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L’anarchiste Michel Onfray et les communistes : un dialogue rugueux et exigeant

26 mai 2007, 12:25

De quelques questions de Michel Onfray.
(Par OLIVIER GEBUHRER membre du Conseil national du PCF )
Cette réaction prévue intialement pour l’Humanité a bénéficié de plusieurs observations pertinentes de Claude Gindin . L’auteur l’en remercie vivement

Dans les réflexions de Michel Onfray parues le 22 MAI 2007 dans l’Humanité, on trouve une série d’affirmations et un appel au PCF : sa contribution est suffisamment provocatrice pour qu’on ne laisse pas cet article tomber dans les archives et le silence des lourdes défaites.
La gauche a perdu une grande bataille ; toute la gauche ; Michel Onfray considère que du côté du Parti Socialiste, il n’y a plus rien à voir. Si tel est le cas , disons –le d’emblée , alors c’est sans espoir et la droite sous sa forme la plus outrancière, celle qui réunit Versailles , Pétain , et tout le gotha de la finance d’aujourd’hui , toute l’intelligentsia qui ne cesse de détruire les rêves , est pour longtemps au pouvoir en toute béatitude ; le PCF , la candidate qu’il proposa à l’élection présidentielle envisagèrent les choses autrement : il s’agissait de « révolutionner TOUTE la gauche » ; le message , c’est le moins qu’on puisse dire, ne fut ni entendu ni compris ; cela signifie-il que ce n’était qu’une formule , histoire de faire un tour ? Peut –on demander à Michel Onfray d’y regarder à deux fois ?
Le PCF a commis de lourdes erreurs et les paie encore ; mais on ne peut pas dire qu’il ne s’est jamais livré à une sévère introspection , même à retardement ; de cette introspection , furent tirées diverses conséquences parmi lesquelles le PCF cessait de se considérer comme le Parti –guide de la révolution qu’il avait toujours pour objectif de contribuer à faire advenir , révolution d’un genre nouveau à vrai dire , abandonnant pour toujours l’idée de « grand soir » mais pas l’idée de dépassement du capitalisme et , si l’on peut dire, encore moins celle de la visée communiste qu’il s’employa à préciser sans que la démarche en soit achevée .
Ce corpus n’est pas si ridicule qu’on puisse le bousculer d’un revers de main ; l’adaptabilité du capitalisme n’est –elle pas vérifiable ? Un des ses plus remarquables thuriféraires ne décrivit –il pas la crise comme l’état permanent de la société capitaliste ? N’est il pas redevenu un système étreignant la planète, et menaçant les conditions d’existence de la civilisation humaine ?
Si tel est le cas , l’existence d’un parti qui rassemble des citoyennes et des citoyens qui considèrent que , réformable à l’infini , le capitalisme est la forme ultime de la civilisation, est dans l’essence même des choses ; cela n’exclut nullement que ses membres , ses dirigeant(e)s (à un moindre degré sans doute) , et surtout celles et ceux qui peuvent être amenés à voter pour lui , se posent la question de savoir comment on sort de cette situation dans laquelle , plus les choses changent , plus dure est la vie pour la majorité de la population ; et pour des millions de nos concitoyennes et concitoyens , qui inscrivent leur vie dans le cadre du capitalisme , donc a priori ne songent pas sérieusement à trouver les voies de son dépassement , la règle d’airain de l’argent comme mesure de toute valeur , de toute activité , de toute création, tout imaginaire, est néanmoins de nature à induire en eux, dans la tension, la recherche d’un autre type de société ; ces citoyennes et ces citoyens là , à des degrés divers, sont angoissés par l’idée que même majoritaire , le parti socialiste s’avère impuissant à changer l’ordre des choses ; majoritaire , il est impuissant , hégémonique , il est battu et entraîne toute la gauche dans la défaite.
Et il n’est au demeurant pas certain que ces femmes et ces hommes se satisfassent longtemps encore de voir les défaites anticipées d’abandons politiques et idéologiques pour en préparer d’autres plus graves encore. Au demeurant, cela se vérifie déjà à des degrés divers, en Europe évidemment mais aussi dans le monde, y inclus les Etats-Unis d’Amérique.
Ce parcours rapide devrait suffire pour montrer que si l’on ne trouve pas dans les ressources de la pensée de TOUTE la gauche les moyens de sa régénération , même un parti comme le PCF en serait réduit au solo funèbre ; la France tranche cela autrement : pour l’instant , elle l’entend peu et l’écoute moins encore . Comme le structuralisme a imprégné la gauche française tout autant qu’un marxisme très fruste, on peut déduire de mes propos que la solution est toute trouvée : une Gauche repeinte, régénérée du point de vue de ses figures. Un grand Parti de la gauche en somme. Mais évidemment, je n’ envisage rien de tel ; les frontières entre courants idéologiques , politiques, culturels , symboliques de la gauche française ne sont pas étanches ; les réunir dans une unique formation n’est pas seulement du domaine de l’incantation , c’est se priver a priori du moyen de réussir .
Les frontières entre courants de la gauche ne sont pas étanches mais des années , des décennies de combats dont l’axe déterminant était la défaite ELECTORALE de la droite ,combats au sein desquels le débat interne à la gauche , toute la gauche ,fut étranglé , n’ont jamais permis d’en faire voir autre chose qu’une bataille vaine pour l’hégémonisme , ce dont personne à gauche n’a rien à faire ; mais incandescence du débat , il y a . A cet égard, à nos yeux, les responsabilités politiques de l’escamotage sont diversement et inégalement partagées ; mais ce n’est pas pour dégager en touche les responsabilités politiques propres du PCF qui en joua en son temps alors que cette conception meurtrière était parfaitement étrangère à son projet ; le visage de la France porte de façon indélébile ( Sarkozy pense s’en tirer à peu de frais) la marque d’une alchimie historique dans laquelle TOUTE la gauche est présente ; de cette alchimie , il est impossible d’extraire ce qui revient à qui , c’est le propre de l’alchimie .
Ayant tenté de repenser l’ensemble de ses conceptions , le PCF se lança dans l’aventure des Collectifs avec l’idée de rassembler non pas AUTOUR de lui , mais de rassembler sans a priori , sans limite déterminée à l’avance , toutes les forces , individuelles et collectives de la gauche pouvant être intéressées par une démarche de coopération à EGALITE DE DROITS ET DE DEVOIRS ; l’affaire s’effondra comme on le sait , temporairement ;mais pour autant, la démarche par elle-même se trouve t-elle condamnée ? Si c’est le cas, bonsoir madame, le scénario est déjà connu.
Il faut donc reprendre d’urgence ; mais évidemment, à nouveaux frais, notamment intellectuels s’entend. Dans ce cadre, des tâches singulières incombent au PCF. Mais on ne se tirera pas de l’épreuve sans que toutes les forces de la gauche, TOUTE la gauche, y incluses évidemment, celles qui ne s’impliquèrent au mieux que sur la pointe des pieds, je pense en particulier à tous les forces du mouvement syndical et associatif, qui ne veulent , à bon droit, sous aucun prétexte, être instrumentalisées , se livrent à une réflexion en profondeur et, de grâce, sans complaisance .Ce dont il est question est de l’inédit total ; il s’agit de la construction d’une mise en commun. Qui peut bien en être par avance exclu ? Pour les Communistes, la question d’un dépassement révolutionnaire du capitalisme demeure la question des questions ; non seulement, la lourde défaite actuelle n’enlève rien à son actualité mais elle la renforce ; mais il n’est dans l’esprit d’aucun (e) communiste de demander à quiconque d’en faire un préalable de sa propre contribution. Il n’est pas dans l’esprit du PCF de demander que les contributions qu’il pourrait être amené à faire supposent que l’on s’incline devant le propos avant même d’en avoir discuté. Est-ce chose impossible d’en faire une conception partagée ?
Que ce processus de mise en commun prenne le temps nécessaire à sa construction ; ce n’est pas celui des calendriers électoraux même s’il faut en tenir compte .Dans ce processus, de nouvelles habitudes mentales doivent voir le jour ; celles et ceux qui y participent au début seront en mesure d’en faire venir d’autres et devront s’y employer ; une élaboration citoyenne complètement nouvelle commencera à s’esquisser ; des forces politiques qui se regardaient auparavant en cherchant avant tout à découvrir les pièges derrière les positions publiques devront faire l’apprentissage du respect mutuel ; elles devront laisser à la droite les stratégies inavouées et les compromissions politiques ; elles ne changeront ni d’identité , ni de programme ; elles ne perdront pas leur âme si elles en ont une ; mais ce qui est sûr, c’est qu’ainsi se construira une force politique, dont les formations politiques qui en participent, seraient totalement partie prenante sans en épuiser ni dominer le contenu , d’une ampleur inégalée et d’une capacité d’initiative comme on n’en aura pas connu depuis fort longtemps ; cette force là , populaire et citoyenne, devra apprendre ,chemin faisant, à chasser de son propre horizon les combinaisons politiciennes, les ambitions personnelles, l’autosuffisance ; elle devra apprendre en un mot , le sens de sa propre critique réactive, condition pour être bien mieux à même de déjouer les manœuvres et les pièges que les forces adverses seront inévitablement amenées à lui tendre ; des formes nouvelles d’élaboration collective et de dépassement des inévitables confrontations ( dont le « consensus », n’est qu’une forme singulièrement pauvre ) devront voir le jour ; ainsi , sera évité le désastre de la fin du Font Populaire ; ainsi sera rendu impossible le recours aux solutions fascisantes auxquelles les forces du capital n’ont jamais renoncé . Et plus que tout, cette force ne résultant d’aucun compromis tactique préalable, trouvera en elle-même les forces de poursuivre si elle parvient, comme cela est assuré, jusqu’au gouvernement de la France.
Nous convenons que nous sommes ainsi fort loin de la supplique de Michel Onfray, du prince Kropotkine, et des marins de Cronstadt dont la tragédie résulta d’une DOUBLE méprise. Est –ce si sûr au fond ? Aller vers des formes inédites de démocratie politique, crée du désordre ; un désordre créateur à l’antipode de la société glacée par la logique de l’argent, que va tenter de mettre en œuvre de façon écrasante la droite française réunifiée.
Le processus décrit schématiquement ci –dessus ne peut se concevoir sans de profondes transformations du PCF lui-même ; si Michel Onfray veut appeler cela une révolution interne, je ne passerais pas une seconde à réfuter le terme. Mais ce qui nous importe au premier chef, c’est le contenu de la chose ; c’est là que nous trouvons un peu rapide le chemin proposé par l’auteur de la supplique ; le PCF ne peut pas se transformer à la hauteur de ses ambitions affichées sans choisir comme il l’a fait à toute heure sérieuse, le chemin de crête ; c’est celui que sans aucun doute il prendra.