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Anka et Marie, partisanes de l’Est éxécutées

par Chien Guevara

Publie le samedi 24 septembre 2011 par Chien Guevara - Open-Publishing
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A l’heure où notre président fait campagne pour le patriotisme (lire le malodorant projet de loi : "Allégeance aux armes" : la proposition polémique de l’UMP ), et en cette période de commémoration des attentats du 11 septembre, il serait peut-être intelligent de parler du patriotisme sous l’occupation, il y a quelques années ...

Comment une nation qui a fait fusiller ses patriotes, peut-elle quelques décennies plus tard réagir à l’opposé et sanctionner ceux qui ne le seraient pas ? Hélas, ce phénomène n’est pas réservé à la France, qui essaie de s’exorciser, en commémorant Guy Moquet (lire Guy Moquet et sa lettre) : dans tous les pays d’Europe, les gens qui aimaient leur pays au point de refuser toute corruption, en ont payé de leurs vies.

Lors de la seconde guerre mondiale, les communistes, les résistants, les partisans, la plupart très jeunes, ont été traqués, incarcérés, torturés, fusillés ; et ce dans tous les pays d’Europe.

Dans cet article, je rendrai juste hommage aux femmes courageuses, qui ont perdu la vie pour avoir voulu garder libre leur nation. A travers deux exemples de pays de l’Est (pays encore tabous de nos jours en France ; allez savoir pourquoi...), découvrons les destins tragiques de ces partisanes.

Yougoslavie - Anka Kneževic

Née à Podgorica en 1924, elle devient agent de liaison entre le centre clandestin communiste de Podgorica et les formations partisanes de la région. Une première fois arrêtée en 1942, puis relâchée en octobre 1943, elle est arrêtée à Podgorica le 23 décembre 1943. Torturée par des éléments de la Gestapo et des collaborateurs, elle est fusillée en avril 1944.

Sa lettre d’adieu :

Mes très chers, Je vous écris aujourd’hui ma toute dernière lettre, car je sais que demain à 10h je me dirigerai vers la mort. Je ne regrette pas de partir si jeune dans une tombe si froide, je ne regrette pas de partir en ayant réussi à sauvegarder mon honneur et ma réputation et je laisse ma vie sur l’autel de la liberté pour la cause commune, la prospérité et pour le bien de l’avenir de l’humanité comme l’ont fait avant moi des milliers et des milliers de jeunes gens prometteurs. Le seul regret véritable que je puisse avoir c’est de t’abandonner toi, mon père, vieillissant, tes forces te trahissant sans personne auprès de toi.
Je regrette infiniment de ne pas pouvoir voir une dernière fois mes très chers frères adorés. Mon père, sois courageux et ne sombre pas dans le désespoir dont nos ennemis, qui aujourd’hui prennent ma jeune vie, pourraient se délecter. Evite de recevoir les condoléances de quiconque, car la plupart de ceux qui viendront te les présenter, ne le feront que pour le plaisir de te voir souffrir. Je souffre pour toi, puisse cela te réconforter, je pars la tête haute, mon honneur sauf, je meurs de la main de nos frères monténégrins, ces moins que rien ; N’aies pas honte de la mort de ta fille car je pars comme bon nombre d’entre nous pour le bien de mon peuple, mais sois certain qu’un jour nous serons vengés par nos compagnons, nos frères, qui se battent pour notre cause, depuis quatre ans déjà, dans nos forêts.
Mes dernières pensées vont vers toi et ta vieillesse en tant que parent. Sois persévérant, sois courageux et ne désespère pas. Reçois pour la dernière fois les tendres pensées de ta fille Anka. Mon cher frère Milo. Aujourd’hui, jour de l’exécution de ta soeur, tu te trouves à Skadar, essayant de gagner de quoi nourrir notre famille, toi qui est si jeune pour ce rôle, nourrir ton vieux père et tes soeurs, tu n’auras plus à penser à moi, à ce que tu pourrais m’envoyer dans ma geôle, ce fardeau te sera désormais épargné. Je suis désolée que tu ne sois pas là à mes côtés de façon à te voir au moins toi encore une fois puisqu’il m’est impossible de voir mes autres frères.
J’ai eu l’occasion de voir papa lors du jugement, je donnerai tout pour ne pas l’avoir revu en cet instant, j’en étais plus profondément désespérée, le voir ainsi vieux, misérable, voûté, face à son enfant de dix-neuf ans, assise sur le banc des accusés, la voir jugée par des moins que rien, et pourquoi, parce qu’elle était honnête, qu’elle n’a voulu tuer personne, parce qu’elle n’a jamais fait de mal à personne, parce qu’elle a toujours aidé ses frères et ses amis et qu’en pensées elle était toujours à leurs côtés. Ces mêmes amis dont elle comprend maintenant comment ils se sentaient eux-mêmes lorsqu’on les a condamnés à mort. Son père regardant son propre enfant, qui depuis sa plus tendre enfance représentait pour lui un idéal.
Cher frère, sois fort et courageux, ne me pleure pas devant n’importe qui, fais bien la part de la sincérité de la personne qui te présente ses condoléances. Ta soeur part pour votre bien-être, à vous qui restez. Puisse Dieu faire que je sois moi la dernière victime de notre pauvre peuple martyrisé, sois fort, garde ton honneur et prends le chemin de ceux qui vont de l’avant, sois un jeune dont on est fier, aide de ton mieux nos partisans si courageux, prends garde avant tout de ne pas tomber entre les mains de ces moins que rien, de ces malfaiteurs comme l’a fait ta pauvre soeur martyrisée. Reste honnête et droit même s’il t’en coûte la vie car il vaut mieux mourir honorablement que de vivre honteusement.
Quant à nos chers frères Drago et Vlado ; dis leur lorsque tu les verras que leur soeur est descendue dans sa tombe avec le désir inassouvi de les voir une dernière fois. Transmets-leur les plus tendres pensées et les baisers fraternels de leur pauvre soeur qui n’aura pas réalisé son dernier désir. Dis-leur bien que mes dernières pensées étaient destinées à vous tous que j’aime.
Raconte-leur comment nous avons survécu à la mort de notre chère et tendre mère, combien nous avons peiné depuis sa mort jusqu’à aujourd’hui afin de rester honnêtes, mais ces moins que rien ont voulu couper court à tout cela et m’ont arrachée à vous et traînée dans des camps de concentration durant deux ans et cela ne leur a pas suffi, ils devaient encore me tuer.
Qu’ils ne croient surtout pas qu’en me tuant comme ils ont tué bon nombre d’entre nous que cela suffira à éteindre la flamme de notre soulèvement et de notre résistance contre l’oppresseur, qu’ils ne pensent pas qu’ils arriveront de cette façon à étouffer le mouvement de la jeunesse populaire, mais renforceront au contraire la cohésion de ceux qui restent et qu’ils sachent surtout qu’un jour viendra où eux-mêmes se trouveront sur le banc des accusés mais contrairement à nous, ils seront coupables de crimes d’anthropophagie d’une jeunesse qui va de l’avant même si elle est martyrisée.
C’est à ce moment là que les membres de nos familles encore en vie pourront les juger et notre mort représentera pour eux leur plus grand désastre ; sur nos os et nos cadavres se construira une ère nouvelle de bonheur, dans laquelle chaque individu vivra selon les mêmes règles et aura les mêmes droits à la vie.
Je pars à la rencontre de la mort avec la certitude ferme que la victoire nous appartient, et depuis ma tombe, je serai heureuse de voir que ce pourquoi j’ai donné ma vie a servi à la cause pour laquelle nous avons tous combattu.

Chanson en hommage, de la part d’un groupe slovène :

Tchécoslovaquie - Marie Kuderikova

Née le 24 mars 1921 et ouvrière à Brno en Moravie, Marie Kuderikova commence l’activité clandestine en aidant des connaissances à passer la frontière entre le protectorat de Moravie et l’URSS. Disposant, en tant que fille d’un fonctionnaire des chemins de fer, de billets de train réservés à l’administration, elle transporte des tracts et des explosifs. Suivie par la Gestapo sur dénonciation d’un jeune collaborateur, elle est arrêtée à l’usine en décembre 1941. Torturée, transférée de prison en prison, elle est condamnée à mort et décapitée à Breslau le 26 mars 1943.

Sa lettre d’adieu :

Breslau, le 26 mars 1943

Mes chers parents, ma chère Maman et mon cher Papa bien aimés. Ma soeur unique, mon petit frère. Ma Grand-maman adorée, ma petite tante, mes amis, mes chers, chers amis. Ma famille. Vous tous, qui m’êtes si chers, qui êtes les plus chers à mon coeur. Je vous quitte, je vous fais mes adieux, je vous aime.
Ne pleurez pas ; moi, je ne pleure pas. Je m’en vais, sans lamentation, sans tressaillement de peur, sans douleur ; et je commence à comprendre quelles choses auraient dû être en elles-mêmes un but, et non un moyen. Vous quitter et pourtant me rapprocher, fusionner avec vous. Je ne peux plus vous donner que très peu de mon amour ; je peux vous assurer de sa profondeur et de sa ferveur. De mon ardente reconnaissance.
Aujourd’hui, le 26 mars 1943, à 18 heures 30, deux jours après mon 22ème anniversaire, je respirerai pour la dernière fois. Et pourtant, jusqu’au dernier moment... Vivre et croire... J’ai toujours eu le courage de vivre ; je ne le perds pas, même dans le face à face avec ce qu’on appelle, en langage humain, la mort.
Je voudrais assumer tout votre chagrin, toute votre douleur. Je sens la force de les porter à votre place, l’envie de les emporter avec moi. Je vous en prie, je vous en prie, ayez aussi cette force, ne souffrez pas, ne pleurez pas. Je vous aime, je vous estime tant. En lisant vos paroles, les ailes m’ont toujours poussée. Vous avez fait le maximum de ce que des êtres humains aimant peuvent faire. Ne vous reprochez rien, je sais tout, je sens tout, je lis tout dans vos coeurs. Aujourd’hui, c’est une belle journée. Vous êtes quelque part dans les champs ou dans le jardin. Sentez-vous comme moi cette odeur et cette beauté ? Comme si j’en avais l’intuition aujourd’hui.
J’ai fait une promenade, en plein air, avec le fluide du printemps, avec le fluide de la chaleur, avec la clarté de l’odeur et des souvenirs. Le nerf nu de mon âme a été touché par la poésie du quotidien. L’odeur des pommes de terre cuites, la fumée et le tintement des cuillères, les oiseaux, le ciel. La vie. La vie de chaque jour dans son rythme, dans sa pulsation. Aimez-la, aimez-vous, apprenez à aimer, protégez l’amour, répandez l’amour. Pour que vous sentiez la beauté de ces dons évidents, comme moi, c’est ce que je souhaite. Pour que vous sachiez prendre et donner. Même cet après-midi est beau ; je sens tellement d’ardeur et d’amour, tellement de foi, tellement de courage que je tends les bras pour que vous le sentiez aussi et que vous l’acceptiez. Je ne crains pas l’avenir.
Même si j’ai fait des fautes et du mal, j’ai toujours voulu faire le bien, le sublime, l’humain. Toute ma vie a été belle. Ardente, croyante, militante et triomphante. Vous en avez été la bénédiction.
Toi, maman, ma mie chérie, mon père, ma soeur et Jozinek, ma grand maman adorée, ma petite tante, vous tous que j’ai chéris et qui m’avez aimée. Mes bien-aimés, ma vie et mon monde aimés. Je me mets à genoux devant vous, qui êtes ce que j’ai de plus cher dans la vie, et j’implore votre amour et votre pardon. Je demande le pardon pour tout ce que j’ai fait de mal et pour tous ceux auxquels j’ai fait du mal. Je me suis souvent égarée dans la recherche de l’idéal, mais j’ai toujours gardé la foi dans le coeur et le désir dans les yeux.
Je vous embrasse les mains et je rends grâce de tout mon coeur et de toute mon âme dans ce moment le plus grave de ma vie. Je ne les baigne pas de larmes, non, je les arrose d’un sourire d’amour, de remerciement et de réconciliation.
Et je vous demande un sourire aussi. Je vous embrasse, maman et papa, ma petite soeur et mon petit frère, ma grand-maman, ma petite tante.
Appréciez la vie, aimez et donnez mon salut à tout le monde.
Je vous salue et je souhaite de tout mon coeur un bonheur humain à tous.
« A Vous un grand Remerciement, à Vous l’Amour, comme le son des cloches qu’ils retentissent ». Votre fille bien-aimée Marie Kuderikova

L’article chez lui : Anka et Marie, partisanes de l’Est éxécutées

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