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Les raisons d’un échec...

10 mai 2007, 23:27

Il est des défaites que l’on ne voit pas venir et contre lesquelles on ne peut rien. C’était le cas pour l’élimination de Lionel Jospin en 2002. En revanche, la cuisante défaite de Ségolène Royal était en gestation depuis longtemps. Pour les observateurs avisés - dans lesquels je m’inclus - la candidate socialiste à la présidentielle avait déjà perdu avant d’être investie. Mais le Parti Socialiste est un organe politique malade, composés de militants vieillissants ayant une soif de victoire aveuglante. La preuve en est leur manie de suivre les sondages contre leurs convictions. Pour le référendum sur le traité constitutionnel, les encartés avaient opté en interne en faveur du oui... quand celui-ci était donné gagnant dans les sondages au niveau national. Ils avaient donc voté contre leur conviction, puisque les enquêtes ont démontrées que lors du vote national, le “non” a été très largement majoritaire chez eux. Mais qu’importe leur conviction, ils avaient choisi d’opter pour la victoire facile et annoncée.
Le cas de Ségolène Royal est largement semblable. Début 2006 débarque - dans Voici et Gala - une nouvelle tête, socialiste, sympathique, jolie, pleine de fraîcheur. Les ventes des magasines démontrent que les gens l’aiment. Dans les sondages, elle fait une percée phénoménale autant que rapide. François Hollande exulte de satisfaction : il a réussi à étouffer ses deux principaux concurrents dans la course à l’investiture. Laurent Fabius et DSK n’ont plus de place dans les émissions et journaux. On ne parle plus que de la Jeanne d’Arc de Poitoux. Elle qui a remporté le conseil régional face au Premier Ministre sortant ! Quel miracle dit-on de-ci de-là. À voir la carte des régionales, il n’y a pas de miracle mais un réel rejet du gouvernement en place. Mais cela, les militants socialistes et François Hollande ne veulent pas le voir. Non : la victoire est socialiste et Ségolène a fait fort.
Mais les sondages ne font pas la compétence, les sondages ne font pas les idées, les sondages ne font pas l’élection, les sondages sont des chiffres creux, et à plus forte raison quand ils sont réalisés plus de 6 mois avant l’élection nationale. Mais qu’importe. Chacun sait au PS - ou croit savoir - que battre la droite en place sera une chose facile. Pas gagné d’avance, mais sans grande difficulté. Le rejet qui a fonctionné pour les précédentes échéances électorales fonctionnera encore, additionné à un désir de social de la part de Français exacerbés par les politiques de Raffarin et De Villepin. Voici ce que se disaient les militants du PS, et plus largement les sympathisants de la gauche. Et, pour une fois, l’analyse était logique.

Sauf qu’une élection, c’est un peu comme un match de football : un match joué à domicile est toujours bien plus facile a remporter qu’un match disputé chez l’adversaire, à l’extérieur. Ségolène fut investie - on s’en souvient tous - parce qu’elle prenait son propre parti à contre-pieds. Elle faisait des propositions surprenantes venant de la gauche : centres fermés à encadrement militaire pour les jeunes délinquants, suppression de la carte scolaire, aides aux entreprises, enseignants devant travailler 35 heures par semaine, etc. Face à un Fabius défendant de véritables propositions de gauche pure, et un DSK cherchant à droitiser le PS, il est certain que Ségolène faisait différent : elle parlait de thèmes de droite ! En effet, c’était du neuf ! Du jamais vu ! Certains l’ont dénoncé, mais qu’importe : ça marche dans les sondages. Alors, elle a été investie.
Dès lors, Sarkozy avait l’élection gagnée : face à une candidate qui venait chasser sur des terres qui étaient les siennes, il n’aurait pas de mal à montrer sa supériorité. Pas besoin de l’attaquer trop : simplement mettre en évidence le fait qu’ils étaient d’accord sur le fond (récidivistes, immigration, identité nationale, la valeur du travail, etc.), puis dire aux gens “voyez, avec un bilan semblable, ce que je propose va plus loin, je suis plus audacieux”. Le tour était joué, l’élection gagnée. À jouer le duel à l’extérieur, Ségolène partait avec un désavantage énorme : elle se condamnait à emboîter le pas de Nicolas Sarkozy, où et comme ce dernier souhaitait la mener.
Bien sûr, une équipe de football peut remporter un match à l’extérieur : l’Olympique Lyonnais l’a prouvé maintes fois en 2007 comme en 2006, 2005 et avant encore. Mais l’Olympique Lyonnais n’est pas né de la dernière pluie ou du dernier Voici : c’est une équipe construite par des dirigeants en place depuis des années, et composée de joueurs expérimentés. Il fallait que les militants PS aient le bon sens de comprendre que l’on n’envoie pas en Ligue des Champions, dans l’espoir de gagner, des joueurs qui n’ont jamais disputé un match professionnel. Ce n’est ni réaliste ni imaginable. Le seul résultat possible est l’échec.

Un deuxième élément de la défaite, moins important mais pas négligeable, c’est le vote utile. Faisant de ce concept un axe essentiel de sa stratégie, Ségolène Royal et son équipe ont dévalué le poids des petits partis de gauche et d’extrême gauche, se privant ainsi d’un important réservoir de voix. Mais se privant du même coup d’un réservoir de discours : en effet, les thèmes où la gauche est forte (solidarité, social, partage, humanité, santé, emploi, etc.) n’ont pas été défendus avec la même portée que lors des précédentes élections présidentielles. La parole des petits partis a été décrédibilisée, voire méprisée : “pourquoi écouter des gens qui n’ont aucune chance d’être élu ?”. Au final, quels discours ont réellement eu un poids ? Quels candidats ont été écoutés ? De droite à gauche : Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Ségolène Royal. Quatre candidats, dont une seule de gauche. Le vote utile n’a fait qu’accentuer ce que je qualifiais plus haut de “jouer à l’extérieur” : le consensus du bilan s’est établi par la parole d’un candidat d’extrême droite, un candidat de droite dure, un centriste tendance droite, et une socialiste du centre. Le bilan et l’état de la France ont donc été de droite, il était donc logique que les solutions proposées pour en sortir étaient celles de droite également.
Le vote utile a été inventé par François Hollande et défendue par Ségolène Royal, qui n’a pas fait un seul pas vers les partis de gauche comme Les Verts ou le PCF, et encore moins la LCR ou LO. Pis : Royal et son mari ont essayé d’empêcher leur candidature, avant de les décrédibiliser et de les moquer.

Bilan de ces deux constats ? Une campagne de droite, engendrant une droitisation des esprits, une gauche abandonnant les terrains où elle est forte, un réservoir de voix historiquement faible, avec au bout une défaite cuisante.
Face à un Sarkozy faisant de la politique à l’américaine (meetings-spectacles, propos provocateurs, etc.) et avec une tendance de droite dure (travail, mérite, nationalisme, etc.) ; il fallait y opposer un candidat faisant de la politique à la Française (parole mesurée, meetings exaltés de conviction) et des discours de gauche pure (partage, solidarité, sécurité salariale et sociale, etc.).
Laurent Fabius semblait être l’homme de la situation. Mais les sondages n’en ont pas voulu ainsi. L’avenir nous dira si le PS et ses militants sont condamnés aux éternels errements que les instituts Sofress et Ipsos leur imposeront...

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