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> CPE : la loi est validée par le Conseil constitutionnel et sera probablement promulguée vendredi

30 mars 2006, 20:38

Et si on rendait visite aux députés UMP, l’histoire de leur mettre la pression sans manifester pour rien ?
Puis aux mairies et permanences PS, champions des contrats précaires ?

Ce serait bien plus utile que les manifs dans le vide.

Bertrand Deléon.


Non, je n’ai pas fait grève ce mardi 28 mars 2006 !

Je suis contre la multiplication des emplois précaires et juge inacceptable que le gouvernement laisse croire que le contrat fait l’emploi. Pourtant, je n’étais plus des manifestants ce mardi 28 mars 2006. Il est certain que beaucoup se reconnaîtront dans cette déclaration.

Revenons en arrière, et posons-nous la question : combien de mobilisations massives du même type se sont déroulées ces dernières années ? A chaque fois, on a pensé à un nouveau réveil social et il n’en était rien. Alors reposons-nous une seconde question : ces mouvements de foule sont-ils plus percutants que d’autres manifestations moindres mais mieux ciblées qui ont lieu tout au long de l’année ?

Le retrait du CPE n’est pas un objectif suffisant et le blocage des facultés, impopulaire et inutile. D’ailleurs, empêcher des étudiants de travailler, dérange t’il vraiment l’Etat ? Cette mobilisation n’est que château de cartes à mon sens.

Or, imaginons que tous les actuels manifestants s’engagent définitivement dans les luttes sociales et politiques tout au long de l’année en acceptant de rendre quelques visites aux chefs d’entreprise, aux élus qui contribuent à la précarité par ce genre de contrats ; en s’attaquant aux partis politiques " responsables et coupables " de cette politique ; et là, les changements se précipiteront.

En fait, j’ai bien peur que si l’on gratte un peu, il n’y a pas grand chose à l’arrière de ces manifestations sinon… des partis politiques de la gôôche française. Les mêmes qui contrôlent les principaux syndicats étudiants (UNEF…) et qui attisent la mobilisation mais surtout, les mêmes qui sont à l’origine de la précarisation programmée par contrats de travail. Le CPE n’est que prétexte à l’opposition de gauche pour se manifester avec l’appui de la jeunesse et des salariés de l’hexagone.

Certes, le gouvernement Villepin a imposé le CPE en force pour satisfaire l’un des vœux les plus chers des libéraux qu’il représente : une main d’œuvre à bas coût corvéable et jetable à merci.

D’accord ! Mais alors où était la gauche française en juillet dernier lorsque le CNE, son frère aîné, était adopté. Je me souviens seulement d’une association militante bretonne qui appelait à rencontrer M. de Villepin pendant ses vacances près de Vannes.

Et on devrait actuellement être massivement dans la rue aux côtés du Parti Socialiste, du Parti Communiste et de toute la gauche de France ? Eh bien, ce sera sans moi cette fois ! Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir manifesté ces dernières années contre la précarité ou d’avoir pris part aux luttes sociales.

A la fin des années 70, Raymond Barre instaurait le pacte pour l’emploi des jeunes permettant aux patrons d’employer des jeunes en stage en entreprise en échange d’exonérations de cotisations sociales, et de créer des " emplois d’utilité collective " financés par des fonds publics. Très vite, le Parti Socialiste emboîte le pas. A partir de 1981, le nombre d’emplois précaires aidés par l’Etat explose. Ainsi, sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement de Pierre Mauroy (1981-83) met en place " les stages 16-18 ", censés " assurer aux jeunes de 16-18 ans une qualification professionnelle et faciliter leur insertion sociale ". Les employeurs ont donc pu disposer d’une main d’œuvre quasi gratuite ! Par la suite, on aura le SIVP (stage d’insertion dans la vie professionnelle) rémunéré entre le tiers et la moitié du SMIC pour 6 mois minimum, sans cotisations sociales.

Puis en 1988, naissent les contrats de retour à l’emploi destinés aux chômeurs de longue durée.

L’année d’après, le gouvernement toujours " socialiste " de M. Fabius lance les TUC (travaux d’utilité collective) à l’attention des jeunes demandeurs d’emploi. Sous couvert de stages, ce sont en fait des emplois à mi-temps pour une durée maximum de six mois dans des collectivités ou établissements publics indemnisés. Le titulaire d’un TUC touche une indemnité inférieure à la moitié du SMIC sans aucune couverture de droits sociaux (retraite, indemnité chômage…), à l’exception de l’assurance maladie prise en charge par l’Etat, qui assurait l’essentiel du financement de l’indemnité. En 1986, le plan d’urgence pour l’emploi des jeunes de Philippe Séguin accorde aux entreprises du privé de bénéficier d’allégement de cotisations sociales.

En 1990, le premier ministre socialiste Michel Rocard remplace les TUC par les CES (contrats emploi solidarité) pour toute catégorie de salarié. Il s’agit d’un contrat de travail de douze mois maximum, à mi-temps, payé à la moitié du SMIC, financé par l’Etat et destiné aux associations, aux collectivités locales ou aux établissements publics. Apparaissent parallèlement, la PAQUE (préparation active à la qualification et à l’emploi) et l’exo-jeunes de moins de 25 ans donnant droit à encore plus d’exonérations sociales aux employeurs.

Puis, en 1993, la droite propose le CIP (contrat d’insertion professionnelle), dans la totale continuité de la politique " socialiste " à l’attention des jeunes de moins de 26 ans, de niveau baccalauréat ou plus. Le CIP aurait autorisé les patrons à payer des jeunes employés à 80 % du SMIC ! Finalement, la mobilisation a probablement fait que le CIP ne fut pas adopté.

En 1997, le retour des socialistes annonce la création de 700 000 emplois réservés aux jeunes. Le gouvernement Jospin met en place les " emplois jeunes " officialisant ainsi l’emploi précaire dans la fonction publique. L’emploi jeune est un contrat à durée déterminée (CDD) d’un an renouvelable cinq fois, à temps plein, réservé aux services publics et associations, qui ne garantit aucunement l’obtention d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Nous savons désormais qu’un faible pourcentage de ces contrats a débouché sur des embauches. Nous avons donc des demandeurs d’emplois ayant perdu jusqu’à 8 ans (prolongation de contrat de 3 ans) faisant leur retour à la case départ en se retrouvant brutalement sur un marché du travail qui ne veut plus d’eux.

La droite va à nouveau, en 2002, aller encore plus loin dans la politique initiée par les socialistes et leurs alliés politiques. Une loi de François Fillon instaure le contrat jeune en entreprise qui va suppléer le contrat " emploi jeune " dans le but d’embaucher des jeunes de moins de 23 ans sans qualification.

Enfin, le gouvernement de Villepin inaugure le CNE (contrat nouvelle embauche) pendant l’été 2005 puis, plus maladroitement, le CPE (contrat première embauche) pour les moins de 26 ans, autorisant les patrons à " remercier " ses employés à n’importe quel moment, sans se justifier, et profiter à l’occasion d’exonérations de cotisations sociales pendant trois ans…

Au total, nous assistons au résultat d’une politique de 30 ans de développement de la précarité au nom de la lutte contre le chômage ! L’UMP ne cherche qu’à faire aboutir cette politique par le sombre dessein du contrat unique. Ces " parcours d’insertion " mis en place par les gouvernements successifs se sont soldés par des licenciements massifs.

Les partis de la gauche française chauffant actuellement les esprits et récupérant les manifestations sont tout autant responsables que la droite de la détresse de la jeunesse. Ces derniers ont également renforcé les ravages du libéralisme en contribuant à la politique ultra-centraliste bien française – sorte de nationalisme cocardier ruinant de vastes territoires, déplaçant des populations pour enfin parachever l’uniformisation du territoire autrement dit procéder à un véritable génocide culturel.

De même, les syndicats ont souvent approuvé cette évolution en signant certains accords avec le patronat. On se souviendra du contrat de qualification.

Ainsi, doit-on s’étonner de la pauvreté des cibles proposées dans ces derniers mouvements ? Désormais, soutenir telle quelle l’évolution du mouvement anti-CPE revient à épauler les responsables des décisions contestées.

Non, ce mardi 28 mars 2006, je n’ai pas été manifesté contrairement à mes collègues que je vois rarement dans les rangs des différentes mobilisations.

Lorsque nous pourrons dire honnêtement que ce n’est pas le contrat qui fait l’embauche, il sera possible d’entamer une révolution dans les esprits et peut-être… une révolution tout court.

Bertrand Deléon.