Accueil > ... > Forum 31264

> Douste, RSF et Felipe Perez Roque

16 octobre 2005, 18:51

Réponse de Line Arez Demoro :

A propos des radeaux de fortune. Il faudrait tout de même arriver à réfléchir en dehors des schémas tels que Cuba= dictature=balseros.

D’abord, parce que le niveau de vie entre les USA (pilleurs de la planète) et celui de tous ces voisins du sous-continent est tel qu’il se passe là le même phénomène qu’entre l’Afrique et l’Europe.

Vous avez entendu parler des événements dans le désert marocain autour d’enclaves espagnoles ?

Vous avez entendu dire que des bateaux chavirent avant d’accoster sur les côtes italiennes.
Vous avez entendu parler, en France, des "sans-papiers" (arrivés clandestins) ?

Vous ignorez peut-être que, chaque année, des dizaines de milliers de Mexicains essaient de passer la frontière qui les sépare d’un territoire qui était le leur avant que les USA ne se l’approprient. Savez-vous qu’ils sont accueillis à coups de fusil ?

Vous ne mesurez pas le formidable pouvoir d’attraction que peut avoir un voisin riche auprès d’une frange de la population d’un pays pauvre. Le salaire moyen d’un Cubain est de l’ordre de 15 dollars par mois. Un balayeur de rue de Miami gagne plus qu’un ministre Cubain. On comprendrait qu’un rmiste français essaie de franchir la Manche en radeau pour aller percevoir à Londres deux fois le salaire mensuel de Douste-Blazy.

Ce qui devrait vous étonner, c’est que le nombre de candidats au départ soit si faible, que les dizaines de milliers de Cubains qui sont à l’étranger (médecins, enseignants, sportifs, diplomates, etc.) rentrent chez eux, leur mission accomplie. Les Cubains qui détournent un avion ou un bateau pour la Floride, contrairement à leurs semblables de tous les pays d’Amérique latine, sont accueillis en héros, obtiennent un visa, du travail. Les autres filent en prison s’ils ne sont pas abattus avant.

Vous ignorez sans doute aussi, me semble-t-il, qu’il existe un accord migratoire entre Cuba et les USA. Ces derniers s’engagent à délivrer 20 000 visas d’entrée par an. En 2003, quand onze pirates de la mer ont été pris, jugés et que trois d’entre eux (délinquants de droit commun récidivistes) ont été exécutés, le gouvernement de Bush ne délivrait pratiquement pas de visas, dans le but de créer le genre d’incidents que vous évoquez.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas juste de baptiser immigrés économiques tous les immigrés de la terre sauf les Cubains ("réfugiés politiques", donc), dont pourtant, plusieurs centaines de milliers vivent à Miami et se rendent à Cuba autant de fois que le gouvernement US les autorise à le faire, c’est-à-dire une fois par an dans le passé, une fois tous les trois ans dorénavant, et à condition d’avoir de la famille proche.

Je dois vous apprendre aussi que le gouvernement Cubain se dit prêt à accueillir chaque année deux millions de touristes états-uniens qui pourront circuler librement dans l’île, mais que ce territoire est le seul au monde où les citoyens US n’ont pas le droit d’aller sous peine de fortes amendes voire de prison à leur retour.

Quant à la liberté de traiter le chef d’Etat de « con », pouvez-vous me dresser la liste approximative des pays où la législation la prévoit ?

Je vous invite aussi à réfléchir sur la nécessité de ne pas comparer les pays hors contexte. Cuba est un minuscule pays pratiquement accolé à la plus grande puissance du monde, laquelle veut sa peau et mène contre elle une guerre multiforme d’une férocité inouïe à laquelle manque seulement sa variante purement militaire. Sur les plans économiques, financiers, médiatiques et terroristes, tout le possible a été fait contre Cuba depuis 46 ans. L’invasion par les troupes guerrières, d’une incroyable facilité (elles sont déjà sur place à Guantanamo) est différée en raison de la probable désapprobation des nations, des risques d’embrasement de toute l’Amérique latine et des possibilités d’une résistance héroïques et durable. Tous ces inconvénients seraient balayés si les USA pouvaient, à l’intérieur et à l’extérieur de Cuba, obtenir au préalable une condamnation forte du « régime castriste » (comme ils disent).

Dans ces conditions, au-dedans, toute propagande visant à approuver la politique états-unienne est combattue avec vigueur, tandis qu’au-dehors, les amis de Cuba travaillent à rétablir des vérités.

Vous parlez de Fidel Castro, enfin : les circonstances historiques, ses propres combats où il a risqué plusieurs fois sa vie, sa capacité résister à la pression de l’empire et à animer des équipes gouvernementales qui ont accumulé des réussites uniques pour un pays du tiers monde en font un dirigeant politique à part. Ne le comparez ni à Blair ni à Chirac ni surtout à Bush comme vous l’avez fait. Pensez plutôt à un grand homme politique des siècles passés et imaginez qu’il vit.

Personne ne prétend qu’il est un Dieu (il dit volontiers que « les révolutionnaires sont des hommes »), mais il faut de la mauvaise fois et/ou de l’ignorance pour en faire un diable.
Si j’avais un conseil à vous donner, allez donc à Cuba, laissez ici vos idées préconçues, regardez avec votre cœur, mesurez,en les contextualisant, les réussites (il y en a, je vous l’assure, même si la lecture du journal « Le Monde » ou de Libé ne nous l’apprend pas) et les échecs (vous les connaissez, semble-t-il et peut-être les grossissez-vous).
Et dites-nous, à votre retour si ce pays mérite d’être irakisé.

Dites-nous aussi s’il mérite de concentrer sur lui, plus de reproches que l’ensemble des pays pauvres, y compris ceux où l’armée, la police, tirent sur le peuple à l’occasion, chose qui ne s’est jamais produite à Cuba depuis la Révolution.

Line Arez Demoro