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Une seule raison...

5 mai 2007, 20:12

A 8 et 11 ans, ils sont menacés de fichage génétique pour vol de jouets
LEMONDE.FR | 05.05.07 | 17h10 • Mis à jour le 05.05.07 | 17h12

Leur père est choqué. Deux frères de 8 et 11 ans pourraient se voir prélever leur ADN, par la
gendarmerie, pour avoir volé deux tamagotschi et deux balles rebondissantes dans un hypermarché du Nord, raconte Le Parisien, samedi 5 mai 2007. Les échantillons seraient conservés dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg).

Des gendarmes se sont rendus cette semaine au domicile familial. "Ils venaient nous apporter une
convocation pour vol dans la mesure où le magasin a porté plainte, explique le père au Parisien. Ils ont expliqué à mon fils aîné qu’il serait photographié, qu’on lui prendrait ses empreintes digitales et aussi ses empreintes génétiques, ajoutant même que mon fils ne pourra pas forcément faire le métier qu’il veut plus tard car il sera fiché !"

Comme beaucoup de Français, le père pensait que le fichage génétique était réservé aux délinquant sexuels, et aux adultes. Pour surprenant que cela puisse paraître, il n’en n’est rien, précise Le Parisien. La loi ne prévoit ainsi pas d’âge minimum, rappelle le quotidien.
ELARGISSEMENT CROISSANT DU FICHAGE DEPUIS 2003

Depuis la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure de 2003, une centaine de délits obligent à se
soumettre au prélèvement génétique. Limitée, à l’origine, aux infractions sexuelles, la législation
concerne aujourd’hui les meurtres et les cambriolages, les vols simples, les tags ou les
dégradations. Il concerne désormais les personnes condamnées mais aussi les simples suspects.

Depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions, le Fnaeg explose. De 2003 à 2006, le nombre de
profils enregistrés est passé de 2 807 à plus de 330 000. Bien que ce système ait permis d’élucider
plus de 5 000 affaires, ceux qui s’opposent aux prélèvements dénoncent l’instauration d’un
"répertoire de masse". Les refus de prélèvements génétiques pour des petits délits se multiplient,
entraînant des procès.
"CE N’EST PAS DU BÉTAIL QUE L’ON DOIT MARQUER AU FER"

Le père des auteurs du larcin s’opposera au fichage génétique de ses enfants, le cas échéant, malgré les lourdes sanctions prévues pour les contrevenants : jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

"Ce n’est pas du bétail que l’on doit marquer au fer, plaide-t-il dans Le Parisien. Les parents des
deux chapardeurs les ont punis et sermonnés et se réjouissaient initialement du passage des
gendarmes et de ses vertus pédagogiques.

"Cette situation met en lumière les dérives possibles de l’utilisation abusive du fichage
génétique", réagit Josiane Bigot, magistrat et président du Réseau pour l’accès au(x) droit(s) des
enfants et des jeunes, dans Le Parisien.

Le père et les deux fils étaient convoqués samedi après-midi à la gandermerie pour "audition des
enfants"

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-823448,36-906026@51-906027,0.html

http://www.leparisien.com/home/info/faitsdivers/article.htm?articleid=276066830

...................................................................................................

http://abonnes.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/ARCHIVES/archives.cgi?ID=4eacf3a5458de7ca5e506037831801600c

e345c4f879ab1f

La tentation du fichage génétique de masse
Article paru dans l’édition du 26.09.06
D’abord limité aux auteurs de crimes sexuels et de violences, étendu aux « suspects » d’infractions

plus banales, le « fichier génétique » de la police compte déjà 283 000 dossiers. Inquiétudes
civiques

Cet homme doit être fiché. Benjamin Deceuninck cultive des tomates et des olives bio sur un flanc
des Cévennes. Il a 27 ans, le regard noir et le marcel adapté à ses muscles bronzés. Ancien
éducateur sportif passé par la sociologie, il est militant anarchiste, communiste libertaire. Le 23
juin 2006, à 10 h 30, il est convoqué à la gendarmerie. Motif ? Obligation de se soumettre à un
prélèvement d’ADN. La procédure est simple, indolore : recueil de la salive au moyen d’un bâtonnet
dans la bouche. Mais le militant refuse de s’y soumettre.

 Vous n’avez pas le droit, avertit le gendarme.

 J’ai appris dans l’histoire, q u’on avait le droit de refuser, quelles que soient les

conséquences, réplique Benjamin Deceuninck, assez content de son effet.

 Vous encourez 15 000 euros d’amende et un an de prison ferme, conclut le gendarme.

Le 25 août, devant le tribunal correctionnel d’Alès (Gard), le procureur a requis 500 euros d’amende
à l’encontre du prévenu, pour « refus, par personne condamnée pour délit, de se soumettre au
prélèvement destiné à l’authentification de son empreinte génétique ». Le jugement est mis en
délibéré au 29 septembre. Mais quel que soit le verdict, et même s’il s’acquitte de l’amende, le
jeune paysan ne s’en tirera pas à si bon compte. Refuser de donner son ADN est un « délit continu »,

explique Christian Pasta, procureur de la République à Alès. « Tant qu’il refusera le prélèvement,

j’engagerai à nouveau des poursuites et il sera reconvoqué. On peut le mettre au trou pour récidive.

 »

Qu’a fait Benjamin Deceuninck pour mériter tant d’obstination de l’autorité judiciaire ? Il n’a pas
tué, pas volé, pas violé. Il a, avec d’autres, arraché des cultures expérimentales de betteraves
transgéniques. « Dégradation grave du bien d’autrui commis en réunion », selon la justice.

C’était en 2001, à Avelin (Nord). Deceuninck, comme les dix autres faucheurs, a été condamné en
2005, par le tribunal correctionnel de Lille, à un mois de prison avec sursis. Six ans après les
faits, un an après sa condamnation, le jeune militant est donc sommé, par application de la loi, de

donner son ADN.

Pas moins de 137 infractions, selon l’article 706-55 du code de procédure pénale, peuvent entraîner

le prélèvement obligatoire de l’ADN. Le législateur n’a cessé d’ajouter des infractions justifiant

l’entrée dans le fichier. Le traumatisme du 11-Septembre et la loi Sarkozy ont gravement accéléré le

processus.

Cela s’est fait en plusieurs phases.

1. Le Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) est créé sous le gouvernement

Jospin par la loi Guigou du 17 juin 1998, trois mois après l’arrestation de Guy Georges, le tueur en

série identifié grâce à son ADN. Initialement, le fichier n’est destiné qu’aux auteurs d’infractions

sexuelles.

2. Le 15 novembre 2001 (gouvernement Jospin toujours), la loi Vaillant dite de « sécurité

quotidienne » l’élargit aux atteintes volontaires à la vie de la personne (actes de torture, de

barbarie, etc.) aux actes de terrorisme, aux atteintes aux biens accompagnées de violence

(destructions, dégradations par explosif ou incendie). Elle prévoit aussi une sanction pour tout

refus de se soumettre au prélèvement : six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende au moins.

3. Un grand pas est franchi avec la loi Sarkozy de « sécurité intérieure » du 18 mars 2003

(gouvernement Raffarin). Les infractions les plus banales sont introduites (vols simples,

dégradations, tags, arrachage de cultures OGM...). La sanction pour refus d’obtempérer au fichage

est alourdie. Surtout, la loi prévoit désormais de ficher les personnes non condamnées mais

simplement suspectées - « à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants ».

S’il est innocenté, l’intéressé peut demander par la suite le retrait de ses empreintes du Fichier

national. Le procureur peut, ou non, l’accepter.

Dans la foulée, la loi Perben II de 2004 obligera toute personne condamnée à plus de dix ans de

prison à fournir son ADN. Qui refuse, perd aussitôt tout droit à une réduction de peine.

« Bien des infractions manquent encore pour alimenter le fichier, ironise Côme Jacqmin, secrétaire

général du Syndicat de la magistrature (SM). Nombre de délits financiers tels le délit d’initié, la

fraude fiscale ou l’abus de bien social n’exigent pas de fichage ADN... » En attendant, le Fnaeg,

qui est alimenté depuis 2002, grossit à très vive allure : 2 100 références en 2002, 40 000 en 2004,

283 000 aujourd’hui. Parmi elles, 107 000 personnes condamnées, 163 000 « soupçonnées », 16 726

traces relevées sur des scènes de crimes.

Insuffisant, estiment les autorités françaises qui rêvent d’atteindre les « performances » de la

Grande-Bretagne, championne du monde en la matière avec 3 millions de profils enregistrés, soit 5 %

de la population !

Pourquoi avoir étendu le fichage à un si grand nombre d’infractions ? Pour le directeur de la police

judiciaire, Frédéric Péchenard, « cet outil extraordinaire pour éviter les récidives criminelles »

n’a de sens que si le maximum d’individus s’y trouvent répertoriés. Parce que, constate-t-il, « il

est très rare que les violeurs ou les tueurs en série ne soient pas connus des services de police

pour des infractions moindres (vols, petits incendies, actes de cruauté envers les animaux, etc.).

Le Fnaeg, dont les consultants doivent bien sûr rester strictement encadrés, est une nécessité de la

police moderne, autan t pour les vict imes que pour les suspects éventuels qui peuvent, grâce à une

trace ADN, être lavés de tout soupçon ».

Efficace, certes. Mais non sans risque de dérive. Risque d’erreur, d’abord. Non seulement une

personne peut se trouver à tort sur le fichier, mais une trace d’ADN sur la scène d’un crime peut

être trompeuse. Un criminel ne peut-il être porteur de l’ADN des personnes dont il a serré la main

dans la journée ? « En effet, répond Frédéric Péchenard. Tout comme les empreintes digitales, l’ADN

est un élément de l’enquête, jamais une preuve suffisante. L’important, c’est l’interprétation que

l’on peut en faire. » Jean-Paul Jean, magistrat pénaliste, n’est pas si optimiste : « 

L’infaillibilité scientifique de l’ADN impressionne fortement les jurés d’assises, et parfois à

tort. »

Risque d’arbitraire, ensuite. Relever et ficher une empreinte coûte cher : environ 400 euros, même

si la concurrence des laboratoires tend à casser les prix. L’opération demande du temps :

réquisition par le magistrat, prélèvement par le gendarme ou le policier, transformation par le « 

labo » de la trace (sang, sperme, salive, urine...) en empreinte génétique. Une telle économie ne

permet pas de répertorier d’un coup toutes les personnes prévues par la loi. Dès lors, qui ficher en

priorité ? Lors de son procès le 25 août, Benjamin Deceuninck s’en est étonné : sur les 11 personnes

condamnées comme lui à Avelin pour l’arrachage des betteraves OGM, seules six étaient requises de

donner leur ADN. Selon lui, les plus « politiques »... Le procureur de la République à Lille,

Philippe Lemaire, affirme avoir requis des poursuites contre tous. A charge pour les tribunaux du

lieu de domicile de les mettre en oeuvre. Avec plus ou moins de zèle et de moyens.

Ris que de mésutilisation, enfin. Notre ADN intéresse beaucoup de monde. Contrairement aux

empreintes digitales, il contient une masse d’informations qui dit tout de nous. L’ADN est notre

intimité. Vous êtes porteur d’une maladie génétique, d’une maladie dégénérescente, d’une

séropositivité ? L’employeur, le banquier, l’assureur sont intéressés. Comment veiller à ce qu’un

policier ou un magistrat, cumulant par exemple sa retraite avec un emploi privé, ne communique pas

de renseignements à son employeur ?

En principe, la loi en vigueur interdit ces dérives. De l’ADN, le fichier ne retient que les

segments qui permettent d’identifier la personne. Les autres sont définitivement rejetés, assure

Christian Hassenfratz, le magistrat en charge du Fnaeg. Il est donc légalement impossible de

connaître par le Fnaeg l’ethnie à laquelle appartient un fiché ou les maladies dont il peut être

affecté. L’accès au fichier est limité aux magistrats et à la police. La conservation des empreintes

varie de 25 à 40 ans selon le type d’infraction.

Cette longue durée fragilise d’autant les garanties puisqu’une nouvelle législation peut venir les

modifier à tout moment. Pour Meryem Marzouki, présidente de l’association Iris (protection des

libertés dans l’usage d’Internet), c’est bien tout le problème. « Le principe est simple : on

profite d’un contexte émotionnel fort (attentat terroriste, meurtres en série) pour créer un

fichier. Une fois l’instrument en place, il suffit d’étendre sa finalité par petites touches.

L’opinion est plus sensible à la victime qu’au citoyen... »

Entrent alors en jeu d’autres garde-fous institutionnels : le Conseil d’Etat, le Conseil

constitutionnel qui n’a pas émis d’avis négatif sur le Fnaeg, et la Commission nationale

informatique et libertés (CNIL). Cette dernière, autorité administrative indépendante, examine deux

principes : la finalité (dans quel but le fichier est créé) et la proportionnalité (quelles limites

donner pour le but recherché). La CNIL ne s’est pas opposée au Fnaeg. Elle a simplement posé des

conditions : par exemple, le type d’informations retenues dans l’empreinte, la durée de

conservation, etc. Le problème est que ses pouvoirs ont été considérablement réduits. Depuis 2004,

l’avis de la commission n’est plus que consultatif. Elle était ainsi « défavorable » au fichage des

personnes simplement soupçonnées de délits, elle n’a pas été entendue . « Le problème du Fnaeg,

s’inquiète Alex Turc, président de la commission, c’est le saucissonnage : ses compétences sont

élargies à chaque vague législative. La CNIL ne peut que proposer des garanties supplémentaires pour

maintenir un système plus protecteur des droits des personnes que le système britannique. »

« La CNIL donne des avis, le gouvernement s’assoit dessus », résume Me Alain Weber, avocat à la

Ligue des droits de l’homme. « Le Fnaeg est un outil pertinent mais il doit rester respectueux des

libertés, explique-t-il. Or, créer un fichier qui répertorie l’ADN à chaque manquement à la loi

pénale, ce n’est pas seulement confier à la police les moyens de l’investigation, c’est créer une

mégabase de surveillance des citoyens. Au lieu de partir du crime pour retrouver le responsable, on

considère toute personne condamnée comme un suspect virtuel pour des manquements à venir. On

constitue une base de suspects. C’est une méthode démesurée qui porte atteinte aux droits de la

personne. »

La Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et

de nombreux citoyens s’inquiètent de la menace que fait peser l’extension du fichier sur les

libertés publiques. Figurer dans un fichier n’est pas anodin. Pour accéder à la fonction publique,

travailler dans une société de sécurité ou dans un aéroport, bref, pour tout emploi nécessitant une

déclaration à la préfecture peut être un handicap. La présomption de culpabilité l’emporterait alors

sur la présomption d’innocence.

Marion Van Renterghem