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Bien mal acquis ne profite jamais ... Faut voir

30 septembre 2008, 18:02, par anna

Révélations sur la "caisse noire" de l’UIMM
Par Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme (www.mediapart.fr)

Le mur du silence érigé à l’automne 2007 par les protagonistes de l’affaire de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) commence à se fissurer. Le juge Roger Le Loire, qui cherche à lever le voile sur les bénéficiaires de la « caisse noire » de l’organisation patronale la plus puissante de France, dispose aujourd’hui de plusieurs témoignages qui orientent de fait l’enquête vers un financement occulte politique et syndical.

Le plus précis de ces témoignages, resté inédit jusqu’ici, date du 21 février dernier. Ce jour-là, le magistrat a recueilli dans son bureau les confidences d’Annick Le Page, une ancienne chargée de mission à la Fédération des industries mécaniques (FIM) – adhérente à l’UIMM – qui lui avait spontanément écrit le 7 janvier, indiquant avoir des révélations à apporter sur le scandale qui ébranle le patronat français depuis six mois.

La déposition de Mme Lepage, dont Mediapart publie en intégralité la retranscription (voir "Lire aussi"), ouvre la voie à de nouvelles pistes d’investigation pour les enquêteurs, qu’il s’agisse du juge Le Loire ou des policiers de la brigade financière.

Tous s’étaient heurtés jusque-là à l’omerta qui semble de règle chez les principaux acteurs du dossier. En premier lieu, Denis Gautier-Sauvagnac, dit « DGS », l’ancien président de l’UIMM sous l’autorité duquel 19 millions d’euros ont été retirés en espèces entre 2000 et 2007 de l’Epim, une caisse de secours mutuel censée soutenir les entreprises de la métallurgie ayant subi des préjudices lors de conflits sociaux. La fameuse « caisse noire » de l’UIMM serait aujourd’hui créditée de quelque 600 millions d’euros...

Interrogée par le juge sur les destinataires de ces sommes occultes, Annick Le Page a résumé d’un trait ses présomptions : « Il était dit dans le milieu dans lequel j’évoluais que cet argent servait à "arroser" les syndicats, les politiques, les journalistes, ceux qui en savent trop, la maîtresse des uns et des autres, etc. »

Spécialiste des questions de formation et d’apprentissage, Mme Le Page a tenté d’étayer ses dires par deux exemples qui mettent en cause la classe politique. A gauche comme à droite.

Le premier date du début des années 1990. Mme Le Page a ainsi relaté la teneur d’une conversation téléphonique que son patron à la FIM, Patrice Vareine, aurait eu le 25 juillet 2001 avec l’ancienne chef du service juridique de l’UIMM, Yolande Sellier. « M. Vareine (...) avait mis le haut-parleur, ce qu’il faisait fréquemment lorsqu’il abordait les problèmes de formation avec son interlocuteur », a expliqué Mme Le Page, qui a conservé des notes de l’époque rédigées par ses soins – aujourd’hui entre les mains du juge.

Lors de sa déposition, elle a évoqué un certain « M. de Navacelle », qu’elle a présenté comme « un ancien de Matignon, cabinet Bérégovoy-Cresson ». Lors de cet entretien téléphonique, « il a été dit que M. de Navacelle était le coursier avec enveloppe, c’est-à-dire qu’il allait chercher des enveloppes, d’argent je présume, avant d’être ensuite embauché à l’UIMM », a révélé Mme Le Page.

« Il fallait “acheter” ceux qui participaient à cette loi »

L’homme en question, c’est Henri de Navacelle. Un ancien ingénieur de l’Ecole navale, qui fut aide de camp au cabinet militaire du Premier ministre Edith Cresson (PS), puis de son successeur Pierre Bérégovoy (PS, aussi), entre 1991 et 1993. En 1995, cet ancien officier de marine a accédé au poste clé de directeur de la Formation et des Ressources humaines de l’UIMM, un an après que DGS en fut devenu le directeur général.

Interrogée par le juge Le Loire sur ces déclarations, l’ancienne chef du service juridique de l’UIMM a nié catégoriquement avoir « jamais tenu de tels propos » concernant M. de Navacelle. « En aucune façon, je n’ai dit qu’il avait pu être le transporteur de valises entre Matignon et l’UIMM. Ces propos sont mensongers, voire diffamatoires », a ainsi vivement réagi devant le magistrat Yolande Sellier.

Le deuxième exemple donné par Annick Le Page concerne le lobbying actif mené par l’UIMM à l’Assemblée nationale quand, en 1995, une vaste réforme des modes de financement de l’apprentissage, qui constitue une manne financière considérable pour la métallurgie, menaça d’amputer de 45,7 millions d’euros les caisses des entreprises du secteur. L’UIMM était montée en première ligne pour contester les modalités de cette réforme, pourtant approuvée par le CNPF (l’ancêtre du MEDEF). Avec succès.

Un amendement parlementaire, déposé à la dernière minute par la députée (RPR) de Maine-et-Loire, Roselyne Bachelot, aujourd’hui ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, permit d’extraire une dizaine de fédérations patronales du champ de la réforme. Dont l’UIMM. Sans jamais citer le nom de l’actuel membre du gouvernement ni d’aucun autre responsable politique, Annick Le Page a toutefois déclaré au juge : « Il fallait "acheter" ceux qui participaient à cette loi de 1995. »

Mme Le Page a par ailleurs assuré, avec un luxe de détails, que la formation professionnelle constituait l’une des principales sources de financement de la caisse noire de l’UIMM. « Il était de notoriété publique au sein de nos institutions (...) que le "jeune en contrat de qualif’ était la pompe à fric de la caisse noire de l’UIMM" », a-t-elle déclaré.

Le mécanisme frauduleux mis en place était enfantin. Selon cette ancienne salariée de la FIM, des faux contrats d’apprentissage étaient signés par des organismes proches de l’UIMM afin « d’obtenir les subventions prévues par la loi ».

Mme Le Page a aussi affirmé avoir été « l’objet de pressions et de menaces » quand elle a révélé ces « dysfonctionnements » au responsable d’un organisme de formation avec lequel elle travaillait. Ce dernier lui aurait rétorqué que ces pratiques avaient « toujours » eu lieu, au Groupement des industries métallurgiques (GIM), à l’UIMM, et « dans tous les centres de formations dans la France entière ».

Mme Le Page a ajouté que la plupart des archives comptables des entreprises mises en cause avaient brûlé en août 1997 dans l’incendie criminel de trois hangars du port du Havre où elles étaient entreposées avec celles du Crédit lyonnais, alors secoué par l’affaire Ibsa-CDR.

« Tous les syndicats bénéficiaient de ces aides »

Mais ce n’est pas tout. Le juge Le Loire dispose d’un autre témoignage, certes plus flou, qui confirme la thèse d’un financement occulte par l’UIMM des grandes organisations syndicales. C’est ce qui ressort en substance des déclarations de Jacques Gagliardi, salarié de l’UIMM jusqu’en 1999.

Proche de Pierre Guillen, le directeur général de l’union patronale qui a précédé DGS, M. Gagliardi a confié au juge, il y a quelques semaines : « Pierre Guillen ne m’a jamais précisé les montants qu’il remettait directement ou indirectement aux syndicats de salariés de la métallurgie, ni comment, ni à qui et selon quelle régularité. Je suppose que tous les syndicats bénéficiaient de ces aides, y compris la CGT, je ne l’exclus pas (...). Il s’agissait d’une politique générale qui n’était pas nouvelle et qui consistait à financer leurs activités : payer leurs permanents, tenir un congrès à Paris, loger et nourrir les délégués syndicaux quand ils venaient à Paris... Je ne pense pas que l’UIMM payait les factures ou les salaires de ces permanents, j’en suis même convaincu. »

A travers de son témoignage, on comprend en tout cas que le financement syndical occulte est désormais tenu pour acquis par le juge, qui a notamment posé la question suivante : « Connaissez-vous l’origine des fonds qui étaient remis aux syndicats ? »

Ce à quoi M. Gagliardi a répondu, un brin nostalgique : « A la belle époque, dans les années 1970, l’UIMM avait 15.000 adhérents. Se délester de quelques millions de francs par an ne devait pas poser de problème, je pense. Mais j’en ignore la provenance d’un point de vue comptable. »

Invité par le juge à réagir à ces révélations lors de sa première audition sur le fond du dossier, le 16 avril dernier, DGS a eu une réponse sibylline. Il n’a pas démenti, mais a simplement lâché : « Je laisse à M. Gagliardi la responsabilité de ses déclarations. » Le magistrat a alors reformulé sa question à propos des bénéficiaires des fonds : « S’agissait-il de gens médiatiquement connus ? » DGS a encore esquivé : « Je ne peux pas répondre à cette question. » Nouvelle tentative du juge : « Existe-t-il un problème de financement des organisations syndicales en France ? » La réponse de DGS, empreinte de malice et d’insolence, a fusé : « Ah, sûrement ! »

DGS, entre ellipses et silences

Mis en examen pour « abus de confiance », « recel d’abus de confiance » et « travail dissimulé », l’ancien patron de la métallurgie – dont l’avocat Me Jean-Yves Le Borgne n’a pas donné suite à nos nombreux messages – n’entend visiblement pas en dire plus, conservant ainsi la stratégie de défense mise en place à l’automne 2007, lors de la révélation publique de l’affaire. Plusieurs de ses dépositions attestent cette tactique, oscillant entre ellipses et silences.

Entendu par la brigade financière le 3 octobre 2007, au tout début de l’enquête, DGS avait par exemple répondu aux policiers qui le questionnaient sur l’usage fait des retraits en espèces de la caisse noire de l’UIMM : « Je les attribuais dans le cadre de [la] régulation de la vie économique et sociale. » Ajoutant : « J’ai toujours remis les fonds, l’intégralité des fonds, à des personnes physiques, des individus. »

Il avait été aussi peu loquace, multipliant les circonlocutions au point d’agacer les policiers, au cours de sa garde à vue entre le 27 et le 29 novembre 2007 (ainsi que l’atteste le compte rendu publié par Le Pointle 20 décembre 2007).

Depuis le premier jour, DGS se retranche derrière une forme de « raison d’Etat » pour ne pas révéler les principaux bénéficiaires des fonds en liquide – à l’exception notable d’une ancienne figure du patronat français, François Ceyrac, comme l’a révélé Mediapart le 21 avril. « Cela relève d’une conception de l’intérêt général et du respect que j’ai pour les destinataires qui, quelles que soient leurs opinions, étaient attachés à leur cause », a tenté de faire comprendre au juge, le 16 avril, M. Gautier-Sauvagnac.

« Dès octobre 2007, j’ai indiqué que je ne dirai rien », a encore prévenu DGS. « J’ajoute qu’à de multiples reprises depuis le 26 septembre, les instances de l’UIMM, informées du système des retraits en espèces, m’[ont] manifesté leur confiance. » Ainsi, il veut voir dans la confortable indemnité de départ qu’il a obtenue un « prolongement de [cette] confiance ».

Une seule fois, au cours de son interrogatoire, DGS a laissé percer une certaine amertume à l’idée de servir de bouc émissaire. « En ce qui concerne ma solitude, je la trouve bien excessive si l’on considère que – sauf à entrer dans les détails – il s’agit d’un secret de polichinelle pour des pratiques qui existaient depuis des décennies et auxquelles j’étais en train moi-même de mettre fin. Je suis le premier à reconnaître que ces pratiques datent (...) Distribuer des billets même pour la bonne cause n’était pas ma ligne de conduite. »

« Nous détruisons les pièces comptables tous les ans »

C’est donc à pas de loup qu’avancent les investigations. Si l’identité des bénéficiaires tarde à se manifester, en revanche, l’enquête a d’ores et déjà pu reconstituer avec précision le système de retraits des espèces. Ils étaient réalisés à la demande de DGS par la comptable de l’UIMM, Dominique Renaud – également mise en examen –, qui remisait ensuite les billets dans le coffre de l’organisation patronale, au deuxième étage de ses locaux parisiens, rue de Wagram.

Le montant retiré d’un compte de la BNP était toujours le même : « 200.000 euros », a assuré Mme Renaud aux enquêteurs. « Je reçois mes instructions de M. Gautier-Sauvagnac, a-t-elle raconté. Il me dit qu’il a besoin de liquide. Je fais en sorte que cela soit fait dans les jours qui suivent (...). Je rédige le chèque, je le signe et le porte à la signature » de DGS.

Où allait ensuite l’argent ? C’est la lancinante question à laquelle les enquêteurs espèrent pouvoir désormais répondre. Dominique Renaud ne leur a pas été d’une grande aide, elle qui a assuré qu’il n’y avait « pas d’enregistrement comptable de ces opérations ». De toute façon, a-t-elle précisé, si de manière générale l’UIMM tenait « une comptabilité dans les règles », « nous détruisons les pièces comptables tous les ans à l’issue de l’AG d’approbation des comptes ».

Dès le mois d’octobre 1995, M. Gautier-Sauvagnac avait affirmé à un banquier de la BNP, entendu récemment par le juge Le Loire, que les versements en espèces étaient destinés à des « vieux serviteurs de la métallurgie » et à des « organismes ayant pour finalité de servir l’intérêt général ». Grâce aux derniers témoignages engrangés, le magistrat espère identifier ces fameux « serviteurs » qui, visiblement, ont été à leur tour bien servis.

Fabrice Arfi
Médiapart (service Enquêtes)