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Aux Urnes, Citoyens ! Disons "Non" au projet de constitution européenne pour dire "Oui" à l’Europe

Publie le jeudi 5 mai 2005 par Open-Publishing
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de Roberto Di Cosmo

Comme beaucoup d’entre vous, je suis né et j’ai vécu dans une atmosphère générale qui entoure le mot « Europe » d’une aura particulière.

De cette Europe dont nos pères ont rêvé, pas forcément celle d’aujourd’hui, mais de celle qu’on nous promet incessamment pour demain, nous attendons tous une réponse à beaucoup de nos problèmes : elle serait garante du libre échange, mais aussi sociale et solidaire ; elle posséderait la force de l’unité pour peser dans la politique mondiale, tout en respectant les spécificités des nations qui la constituent ; elle fonderait un modèle de croissance durable conjuguant efficacité économique, respect de l’environnement, et développement des individus.

Cette Europe est la promesse d’un modèle dont le pareil n’existe pas ailleurs.

Dans un tel contexte, difficile de ne pas avoir le réflexe de toujours dire oui, sans trop réfléchir, à tout ce qui a un goût même vaguement « européen. »

Et dans deux mois, nous allons probablement encore dire oui, sans trop regarder, voire sans regarder du tout, à « l’Europe », mais cette fois, c’est différent, et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les autres prendre notre décision à notre place.
Voter sans comprendre...

Moi aussi, j’ai prêté jusque là très peu d’attention au projet de traité qui a mijoté un certain temps dans les casseroles Bruxelloises, avant de nous être servi sous une cloche dorée portant gravé en lettres flamboyantes « Traité établissant une Constitution pour l’Europe. »

Pourquoi vouloir regarder ?

Après tout, la majorité presque unanime des voix politiques et médiatiques Françaises et Européennes nous incitent à l’inscrire, les yeux fermés, comme plat unique et irrévocable au menu de notre vie politique, et de celle de nos enfants (la révision du traité étant extrêmement difficile après son adoption).

De plus, on nous dit, il s’agit d’un plat indispensable, mais extrêmement élaboré et complexe, dont il serait difficile, pour les pauvres novices que nous sommes, d’analyser les ingrédients, et d’apprécier le raffinement sophistiqué de sa texture unique.

Et d’ailleurs, même si nous avions le temps et l’envie de lever la cloche pour voir ce qu’elle cache, ce serait tout de même d’une grande présomption qu’espérer trouver un défaut dans tel ou tel autre ingrédient méticuleusement choisi par les chefs qui l’ont élaboré.

L’important, donc, c’est de participer à la grande messe démocratique, et aller voter tous, en rangs serrés, notre approbation ignare du nouveau traité : c’est beau, c’est citoyen, c’est Européen !

Et pourtant, pour une fois, nous avons vraiment intérêt à éplucher ce texte en détail, parce-que s’il s’avèrera ensuite que sous la cloche se cachent quelques ingrédients à l’odeur nauséabonde, nous ne pourrons pas changer le plat si facilement que l’on essaye de nous faire croire [1].
... sous prétexte de technicité...

Très sincèrement, je dois avouer que je suis resté frappé par la ressemblance entre ce qui se passe en ce moment autour de la Constitution, et ce qui s’est passé ces dernières années dans un tout autre domaine, celui de l’Informatique. En effet, dans le monde de l’Informatique, aussi, on nous dit depuis longtemps qu’il faut absolument « se mettre à l’informatique », sans quoi nous serons exclus du futur mirobolant qui nous attend dans le Cyberespace.

Pour cela, on nous dit, il faut avoir un ordinateur à la maison, et si possible plusieurs : nous arrivons même à pousser nos enfants à s’endetter sur trois ans pour acheter un ordinateur portable (opération ordinateur à un euro par jour) à l’initiative du Ministre de l’Éducation Nationale ; nous mettons en place des cours (sic) d’informatique dans les écoles, pour nous assurer que nos brillants enfants fassent bien la distinction entre bouton droit et bouton gauche de la souris, et qu’ils sachent poster leur photo sur un site de discussion sur Internet.

Mais on nous dit en même temps que l’Informatique est difficile et compliquée, donc il faut toujours utiliser des logiciels choisis pour nous par des « experts », que nous ne connaissons pas mais dont on ne saurait mettre en doute la grande qualité et la bonne foi ; et pour éviter que l’utilisateur puisse se tromper, ces logiciels sont préinstallés sur l’écrasante majorité des ordinateurs vendus en France et en Europe, et leur prix ne nous est jamais communiqué, pour éviter qu’on se pose des questions sur l’intérêt de payer cher pour des logiciels qui vont remplir notre vie électronique de bogues, de virus, de vers, de mises à jour payantes, et d’autres perversions qui pour être virtuelles sont à l’origine de désagréments quotidiens qui ne sont pas moins très réels.

Il y a dans les deux cas la même schizophrénie : d’un côté, on nous présente quelque chose (l’ordinateur, une Constitution Européenne), que l’on décrète indispensable, et que, vue de loin, est plein de promesses ; de l’autre, on nous explique poliment que nous n’aurons jamais les compétences nécessaires à comprendre ces objets si complexes (les fonctionnement de millions de transistors d’un côté, celui des institutions gérant des millions de citoyens de l’autre), donc il faut les acheter ou approuver tels qu’ils nous sont proposés, tout bien packagés, sans se permettre d’émettre la moindre réserve, ou proposer le moindre changement.
... pouvons-nous nous le permettre ?

Pourtant, de temps à autre, c’est un exercice sain de vérifier si ces « experts » si compétents nous disent vraiment la vérité. Après tout, si ce qu’ils nous vendent est si fondamental pour le futur de nos sociétés, il faudra bien s’assurer que les experts qu’on a choisi, ou que l’on nous a imposé, sont à la hauteur de la tâche !

Allons-y donc, et ouvrons le texte de la Constitution Européenne qu’on nous soumet : il est disponible en ligne sur le site de la Communauté Européenne [2]. Si c’est une vraie Constitution, ce sera facile de l’imprimer sur quelques pages, et la lire en métro au retour du travail.
474 pages et 448 articles ? ? ?

Mais là, première surprise : ce texte contient 448 articles et, avec les annexes, il faut une ramette de papier entière pour imprimer ces 474 pages !

Je ne peux cacher ma surprise devant cette première découverte ; mes cours d’éducation civique, il est vrai, datent un peu, mais je me souviens encore de la définition qu’on m’a appris à l’école :

« La Constitution est l’ensemble des règles relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics et l’ensemble des règles fixant le statut du citoyen »

et comme telle a le devoir d’être précise mais concise.

Or, ces 448 articles qu’on nous propose d’accepter en bloc, ils sont peut-être précis, mais pour ce qui concerne la concision, on se doute qu’on aurait pu mieux faire.

En guise de comparaison, il est facile, grâce à Internet, de vérifier que

- la constitution française de 1958, avec ses 89 articles, tient sur 27 pages [3] ;
- la constitution italienne avec ses 139 articles, tient sur 28 pages [4] ;
- la constitution des Etats Unis avec ses 7 articles, et les 27 amendements ajoutés depuis sa signature le Septembre 17, 1787, tient sur 19 pages [5].

On nous dira peut être que c’est une conséquence de la généralisation de l’Informatique : à l’époque où ces trois constitutions ont été rédigées, les assemblées constituantes n’avaient pas de traitement de texte capables de digérer 474 pages.

Cependant, je trouve difficile de comprendre comment on peut nous demander sérieusement de voter en connaissance de cause un texte de cette taille, dont la plupart des pages sont écrites dans un langage franchement peu limpide.

Je me demande aussi si les ténors politiques de tout bord qui nous incitent à accepter ce texte sans trop regarder ont vraiment eu le courage de tout lire, ou s’ils se sont basés sur des résumés de quelques lignes comme ceux que la presse nous soumet en ce moment. Plus grave il semblerait qu’un tel résumé serait distribué aux électeurs avec le texte de la Constitution.

Il est vrai que le monde moderne nous a habitué à signer des longs documents, pourtant importants, sans les lire ni les comprendre, en se basant sur un simple « résumé » : quand nous voulons acheter un téléphone portable, louer un appartement, ouvrir un compte en banque, prendre une police d’assurance, accepter la licence d’un logiciel, et pleins d’autres actes courants dans notre vie moderne, on nous demande d’apposer notre signature, souvent à plusieurs endroits, sur un contrat épais écrit en caractères minuscules et utilisant un charabia illisible. Mais le vendeur en face de nous s’attend à que nous signions sans regarder, parce-que, « vous comprenez, si tout le monde se mettait à lire les contrats, on y passerait la journée » et « après tout, c’est un contrat standard. »

Bizarre façon, là aussi, de voir les choses : si le contenu du contrat a si peu d’importance qu’il ne vaut pas la peine de le lire, pourquoi nous demander de signer avec la mention « lu et approuvé ? » Et si les longues pages illisibles sont si bien résumées par les quelques explications simples et claires que nous donne le vendeur, pourquoi ne pas avoir mis justement ces quelques explications dans le contrat à la place des longues pages illisibles ?

Or, cette fois il s’agit du futur démocratique, économique et social de l’Europe, donc nous n’allons pas nous satisfaire d’un simple résumé, établi par qui veut nous vendre ce projet de constitution comme si c’était le téléphone portable dernier cri.
Des traités Européens non démocratiques...

Pour comprendre le texte actuel, il faut se rappeler d’abord l’origine de la Communauté Européenne, qui vient de loin.

Elle est née comme simple communauté économique, avec le traité de Rome de 1957, qui a institué aussi la Banque Centrale Européenne, et a ensuite étendu petit à petit ses compétences, jusqu’au traité de Nice en 2001, mais au coeur de sa tradition et de son fonctionnement il y a toujours eu la mission originaire : la création d’un espace économique (et non pas politique) commun, libre de toute entrave à la concurrence.

Dans ce contexte bien particulier, on peut comprendre pourquoi les gouvernements des nations concernées par ces traités, redoutant de perdre leur pouvoir, avaient mis en place une structure institutionnelle européenne où le seul organe démocratiquement élu, le Parlement Européen, n’a pas le droit de proposer un texte de loi, cette prérogative pourtant fondamentale étant réservée à la Commission, institution émanant des gouvernements nationaux, et qui n’est soumise à aucun véritable contrôle démocratique, une fois sa composition approuvée en bloc par le parlement.

En d’autres termes, le Parlement Européen ne détient pas, à différence de ce qui se passe dans la plupart des pays démocratiques, le pouvoir législatif : une Loi ne peut être adoptée sans être proposée par la Commission et sans l’accord du Conseil des Ministres.

Il faut vraiment du courage, ou de l’ignorance profonde, pour essayer de vendre comme « démocratique » un tel système.

De plus, dans les quelques domaines où l’opinion du Parlement est sollicitée, cela se passe par une procédure complexe connue comme « codécision », dont la description diagrammatique (avec quelques omissions de taille, comme le fait que l’étape 14 impose au parlement un vote à la majorité des élus) est disponible en ligne sur le site de la Communauté.
... une « codécision » inefficace...

Malgré une certaine prédisposition à l’abstraction mathématique qui nous aide à comprendre le schéma décrivant la codécision, on ne comprend pas encore bien si cela donne lieu à une procédure législative démocratique ou pas.

La seule façon de le découvrir, c’est de passer la « codécision » à l’épreuve des faits.

Fort heureusement, juste avant le vote en France pour la Constitution Européenne, la communauté des informaticiens européens a pu suivre pas à pas la mise en oeuvre de cette procédure de codécision pour la directive européenne visant à introduire en Europe les brevets logiciels, interdits auparavant par la convention de Munich de 1973 et par la directive européenne de 1991 ; c’est une histoire qui a défrayé la chronique à plusieurs reprises depuis plus de quatre ans. Malheureusement, sous prétexte de technicité (ah, la technicité, encore elle !) cette affaire n’a pas été portée suffisamment à la connaissance des citoyens.

Vous ne savez pas ce que c’est un brevet logiciel ? C’est grave, parce que le futur de l’industrie informatique européenne, et de millions d’emplois qualifiés dans toute l’Europe dépend de cela, ainsi qu’une bonne partie de nos libertés et de notre indépendance, au sens le plus large : je vous conseille alors de vous informer au plus vite, par exemple en partant du site de la campagne contre les brevets logiciels [6].

Mais ce n’est pas nécessaire de savoir ce qu’est un brevet logiciel pour suivre pas à pas l’application de la procédure de codécision qui a été utilisée pour les introduire en Europe, et il s’agit d’une histoire très instructive, vu que c’est cette même procédure qui sera gravée dans le marbre si le Traité est approuvé ; asseyez-vous donc confortablement, reprenez votre souffle, et allons-y :

 en 2002, la Direction du Marché intérieur de la Commission européenne (dirigée par Frits Bolkestein, plus connu en ce moment pour une autre directive dont il est aussi l’inspirateur) soumet (première étape de la codécision) la proposition de directive 2002/0047, visant à introduire en Europe les brevets logiciels sous prétexte de vouloir harmoniser les législations nationales portant sur les brevets, et entourée de déclarations de responsables selon lesquelles l’industrie informatique européenne est demandeuse de la directive ;

 Toujours en 2002 Jacques Chirac, candidat à la Présidence de la République française, déclare : « Autoriser les brevets sur les logiciels mettrait l’Europe sous la coupe des entreprises américaines. Il faut refuser la vassalisation technologique vis-à-vis des Etats-Unis et soutenir le logiciel libre, la créativité de l’informatique française et européenne et notre indépendance technologique. »

 en analysant le document informatique fourni par la Commission, des informaticiens découvrent qu’il a été rédigé avec l’aide matérielle de la BSA, une association privée regroupant essentiellement des grandes industries du logiciel nord-américaines

 en peu de temps, des pans entiers de la société civile européenne se mobilisent contre la directive : économistes, universitaires, petites, moyennes et grandes entreprises européennes du logiciel, développeurs indépendants, acteurs du logiciel libre, hommes politiques crient haut et fort leur opposition à une directive qui menace de détruire l’industrie logicielle européenne. La CEA-PME, organisation regroupant 22 associations de PME de 19 pays différents représentant en tout plus de 500 000 entreprises, proteste vivement [7] et elle est rejointe par la CEDI (Confédération Européenne des Indépendants) et la ESBA (European Small Business Alliance), ce qui porte le total à plus de 2.000.000 de PME ; des appels signés par des scientifiques illustres sont diffusés ; des dizaines de milliers de sites web sont temporairement obscurés pour attirer l’attention sur ce projet de directive ; le site NoEPatents [8] recueille plus de 380.000 signatures, dont plus de 3.000 de PDG européens

 le 24 septembre 2003, cette mobilisation sans précédents porte ses fruits : le Parlement européen tout entier (en séance plénière) vote (deuxième étape de la codécision) par 361 voix pour, 157 contre et 28 abstentions, un ensemble d’amendements à la directive, ce qui la transforme en un texte qui interdit clairement les brevets logiciels

 la proposition amendée est examinée par un groupe de travail nommé par le Conseil des ministres, qui après plusieurs mois de négociations secrètes, produit un document de compromis (sic !) qui élimine les amendements du Parlement et réintroduit la proposition initiale de la Commission, durcie

 le 18 mai 2004, lors d’une réunion du Conseil des ministres est voté avec une courte majorité un accord politique sur une « position commune » qui reprend le document de compromis

 dans les mois qui suivent, différentes présidences tournantes (Irlande et Hollande) du Conseil essayent de transformer cet accord de principe en adoption officielle du texte sans vote (dans le jargon communautaire, cela s’appelle un A-item), trois fois, dont une, en Décembre 2004 pendant une réunion sur l’Agriculture et la Pêche (sic !) ; à chaque fois ces tentatives se soldent par un échec, grâce à l’intervention de la Pologne. Pendant ce temps là les représentants français ne disent rien

 la presse se fait écho d’une rencontre en novembre 2004 entre le premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen et Bill Gates, le fondateur de Microsoft, pendant laquelle ce dernier aurait menacé de faire cesser l’activité de l’éditeur Navision au Danemark (800 emplois, rachetée par Microsoft en 2002) si la directive européenne sur la brevetabilité n’était pas adoptée.

 ce même mois de novembre 2004, Bill Gates est reçu avec les honneurs usuellement réservés aux chefs d’état par Jacques Chirac, président de la république, qui avait déclaré en 2002 « le projet de directive européenne sur la brevetabilité des logiciels n’est pas acceptable » [9]

 le premier février 2005, Bill Gates s’entretient à Bruxelles avec des responsables politiques

 une commission du Parlement Européen demande formellement à la Commission de retirer la directive ; cette demande est ignorée ;

 le 5 mars 2005, le parlement Danois vote une motion obligeant son gouvernement à bloquer la directive, si elle était reproposée

 la présidence luxembourgeoise remet à l’ordre du jour d’une réunion du conseil du 7 mars 2005, toujours comme point à adopter sans discussion, et passe en force, en refusant de l’enlever de l’agenda quand le ministre Danois le demande

 le représentant français ne dit rien. On est légitimement en droit de se demander ce qui s’est passé, comme tractation ou pression en novembre 2004

 maintenant, (regardez à nouveau le schéma), le seul choix raisonnable du parlement devant le mépris profond et l’obstination du Conseil est de rejeter la directive, mais pour cela il faut la majorité des membres élus (et non pas des votants)

Vous êtes perdus ? C’est normal, mais ne paniquons pas, on peut tout résumer en quelques lignes : une directive est proposée par la Commission, contenant des propositions qui semblent issues de groupes de pressions nord-américains, mais que la Commission prétend être simplement une réponse aux demandes de l’industrie européenne ; des centaines de milliers de professionnels de l’informatique, et des associations regroupant plus de deux millions de PME européennes, concernés au premier chefs par la directive, s’insurgent et déclarent qu’ils n’en veulent pas, qu’elle pourrait détruire l’industrie européenne du logiciel ; le parlement européen entend ce cri de douleur et modifie la directive pour retirer le brevet logiciel ; la présidence du conseil des ministres décide d’ignorer les modifications du parlement, les protestations de la société civile, l’opposition de plusieurs membres du conseil des ministres (Pologne, Danemark, etc.), la demande de la commission du parlement, et passe enfin en force ce texte après des visites et pressions suspectes de PDG de grands groupes nord-americains, laissant maintenant le parlement avec comme seule option de rejeter le texte, mais avec une majorité qualifiée.

Est-ce cela de la démocratie ? Absolument pas. Mais, vous me direz, ce n’est pas le rôle de la Communauté Européenne que d’être démocratique, avant l’arrivée de la Constitution.

D’accord, posons alors une autre question : est-ce cela défendre les intérêts économiques européens ? Pas non plus. Cela ressemble beaucoup plus au succès d’un lobby industriel nord-américain contre l’ensemble de la société civile européenne.

Et alors ? Et alors, me direz vous, on a besoin de la Constitution, pour que cela n’arrive plus jamais.
... et une Constitution qui veut les prolonger à jamais...

Revenons donc à notre Constitution, avec l’espoir fervent d’y trouver de quoi s’assurer que la démocratie triomphe, ou tout au moins, que l’intérêt économique européen soit préservé !

Mais on a beau chercher désespèrement, il n’y a pas dans ce projet de Constitution la moindre avancée démocratique :

- pas de référendum populaire

- pas d’initiative législative populaire : pour s’en convaincre, l’article I-47.4, que certains avancent comme LE exemple d’initiative populaire, mérite d’être lu dans sa totalité

Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution. La loi européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir.

- pas d’initiative législative du Parlement Européen,

au contraire, la procédure de codécision, dont on vient de voir le peu d’efficacité qu’elle peut avoir face à des présidents du Conseil arrogants et méprisants, est gravée dans le marbre comme LA procédure législative de l’Union Européenne, et étendue à une pluralité d’autres domaines :

http://www.constitution-europeenne.fr/index.php ?id=31 :
Par rapport au traité de Nice et au traité d’adhésion d’Athènes, la répartition des pouvoirs est sensiblement modifiée. La procédure de codécision, qui place le Parlement européen aux côtés du Conseil, en tant qu’organe législatif, devient la procédure législative ordinaire. 95% des lois européennes seront adoptées conjointement par le Conseil et le Parlement européen.

Ceci n’est pas une « augmentation des pouvoirs du Parlement », mais l’extension à tous les domaines d’une procédure dans laquelle les faits ont montré que le pouvoir du Parlement est marginal.

Mais ce texte constitutionnel fait bien pire ! Si on ne regarde que le sujet des brevets logiciels, que nous venons de voir en détail, elle :

 grave dans le marbre (art. II-77-2) la protection de la « propriété intellectuelle » (qui inclut ces brevets logiciels que des pans entiers de la société européenne ne veulent pas)

 enlève au parlement tout rôle lorsqu’un traité sur, par exemple la propriété intellectuelle, est negocié par l’union (art. III-315-3)

 diminue les recours et les devoirs du tribunal pour les procédures liées à la propriété intellectuelle, seule exception reconnue (Protocole fixant le statut de la CJUE, Titre III, Article 53)

Autrement dit, ceux qui ont rédigé ce texte constitutionnel semblent avoir été « aidés » dans leurs travaux par les mêmes conseillers qui ont « aidé » la Commission à élaborer la directive sur les brevets logiciels.

Or, si on a trouvé dans ce texte constitutionnel ces trois articles faits sur mesure pour les lobbies nord-américaines et contre l’intérêt de l’industrie Européenne dans le domaine du logiciel, combien d’autres mesures catastrophiques, dans d’autres domaines, se cachent dans les autres 445 articles éparpillés sur les 474 pages ?

On sort de cette analyse du texte constitutionnel avec la sensation très désagréable d’avoir été lourdement trompés sur la marchandise : on veut tous une Europe forte, unie, indépendante, démocratique ; on découvre au contraire un mélange inextricable d’intérêts particuliers et de pouvoirs soustraits à tout jugement démocratique.
Quoi faire ?

La question épineuse qui reste à résoudre est maintenant celle de savoir si vous et moi, simples citoyens, pouvons bien faire quelque chose pour arrêter ce massacre.

Nous avons envie de dire OUI à l’Europe, à cet idéal mirifique dont on nous fait rêver, mais pas à celle que l’on retrouve dans ce traité ; et pourtant média et politiques nous disent à l’unisson que qui vote NON à la constitution est anti-Europeen.

Quoi faire alors ?

Si on y réfléchit un instant, il n’est pas difficile de trouver la réponse : il suffit d’observer que la seule façon que l’on a de montrer qu’on a un pouvoir quelconque, est depuis la nuit des temps le fait de dire non : NON, tu ne peux pas rentrer dans cette maison, parce qu’elle « est à moi » ; NON, tu ne peux pas utiliser cette salle de cours, même si elle est vide, parce que moi, le responsable du service intérieur, je suis en principe à ton service, mais je veux montrer que le fait que la clé de la salle est dans mon tiroir me donne un pouvoir quelconque sur toi, enseignant ; NON, je ne vais pas vous vendre ce que vous voulez (ex : un ordinateur nu), parce que c’est moi, supermarché, qui contrôle vos achats, et pas le contraire... Je pourrais continuer, mais je crois que ce serait inutile.

Donc, on a urgemment besoin de dire NON à ces messieurs qui pensent pouvoir prendre en privé, dans le plus grand mépris pour la démocratie et en toute impunité, les décisions qui vont fixer la structure socio-économique de plusieurs centaines de millions d’européens ; il faut dire NON pour leur rappeler qu’ils n’ont pas (encore) tous les pouvoirs.

On ne nous laisse guère le choix : le seul moment où l’on aura une chance quelconque de dire NON, c’est fin mai, au moment du vote sur la constitution européenne. Une fois le texte adopté, et c’est justement le propre d’une Constitution, il sera extrêmement difficile de le modifier (à la différence des autres traités de l’Union).

Ne sous-estimons pas le poids d’un tel NON : la France, avec l’Allemagne, est depuis toujours un pilier fondateur de la construction européenne, et un NON français à la constitution européenne aura un tout autre poids que le NON d’un Etat mineur. Cela fera l’effet d’une véritable bombe atomique dans le cercle politique européen, et cela pourrait ouvrir la porte à un véritable débat démocratique pour établir une véritable Constitution Européenne, compréhensible pour tout le monde, et qui tienne, de grâce, en quelques dizaines de pages.

Il est bien vrai que, si le NON l’emporte, on aura droit à toute une déferlante d’« experts » qui vont venir nous expliquer pourquoi nous avons dit NON (par exemple, parce que « les français ont mal compris l’Europe », « les français n’ont pas répondu à la question qu’on leur a posé », ou quelques autres niaiseries du même acabit), et vont par là nous priver en partie de notre pouvoir reconquis.

Mais dans le capharnaüm qui en découlera, il y aura de place aussi pour qui dira clair et fort qu’on veut plus de démocratie dans la construction européenne.

Disons donc NON à cette Constitution obèse, pour dire OUI à une Europe plus démocratique.

23 Mars 2005

Les opinions contenues dans cet article sont celles de l’auteur et n’engangent nullement le laboratoire PPS, l’Université de Paris 7 ni le CNRS.

Remerciements à Rosaire Amore, Gerard Blanchet et Jean-Marie Lapeyre pour leur contribution à la redaction.

[1] Voir : http://r.amore.free.fr/Europe/mesur...

[2] Voir : http://europa.eu.int/constitution/i...

[3] Constitution française de 1958 : http://www.conseil-constitutionnel....

[4] Constitution italienne : http://www.quirinale.it/costituzion...

[5] Constitution des Etats Unis : http://www.house.gov/Constitution/C...

[6] Campagne contre les brevets logiciels : http://www.nosoftwarepatents.com/fr...

[7] Communiqué de la CEA-PME : http://linuxfr.org/redirect/28297.html

[8] NoEPatents : http://www.noepatents.org

[9] Voir : http://app.legalis.net/paris/ques_c...

http://infos.samizdat.net/article333.html

Messages

  • Roberto,
    je tiens à te féliciter pour cet article complet et suis heureuse de te retrouver sur ce site et pour un vibrant appel au NON. Le NON est pour moi un NON constructif, d’espoir, progressiste permettant de se battre contre cet ultra libéralisme qui nous assaille et nous encercle de partout. Un NON qui permettra de construire une autre Europe, celle des peuples, celle des services publics, de la sécurité sociale, donnant accès entre autres à tous les citoyens à une vie digne, une retraite de qualité, une éducation nationale gratuite et laïque
    Dominique Faudot
    PS.S Un appel des 200 informaticiens circule en ce moment sur Internet