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Cigale Avignon

10 juillet 2007, 13:42

Une réaction à MJM d’Alain Foix
jjb

Soyons lézards

De l’humour que diable ! De l’humour. Humour désintégrateur de tous les
intégrismes.
Qu’est-ce que l’intégrisme finalement qu’une fixation morbide aux images du
passé ?
Rien de moins sage qu’une image vivante. Une image sage est une image morte,
un gisant. Morte et mortifère.

Ce que je dis dans ce texte publié par Cigale, peut-être trop vite lu par
Marie-Jo Mondzain qui n’y voit "qu’un portrait de l’ennemi à détester"
(???), est précisément que notre pire ennemi est nous mêmes dans notre
incapacité à remettre en cause ce qu’on appelle image de soi, c’est à dire
l’ensemble des clichés et stéréotypes qui font qu’artificiellement on se
désigne personnellement ou collectivement une identité.

Ces images avec lesquelles Chantal Montellier a intelligemment joué, et avec
talent, sont des images qui renvoient au passé. Ce n’est pas ce passé qui
est en cause, ni les formes par lesquelles les combats du passé ont existé
ou se sont exprimés. Ce n’est pas une remise en cause de soi et de son
passé, mais c’est l’expression de la nécessité de faire peau neuve pour
continuer ces combats.

L’art n’a pu continuer à être l’art qu’en déclarant la mort de l’art.
Si on ne peut penser la dialectique à l’intérieur des formes (c’est à dire
l’histoire qui fait son chemin en changeant de peau quitte à remettre en
cause les formes du passé) on ne peut pas comprendre la liberté inhérente à
l’acte artistique.
Le parti communiste en respectant absolument cette liberté tient en cette
posture l’essence même de ce combat émancipateur par lequel l’homme dessine
sans cesse des formes pour l’homme. En ceci je m’inquiète de la réflexion de
Marie-Jo Mondzain qui en appelle de manière subliminale à Francis Parny ou
Aline Pailler comme responsables. Faudrait-il comprendre qu’on invoque
censure au nom d’une sacralisation iconographique ? Haro sur l’iconoclaste
qui a touché à nos images sacrées. Où va donc se loger la religion !

Mais que je sache, dessiner une moustache à la Joconde n’a jamais remis en
cause le chef d’oeuvre de Vinci en tant que tel. Bien au contraire. Cet acte
met en valeur la dimension vivante d’un patrimoine en montrant la capacité
du présent à dialoguer avec le passé. Mais dialoguer avec le passé suppose
la capacité de le mettre à distance, donc à montrer que le temps fait son
oeuvre, à poser la dimension temporelle entre soi et soi et se créer un
présent. C’est précisément ce dont sont incapables les archaïques et
intégristes de tous poils.

Méfions nous des fixations morbides sur des images qui, par leur forme même
et leur capacité de subversion ont pu, à l’heure de leur émergence,catalyser
des énergies.Mais il est des formes qui sont plus mortelles que d’autres
parce qu’elles émergent dans un temps précis pour une action précise. Je
pense notamment au ridicule qui consiste à sacraliser l’urinoir de Duchamp.
Il faut maintenant pisser dans l’urinoir car il a fait son oeuvre de
libération de l’art dans ses formes nouvelles.

Etre révolutionnaire, c’est précisément être capable de lâcher le passé pour
l’action essentielle. Rappelons nous Toussaint Louverture, Dessalines et
Christophe mettant le feu à Saint-Domingue pour sauver Haïti, c’est à dire
l’essentiel : leur liberté.
Et puisqu’il est question de Delacroix,glissons vers Géricault qu’Aragon
associe dans sa réflexion sur l’Art questionnant le réel(cf Géricault et
Delacroix ou le réel et l’imaginaire) et ne soyons pas les naufragés d’un
quelconque radeau de la Méduse s’agrippant aux restes d’un glorieux passé.
La Méduse n’est-elle pas précisément celle qui pétrifie ? Qui transforme le
mouvement, la chair de la vie, en pierre et en image ? Soyons lézards.
Abandonnons la queue. Elle repoussera. Coupons ce qui doit être coupé si
cette chose là nous fait prendre par l’ennemi (le pire ennemi est
nous-mêmes).

Mais revenons un instant aux images incriminées et portons-y un oeil
critique et esthétique.
Ce que j’y vois est une critique post post-moderne à la post-modernité d’un
Sarkozy qui joue des formes et références (Jaurès...) du passé pour les
relativiser dans son discours. Tomber dans le piège tendu par Sarko serait
de dire : "Non ! Jaurès est à nous, pas à vous". Jaurès n’est bien sûr à
personne sinon à l’histoire.Ce n’est pas une icône, mais une question. Oui,
Jaurès, comme Marx, Lénine, Trotski etc. sont des questions toujours à
reposer.Leur oeuvre s’inscrit dans une action critique de l’histoire.
Renoncer à la critique, c’est à dire aussi à la critique de la critique,
c’est faire le jeu de tous les sarkocynismes. Mais il faut bien l’admettre :
Sarkozy pose une vraie question à la gauche, une question digne de celle du
sphinx, et la gauche a grand intérêt, comme Oedipe, à bien y répondre. La
réponse d’Oedipe, ne l’oublions pas fut "l’homme".
Ce qu’a fait Chantal Montellier dans ses illustrations est une critique de
la critique par l’image même. Remettant en cause l’usage post-moderne du
fonds d’images sur lesquelles s’arqueboute la gauche (et par ironie
Sarkozy), elle fait fonctionner de manière novatrice ces icônes en rejouant
avec elles le jeu de Sarkozy pour le déjouer en le submergeant dans son jeu.
En réalité, c’est la force de ces images révolutionnaires rejouées de
manière dérisoire qui apparaît. Elle leur redonne force justement par ce jeu
de mise à distance, comme la moustache dessinée sur la Joconde requestionne
son sourire.

Alain Foix