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> Vous critiquez l’Economie sociale et solidaire mais n’osez pas vous dire écococialiste !

7 mars 2006, 11:24

Autre extrait de Jean-Marie HARRIBEY consultable in extenso sur le site d’ATTAC France

L’économie sociale et solidaire : appendice ou faux-fuyant ?

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La deuxième justification de l’économie sociale et solidaire porte sur l’articulation entre le marchand et le non marchand.

Pour définir le contenu de l’économie sociale et solidaire, on parle aujourd’hui de tiers-secteur, certains d’économie quaternaire,[5] pour désigner les activités utiles socialement et qui doivent être impulsées par la collectivité. Le tiers-secteur viendrait compléter le secteur marchand et le secteur non marchand. Mais inventer un nouveau concept pour cela est inutile et trompeur. Pour plusieurs raisons.

La première est d’ordre logique. Une activité économique monétaire ne peut être qualifiée à la fois de ni marchande ni non marchande : elle est l’une ou l’autre, avec ou non exclusif puisqu’elle peut être mixte. Ce qui est appelé à tort tiers-secteur, et qu’il vaudrait mieux nommer secteur mixte ou hybride, ne sera sans doute pas le plus souvent étatique, mais s’il requiert, au moins au départ, un financement collectif, il n’échappera pas à son caractère monétaire non marchand[6]. S’il s’agissait d’un secteur non marchand et non monétaire à la fois, il ne pourrait être, par définition, réintroduit au sein de la chrématistique d’Aristote, puisqu’il relèverait exclusivement de la sphère privée, c’est-à-dire du champ de la production exclusive de valeurs d’usage, l’ “ économie ” aristotélicienne. Le tort des concepteurs du tiers-secteur est de gommer la distinction entre valeurs d’usage et valeurs d’échange pour faire de ce tiers-secteur social un pan de l’économie, non plus dans son sens aristotélicien, mais dans son sens moderne réducteur. Ils imaginent une société sur la base du schéma 2 au lieu de la voir selon le schéma 3.

Dans le schéma 3, l’espace correspondant à la société et n’appartenant ni au marchand ni au non marchand – le complémentaire du marchand et du non marchand dans l’ensemble formé par la société – ne relève pas de l’économie monétaire mais des relations entre les individus que l’on peut appeler primaires parce qu’elles correspondent au domaine strictement privé ou à celui de la sociabilité pure, et qu’il serait absurde de monétariser, notamment en en faisant le champ d’application d’une allocation universelle.

La deuxième raison du caractère trompeur de la notion de tiers-secteur est qu’elle est utilisée pour ne pas s’affronter au dogme libéral pourchassant toute cause de nouvelle augmentation des prélèvements obligatoires. En laissant croire qu’il y aurait un troisième secteur qui ne serait pas non marchand, c’est-à-dire qui ne ferait pas appel à un financement collectif, ses partisans entretiennent une ambiguïté politique. Mais surtout, on peut craindre que le développement de ce tiers-secteur serve de prétexte à la poursuite de la remise en cause de la protection sociale et à la compression drastique des programmes sociaux pris en charge par l’Etat qui se déchargerait de ses responsabilités sur les associations et se défausserait sur elles de l’extension d’un emploi plus fragile, précaire et dont la rémunération serait l’addition de multiples petites aides ou financements, faisant perdre toute consistance à la notion de salaire et contribuant un peu plus à vider de son contenu le droit du travail. Il n’y a bien sûr là aucun déterminisme inévitable, simplement de gros risques qui commencent à devenir réalité dans les pays où le tiers-secteur a connu un développement important, tel le Canada.

Ce qui est gênant dans la notion de tiers-secteur, c’est qu’elle contient une critique implicite de l’Etat sans que l’on sache si celle-ci s’adresse aux imperfections et dysfonctionnements de l’Etat-providence ou si elle vise l’Etat lui-même décidant des objectifs, fixant des priorités et mettant en œuvre des politiques. Le tiers-secteur ne serait-il qu’une machine de guerre contre les services publics, en tirant argument de leurs défauts, non pour supprimer les défauts mais les services eux-mêmes ?

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