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> Vive les grévistes EDF !

14 juin 2004, 16:22

Pourquoi il faut ouvrir le capital d’EDF

Pour l’économiste Elie Cohen, EDF devra accélérer sa mutation pour résister à la concurrence européenne. Le groupe public devra donc poursuivre sa fort coûteuse expansion internationale et accepter une privatisation partielle pour trouver les moyens de ses ambitions

Le Nouvel Observateur. – EDF a présenté la semaine dernière des résultats en baisse de près de 30%. Au moment où l’ouverture du capital est en débat, cela tombe mal !
Elie Cohen. – Cela aurait pu être pire ! Cette dégradation résulte d’abord de la politique énergétique décidée par le gouvernement : la place croissante accordée aux énergies renouvelables, telles que l’énergie éolienne, extrêmement coûteuse, ont lourdement pesé sur les comptes. Il y a ensuite le coût du développement international, qui a grevé la rentabilité. Il y a enfin les premiers effets de la concurrence.

N. O. – Mais cette course à l’international est-elle bien raisonnable ?

E. Cohen. – Elle est même vitale. Après neuf ans de débats, l’Europe a fait le choix de la libéralisation graduelle du marché de l’électricité. En 2004, 65% du marché sera ouvert à la concurrence. EDF, qui pressentait ces évolutions depuis longtemps, a compris la nécessité de se développer à l’étranger, ne serait-ce que pour offrir un avenir à son personnel ! Si le groupe public perd la moitié de son marché national, sans se développer à l’extérieur, comme la croissance de la consommation d’électricité est faible, ce sont les deux tiers de ses effectifs qu’il lui faudra supprimer ou placer chez ses concurrents !

N. O. – Mais ces acquisitions ont pesé très lourd sur les comptes… EDF ne risque-t-il pas d’être victime du syndrome France Télécom ?

E. Cohen. La stratégie d’EDF à l’international n’est pas limpide. Mais on est loin des folies de France Télécom. Il n’y a pas de bulle électrique, comme il pouvait y avoir une bulle télécoms. De plus, lorsqu’un nouvel entrant s’attaque à un marché, il surpaie toujours un peu son acquisition. Jusqu’ici EDF a mis beaucoup d’argent pour acquérir des participations minoritaires. Il faut passer la vitesse supérieure et prendre le contrôle opérationnel et capitalistique des entreprises partiellement contrôlées en Allemagne, Italie, Espagne…

N. O. – François Roussely a parlé de besoins de l’ordre de 18 milliards d’euros dans les années à venir. Qui va payer ?

E. Cohen. – Pour l’instant, l’entreprise a dépensé beaucoup de cash. L’Etat actionnaire n’apportera pas plus d’argent demain pour financer l’international qu’il n’en a apporté hier pour financer le programme électro-nucléaire. EDF aura donc besoin de capitaux frais pour financer sa croissance et son redéploiement : voilà pourquoi il faudra ouvrir le capital… C’est mécanique. Pas politique !

N. O. – Les agents d’EDF sont-ils prêts à accepter cette évolution ?

E. Cohen. – La poussée de SUD aux dernières élections est un épiphénomène. Les politiques vivent avec le fantasme de la France plongée dans le noir. En vérité, les agents d’EDF sont prêts, d’autant que personne ne parle de remettre en question leur statut ni leurs conditions de travail. Au total, la réforme d’EDF s’est étalée sur quinze ans, et la condition des salariés s’est améliorée. L’évolution millimétrique du statut à coûts croissants, c’est peut-être ça, le modèle français !

N. O. – L’Etat doit-il céder le contrôle d’EDF ?

E. Cohen. – Je ne le pense pas. L’Etat doit maintenir une présence pérenne dans une activité aussi sensible que le nucléaire. Il y a d’ailleurs un consensus politique sur cette question, avec simplement des différences de degré et de modalité. Les uns pensent que l’Etat doit simplement mettre une partie du capital en Bourse. D’autres préféreraient faire entrer les collectivités locales et les salariés dans le capital avant de s’adresser à la Bourse pour lever des fonds. Si la gauche gagne les élections, on peut lui faire confiance pour ménager les symboles, et faire les adaptations nécessaires au nom de la défense du service public. Mais il y a urgence. Il faudra être en ordre de bataille pour 2004 !

N. O. – Justement, EDF est-il prêt ?

E. Cohen. – EDF reste la meilleure entreprise électrique européenne. Certes, le groupe n’est pas géré comme une entreprise qui compte ses sous… Un gestionnaire scrupuleux pourrait traquer les sureffectifs, les structures redondantes, les avantages indus. Mais il y a un prix à la réforme, et EDF est riche. Sa chance, c’est encore une fois le nucléaire. Avec l’allongement de dix ans de la durée de vie des centrales, plus le temps passe, plus la marge dégagée par un parc électrique amorti sera importante…

N. O. – Mais le choix du nucléaire est de plus en plus contesté…

E. Cohen. – Il faudra à terme diminuer la part du nucléaire. Mais cela aura un prix. Entre l’énergie éolienne et le nucléaire amorti, le rapport en termes de coûts est de 1 à 10 ! Le président d’EDF a réclamé une hausse des tarifs de 5%, qui lui a pour l’instant été refusée par Matignon. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires : plus on fait de place à l’éolien et plus la facture du consommateur s’alourdira. Au total, penser qu’on va remplacer le nucléaire par les éoliennes n’est pas sérieux. Le nucléaire est là, il est rentable et il nous permet de tenir les objectifs du protocole de Kyoto, car il ne rejette pas de gaz carbonique comme le charbon ou le pétrole. Bref, le nucléaire offre aujourd’hui un double dividende économique et écologique, et je ne vois guère d’alternative crédible à l’horizon.

Propos recueillis par NATACHA TATU
Semaine du jeudi 4 avril 2002 - n°1952 - Economie
http://www.nouvelobs.com/articles/p1952/a14324.html