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Adieu Marceline
par Nicolas Villodre
Publie le lundi 7 mai 2018 par Nicolas Villodre - Open-PublishingUne cérémonie aura lieu lundi 7 mai à 13h30 au crématorium du Père Lachaise à Paris.
Marceline Lartigue est partie avec le froid d’avril, samedi 28, victime d’une rupture d’anévrisme. Elle était danseuse, chorégraphe, militante de gauche depuis toujours, de père (Pierre Lartigue) et mère (Bernadette Bonis) en fille. L’attaque l’a prise, en plein mouvement, en pleine rue. Son compagnon Roberto Ferrario l’a vue tomber devant lui « pendant la diffusion de tracts pour les manifs du 1er et du 5 mai ».
Née dans un milieu acquis à la cause de la modern dance – Pierre Lartigue fut avec Jacqueline Lesschaeve l’un des premiers écrivains en France à avoir traité de Cage et Cunningham, avant de collaborer à l’Encyclopaedia universalis et de consacrer une partie de ses efforts à d’autres styles de danses ; Bernadette Bonis fut de longues années critique dans DANSER, il semble après coup naturel que Marceline soit devenue danseuse versée dans le contemporain.
Comme ne nous surprit pas de la voir s’unir, une période de sa vie, à un collaborateur de l’art de Terpsichore, le compositeur Hughes de Courson qui signa la musique d’au moins deux de ses pièces : Erzsebet et Lola Montes. A propos de musique, rappelons qu’une autre compositrice est attachée à son œuvre : Michèle Bokanowski.
Formée par Suzon Holzer, Susan Buirge, Hideyuki Yano, Lucinda Childs et Merce Cunningham (excusez du peu), Marceline dansa pour Karole Armitage et Karine Saporta dans les années 80 et se lança à son tour dans le bain chorégraphique au tournant de la décennie suivante, fondant alors la Compagnie Szerelem – mot qui, en hongrois, traduisait son amour des autres et celui de son art.
Elle a créé une vingtaine de pièces en autant d’années, de 1989 à 2011. Des œuvres qui, d’après les critiques de l’époque, sont plus proches d’ascétiques rituels que d’inoffensifs divertissements. Parmi celles-ci, elle en avait retenu un nombre limité à moins de la moitié en page d’accueil de son site internet : Erzsebet (1988), Lola Montes (1992), Gilles de Rais (1995), L’Orage d’une robe qui s’abat (1998), L’Antichambre des Contes (1999), L’Improbable (1996) et Centaures (1997).
Vers 1992, Marceline entreprit ce qu’elle appela un « journal chorégraphique », qui lui permit de produire la synthèse scénique – et pas seulement sur le papier –, de son travail en général et de ses recherches sur l’espace public en particulier, de Pointé (1994) à Côté jardins qui rassemble trois pièces courtes Sacro bosco, Ciels en friche (2001) et Ryoan-ji (initialement créé en 1990), mais surtout de réaliser des portraits d’interprètes inspirés de la peinture ancienne, comme celui du danseur Michel Barthome, Figures (1994) ou de la danseuse et amie Marjolaine Zurfluh, Le Portrait de Marjolaine (1992), solo portant sur la notion d’extase, qui fut repris à la demande et pour le danseur étoile de l’Opéra Jean-Yves Lormeau sous le titre Prédelle (1995). Ce tableau dansé inspiré, ainsi que le rappela René Sirvin, de la « statuaire polychrome baroque d’Espagne et d’Italie », amorça à l’Opéra-Comique une autoréflexion sur la danse, dix ans avant la Véronique Doisneau de Jérôme Bel.
Son autoportrait, intitulé Tabou (1993) était inspiré du personnage de Salomé, une « Salomé traversée par tous les protagonistes (Hérodiade, Jean-Baptiste, Hérode) ». Dominique Frétard décrivait Marceline Lartigue comme suit en 1993 : « Il y a du Fregoli dans cette interprétation qui glisse de la sainte à la tueuse, dont la folie meurtrière ébranle sans relâche un corps qui devient l’instrument du destin, tandis que la musique s’achève sur le crépitement du feu. »
Dans un de ses articles sur son travail, Marie-Christine Vernay estimait que Marceline considérait l’espace « comme une composante de ses chorégraphies et non comme une boîte pour accrocher décors et projos », rappelant le fait, incontesté, qu’elle était « plutôt drôle et séduisante », tout en sachant rester « ferme et rebelle » – la définissant, par ailleurs, dans un autre article, comme « savante et archaïque » à la fois. Vernay notait enfin, sans nous aider à la déchiffrer, que sa danse était « régulée par une force intérieure, une profonde respiration et une attraction extérieure ».
Dès 2003, Marceline commence un cycle de recherches autour des rituels au Bénin, Ghana et Sénégal. Elle sera Lauréate de la bourse Villa Médicis AFAA hors les murs en 2006 puis Lauréate d’une bourse aux écritures chorégraphiques innovantes du Ministère de la Culture en 2008-2009. Elle restera six ans au Bénin. Chercheuse, formatrice, chorégraphe (Marcel, ici et maintenant en 2011 à la Fondation Zinsou-Cotonou), et réalisera les danses Asansan à Cotonou et Abomey, danses-patchwork élaborées à partir de l’identité d’interprètes, en partenariat avec le Conservatoire des danses cérémonielles et royales d’Abomey.
En 2011, Marceline nous avait montré sur son ordinateur portable un solo –Trace (qui devait constituer ensuite le premier volet de Gradiva Expérience) – moins pour faire admirer la fluidité d’une danse sous influence africaine, sa technique impeccable déjà remarquée par le mundillo de la critique, sa « qualité de mouvement », (comme disent ceux-ci), que pour nous demander notre avis sur la manière dont elle avait été captée par la vidéo légère. Nous pensons avec le recul l’avoir à la fois tranquillisée, en reconnaissant que les prises de vue restituaient clairement la variation interprétée par elle devant la caméra, et, sans doute aussi, un peu préoccupée en lui avouant que le mieux eût été selon nous de filmer l’intégralité de la prestation en une seule prise de vue, le plus simplement du monde – si tant est que le concept rouchien de plan-séquence soit si facile que cela à concrétiser.
Ceci étant dit pour mieux rendre ou transmettre la limpidité de ce magnifique solo, soutenu et programmé par Alfred Alerte dans le cadre d’un hommage aux femmes chorégraphes au Festival Chemin des Arts. Entre 2012 et 2014, Marceline continuera à travailler à son projet Gradiva Expérience qui ne verra pas le jour faute de moyens et de soutiens.
Marceline Lartigue définissait ainsi son art : « Danser est pour moi cet acte où la conscience ordinaire effleure le subliminal ».