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> Des militants LCR s’adressent à la LCR

19 juin 2006, 12:08

A TOMASZ
les faits sont tétus :
""La Quatrième Internationale 1940-1953

Le trotskysme en France pendant la guerre
Au début de la guerre, les organisations se réclamant du trotskysme en France étaient dans un triste état. Divisées entre la section “officielle”, le POI, dirigée par Pierre Naville et le PCI de Raymond Molinier et Pierre Frank, (1) elles entrèrent dans le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan de Marceau Pivert. Malgré ce tournant à la fois audacieux et désespéré, l’une et l’autre connurent une désagrégation rapide.

La section “officielle” allait connaître les pires déboires. Désertée par Naville, elle fut dirigée par le jeune Marcel Hic et prit dans un premier temps le nom de “Comités français de la IVème” avant de redevenir le POI. Elle va vite sombrer dans l’opportunisme.

Dérouté par la rapidité de l’effondrement français, le 20 septembre 1940, son CC adopta à l’unanimité une résolution, qui faisait une différence entre les ailes collaboratrice et “indépendante” de l’impérialisme français et, au nom d’une lutte nationaliste, disait que “c’est à la fraction française de la bourgeoisie que nous tendons la main”. (2)

Quelques semaines plus tard le POI proposait de créer “des comités de Vigilance Nationale”. (3) Cette proposition montre clairement que le POI effectuait une déviation nationaliste relativement importante qui le conduisit à traverser un temps la ligne de classe.

Cette position a reçu une base théorique en juillet 1942, quand la résistance gaulliste, encore faible, commença à grandir. Les “Comités” proposèrent des thèses sur la question nationale en France qui furent adoptées par le nouveau Secrétariat Européen (SE), dirigé par M. Hic.

Ces thèses montrent une adaptation importante au nationalisme. Pour le SE, “le mouvement national des masses, loin d’avoir des racines strictement nationalistes, plonge dans l’une des contradictions les plus fondamentales du système capitaliste à l’époque impérialiste ; (...) la révolte des classes moyennes contre le grand capital financier.” (4)

Alors que l’origine petite-bourgeoise du mouvement nationaliste “de masse” était correctement décrite, l’analyse était complètement gâchée par une surestimation de la nature “révolutionnaire” de ce mouvement. Loin de mettre le POI en garde contre la nature de ce mouvement, le SE lui conseillait de se concentrer sur la question nationale, sentant “un devoir impérieux de lutter au premier rang pour les revendications nationales des masses.” (5)

Certes, le nationalisme peut pousser la petite-bourgeoisie à des actes courageux, mais il ne peut engendrer une politique révolutionnaire, pour la simple raison qu’il représente d’autres intérêts de classe que ceux du prolétariat.

Cette position, qui représentait une trahison de la politique révolutionnaire, ne fut que rarement exprimée dans les publications du POI, qui, fort heureusement, ne la mis pas en application.

C’est ainsi que, La Vérité refusa explicitement toute collaboration avec l’impérialisme britannique, et ne sombra pas dans une politique totalement réformiste, à l’image du PCF. (6) De même , elle dénonça de Gaulle comme un “ennemi des travailleurs français” soulignant que “la seule voie juste est celle de l’organisation autonome des travailleurs pour la révolution prolétarienne qui libérera l’Europe et le monde.” (7)

Mais à cause de ses erreurs, le POI ne parvint pas à maintenir une critique claire et continue du nationalisme ou à avancer un programme clair pour contrer la poussée nationaliste.

Le CCI
L’autre organisation trotskyste était l’héritière du PCI d’avant-guerre, qui se trouvait aussi sans dirigeants. Au début de la guerre, Raymond Molinier et Pierre Frank partirent pour l’Angleterre. Le premier passa en Amérique du Sud, le deuxième est arrêté au nom de la “démocratie” britannique, et enfermé dans un camp de concentration jusqu’à la fin de la guerre.

Cette organisation était connue en 1942 par le nom de son journal, “La Seule Voie”, et puis, à partir de 1943 comme le Comité Communiste Internationaliste (CCI). S’opposant aux erreurs nationalistes des “Comités”, le CCI effectuait un travail d’explication et de propagande.

De cette façon, il refusait par avance toute participation au mouvement de résistance soulignant qu’“une insurrection de la ‘France’ contre l’oppresseur allemand ne peut être aujourd’hui qu’une insurrection de la classe réactionnaire.” (8)

A l’été 1944 il apparut que cette position était complètement erronée. Certes, la fin de l’Occupation ne fut pas marquée par une révolution ouvrière, mais les occupations d’usines, l’armement des travailleurs au sein de milices ouvrières indiquaient qu’elle n’était nullement “une insurrection de la classe réactionnaire.”

Pour pouvoir tirer profit de cette situation explosive, pour gagner les travailleurs aux positions révolutionnaires, il aurait fallu participer à ce mouvement, sans pour autant se fondre dans les maquis ou cesser de critiquer la politique nationaliste de la Résistance. La position sectaire de la Seule Voie a empêché ces camarades de mener cette politique.

Pire, la réponse qu’ils proposaient à la classe ouvrière — la création de “groupes ouvriers” qui n’étaient ni des fronts uniques, ni des conseils ouvriers, ni un parti — répétait l’erreur politique fondamentale de la Commune (1935), férocement attaquée par Trotsky.

Au nom de la défense d’une position principielle, ces camarades agirent de manière sectaire même si cette erreur fut beaucoup moins importante que celle des “Comités”.

Une partie de la direction du CCI commis une autre erreur, beaucoup plus importante. Henri Molinier, frère de Raymond, était convaincu que l’URSS était devenue un capitalisme d’Etat fasciste, véritable successeur du capitalisme.

Le nazisme allait ainsi dominer l’Europe pendant de longues années, et il fallait donc selon lui faire un travail entriste au sein des organisations fascistes. Soutenus par la direction du CCI, Henri Molinier et un autre militant, Foirier, entrèrent dans une organisation fasciste.
Cette action stupide et dangereuse, qui pouvaient coûter très cher aux trotskystes, fut condamnée sans appel par le nouveau Secrétariat Européen en mars 1944.

A partir de 1941 les positions théoriques de Molinier furent rejetées par le groupe la Seule Voie, et il fut écarté de la direction. Par la suite, il fit son auto-critique et fonda le groupe Octobre, qui jouera un rôle important en appuyant la fusion entre le CCI et le POI en 1944. (9)

L’Union communiste

Le troisième groupe, l’Union communiste (UC), animée par Barta et dont se réclame Lutte Ouvrière, ne rassembla que quatre militants au début de l’Occupation et sept à la fin. (10) Après l’arrestation de Louise, la femme de Barta, le groupe ne produisit qu’un seul tract pendant deux ans, jusqu’à la fin de 1942. C’est à dire que, pendant les années les plus noires de l’Occupation, le groupe Barta resta silencieux. (11)

Le premier numéro de son petit journal “La Lutte de Classes”, parut au tournant de la guerre, au moment où l’Armée rouge était sur le point de gagner la bataille de Stalingrad et où la fin de la guerre commençait à être envisageable.

On peut dont dire que si le groupe Barta n’a pas été coupable d’une erreur nationaliste comme les “Comités”, ni d’une erreur du type de celle d’Henri Molinier, il va un peu vite en besogne en déclarant en 1945 que “Nous, internationalistes, étions les seuls défenseurs des intérêts des masses tout au long de cette guerre, avant et après l’occupation.” (12)

La guerre connaissait un moment clé avec le débarquement allié en juin 1944. Une étude de la politique de l’UC pendant cette période montre bien quelles étaient ses prétentions orthodoxes.

Les numéros de la Lutte de Classes d’avril-août 1944 appelaient à un “plan ouvrier contre l’anarchie”, à “l’expropriation des trusts et des capitalistes”, voire à la création d’une milice ouvrière. Très bien. Mais on constate que l’appel à la création de comités d’usine n’est pas toujours avancé, et que les mots d’ordre d’occupation des usines, de la création de syndicats, et le moyen de répondre au débarquement inévitable des “alliés” ne sont pas non plus mis en avant. (13)

C’est à dire que les questions brûlantes de la lutte de classe n’y sont pas traitées, et que les moyens politiques et organisationnels nécessaires ne sont pas définis. La méthode transitoire est inexistante.

De cette façon, la “défense” des intérêts des masses que Barta se vantait de défendre se résume à une propagande abstraite.

La politique du PCI fut tout à fait différente. Malgré leurs erreurs passées, les camarades du PCI avançaient une série de revendications qui expliquaient clairement quelle politique il fallait mener dans une situation qui, comme l’Italie un an auparavant, était marquée par la collision entre une population ouvrière “libérée” et pleine d’espoir, des armées impérialistes “libératrices”, et un maquis armé mais politiquement hétérogène.

Ainsi, face au débarquement imminent, le PCI appela dans un numéro spécial de mai 1944 à la grève générale, à l’occupation des usines, à la création de comités d’entreprise et d’une milice ouvrière, au contrôle ouvrier sur les logements et le ravitaillement, à la création d’une justice populaire et à la fraternisation entre les soldats allemands, anglais et américains. (14)

La différence entre cette politique, vivante et interventionniste, et celle prônée par le groupe Barta ne reflète pas seulement la taille et l’implantation des deux organisations. Il s’agit plutôt d’une différence de méthode, qui devient évidente quand on compare les publications de deux organisations.

Par exemple, alors que le PCI avançait son programme révolutionnaire et cherchait à intervenir dans un mouvement bouillonnant et plein d’opportunités révolutionnaires, le groupe Barta soutenait que les maquis n’étaient rien d’autre que “l’ancienne armée impérialiste française qui s’est reconstituée”. (15)

C’était, certes, l’objectif de Gaulle — et d’une façon différente, du PCF. Mais on en était encore loin en juillet 1944. En pleine crise pré-révolutionnaire, marquée par des occupations d’usines, l’existence de milices armées et l’occupation du pays par trois armées, l’UC proclame que l’impérialisme français avait déjà reconstitué son armée !

Cette conception conduisait Barta et sa poignée de camarades à ne pas saisir les possibilités que recelaient la crise pre-révolutionnaire, et à ne pas avancer des revendications correspondant aux tâches de l’heure.

Le refus de Barta de participer en 1944 à la fusion du CCI et du POI pour créer le PCI, et les raisons qu’il avance — les “méthodes” du PCI, le fait que celui-ci parle des réformistes comme “des camarades”, la manière avec laquelle il demandait la légalisation de la Vérité etc (16) — montrent que Barta était profondément sectaire.

Comment défendre ce refus de participer à la création d’une section unifiée de l’Internationale ? D’autant plus que cette dernière avait répondu correctement à une crise pré-révolutionnaire ?

En plus, Barta ne comprendra pas la nature des erreurs politiques éclectiques dont souffrit le PCI. Pis, il ne chercha pas à le faire. Mêlant des questions secondaires et des critiques justes, incapable de faire apparaître la méthode confuse du PCI, il chercha d’abord à justifier l’existence de sa propre organisation contre le PCI.

Malheureusement, aucune des organisations se réclamant du trotskysme n’a mené une politique révolutionnaire pendant toute la guerre. Chacune d’entre elles a commis des erreurs, dont les plus importantes furent le revirement nationaliste du POI entre 1940-1943, et la position de Henri Molinier et d’une partie du CCI sur le travail au sein des organisations fascistes.

Les autres erreurs — le sectarisme du CCI et de l’UC — furent qualitativement moindres, mais elles constituèrent des déviations importantes.. Comme on pouvait s’y attendre, les trotskystes français ont vécu les mêmes difficultés que les révolutionnaires des autres pays.