIS elle est encore un Etat.

Et cela, beaucoup plus de monde le sent et le désigne que "la nation".

Car oui, il peut y avoir des Etats sans "nation", et c’est bien "notre cas" aujourd’hui.

Et justement, de l’Etat, parlons-en.

Qu’est-ce donc ?...C’est là que ça va devenir difficile. Et c’est à cela qu ’il faut, à mon avis s’attaquer, plutôt qu’à s’acharner à replâtrer une notion/nation désormais vide de sens ou presque...

L’Etat, lieu de cristallisation, de "précipitation" (au sens physique) des rapports de classe. L’Etat comme instrument de plus en plus directement à la main de la bourgeoisie (toutes ses fractions comprises) justement parce que la nation a disparu pour assurer l’homogénéisation entre la classe dominée et la classe dominante au profit de cette dernière.

"L’actionnarchie" qui remplace désormais la "démocratie". "L’actionnarchie" gardée par les avocats d’affaires et les cadres de grandes entreprises.

Même L’ENArque n’est plus ce qu’il était, LOL ! Il ne sert plus aujourd’hui au service public national (plus de service public et plus de nation) mais au gouvernement des multinationales.

Disparition de la nation sous les coups, les micmacs et les embrouilles des fractions capitalistes, modification profonde de la forme de l’Etat et de la forme de gouvernement possible de cet Etat capitaliste en pleine mutation

Est-ce que cela signifie que sans "nation" on ne peut plus lutter contre le capitalisme ?

Peuchère non !

Pour des tas de raisons, on n’a pas BESOIN de la Nation (qui n’existe plus) pour lutter contre le fléau de la ligue européenne des capitalistes et de leurs soutiers !

A la rigueur, on aurait plus besoin d’un logiciel intégré de langues étrangères pour recréer l’internationalisme, besoin de plus de temps libre (dégagé de la poigne du Capital) et de solidaritéS, besoin de plus d’imagination et de créativité, pour recréer la lutte internationale du prolétariat ;-)

Alors, a- t- on besoin de la Nation pour lutter contre l’Etat et ses appareils ? NON PLUS !

Lui il a encore de TRES NOMBREUSES ramifications et lieux de pouvoir locaux, sous notre nez.

A t on besoin de "la nation" pour lutter pour la sauvegarde, la création ,la transformation de "l’emploi" ? NON. Pas la peine. Notre droit imprescriptible à vivre comme des êtres humains et à ne pas crever de faim, mais aussi, à VIVRE, nous suffit.

80% des entreprises qui nous exploitent, directement ou indirectement ,n’ont plus de "français" ou de "nationales" que des bribes (un "siège social"), ou des histoires passées...

Leurs actionnaires ne sont plus français. Les capitaux sont détenus par des fonds souverains qataris, dubaïotes, chinois... L’argent qu’elles gagnent à la sueur de nos fronts ne va pas en France ni à ses habitants. Le capital primitif qui a servi à leur construction est extorqué d’ailleurs. Les prolos qu’elles exploitent viennent d’ailleurs et/ou ne sont pas en France ! La langue de leurs dirigeants est l’anglais, le chinois ou l’allemand. La langue de leurs brevets est l’anglais, les ordinateurs sur lesquels nous travaillons sont fabriqués en Chine, en Roumanie, en Inde, le droit qu’on nous applique n’est plus "français", il ressemble de plus en plus au droit anglo-saxon etc...

EADS, "entreprise française" ? Laisse moi rire !

LA BNPPARIBAS ? TOTAL ? SANOFI ?...

Soyons sérieux.

L’objectif immédiat, ce n’est vraiment pas de lutter contre les moulins à vent. OR, crier à "la Nation" pour moi aujourd’hui cela s’apparente à cela. A lutter contre les moulins à vent. A courir après quelque chose qui n’existe plus. A continuer d’agiter ce mythe en lambeaux, nous perdons un temps précieux pour CREER les conditions de nos luttes à venir. Pour IMAGINER les outils de nos actions à venir.

Sans doute qu’à une époque, la lutte de classe était fortement imbriquée de lutte nationale ou nationaliste. Evidemment dans tous les exemples que tu cites, ou presque, il y a eu la guerre ! Quoi de plus propice à la coloration nationale ? Il était logique que la "communauté nationale" se reforme peu ou prou face à une "invasion étrangère" casquée, bottée. Et encore tout ceci demande t il vraiment réflexion (et là je n’ai plus le temps mais dans le débat je suis sûre qu’on y reviendra).

Je terminerai ce propos là ce soir comme ça, mon ami et camarade.

Tu dis "la lutte des classes en France a été traversée par la lutte nationale" (en résumé). Moi je te réponds : la France moderne s’est construite sur et par et grâce à l’immigration et au pillage de "l’Ailleurs".

Ce sujet de l’ailleurs et de l’étranger et de l’immigré étaient des sujets de lutte importants "avant", bien plus que "la nation".

De la lutte des classes en France pourtant, dans la "modernité", on a complètement lâché "l’international", l’ailleurs, l’Autre, l’étranger. Qu’il soit étranger d’un autre pays, étranger d’une autre culture, étranger proche ou étranger lointain. Moi je dirais que ce qui a tué le mouvement communiste en France c’est surtout ça et pas "l’abandon de la Nation".

Il est GRAND TEMPS que les luttes de classe modernes en tiennent compte et se fassent ENFIN sur les bonnes bases.

Bien amicalement à toi,

LL