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Camille Barré, une candidate singulière

Publie le vendredi 8 juin 2007 par Open-Publishing
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de Anne Chemin

Lorsqu’elle évoque son enfance et son adolescence, Camille Barré parle toujours au féminin. "J’étais souvent silencieuse, raconte-t-elle. Un peu explosive, aussi." Pourtant, à l’époque, Camille Barré s’appelait Gilles et était l’un des deux garçons d’une famille de cinq enfants. "J’étais un petit gars pas du tout efféminé, toujours prêt à en découdre avec ses camarades dans la cour de récréation. Mais, très rapidement, je me suis sentie différente, j’avais l’impression d’être une fille. Cela a évidemment créé une grande confusion dans mon esprit : je vivais cela comme une anomalie, une singularité, un dérèglement."

Camille Barré, qui a changé de sexe en 1999, est la candidate du Parti communiste dans la 7e circonscription des Hauts-de-Seine, qui regroupe les communes résidentielles de Garches, Rueil-Malmaison et Saint-Cloud. A 48 ans, elle est la première transsexuelle à se présenter aux élections législatives. "C’est une femme courageuse, qui a choisi d’assumer son identité, note la secrétaire départementale du PCF du département, Brigitte Gonthier-Maurin. Quelqu’un de très dynamique, de très original, qui a beaucoup galéré. Son engagement politique est le prolongement de son combat personnel en faveur de l’émancipation et de l’égalité."

Dans cette circonscription où le candidat communiste a recueilli 1,47 % des voix en 2002, Camille Barré affrontera le nouveau président (UMP) de l’Assemblée nationale, Patrick Ollier. Les deux candidats se connaissent bien pour avoir bataillé, par justice interposée, au cours de l’année 2005 : Camille Barré souhaitait alors se marier avec sa compagne, Monica Leon, un transsexuel argentin qui était resté un homme pour l’état civil. En tant que maire de Rueil-Malmaison, Patrick Ollier s’était alors fermement opposé à cette union "militante".

Camille Barré a grandi à Paris, dans la loge de l’école Notre-Dame-de-Grâce de Passy, dont sa mère était concierge. Son père, qui parcourt le monde dans la marine marchande, quitte très vite le domicile conjugal. " Ses absences lui permettaient d’échapper à ses responsabilités d’époux et de père." Après son départ, Mme Barré élève seule ses cinq enfants. "Elle travaillait dur et elle nous dressait plus qu’elle ne nous élevait. Le sentiment que j’ai aujourd’hui, c’est qu’elle nous aimait mais qu’elle n’arrivait pas à l’exprimer."

Vêtue des blazers bleu marine que les familles de l’école donnent à sa mère, Camille Barré grandit dans le petit monde feutré du Passy des années 1960. Dans la loge, la table de la salle à manger est recouverte d’une montagne de linge à repasser et l’on sonne la soupe en tapant sur les tuyaux de chauffage. Le soir, les enfants jouent dans la cour de l’école, à côté d’une statue de la Vierge Marie, et se déguisent avec les costumes destinés aux spectacles de fin d’année. "Mon frère faisait le prince, moi la princesse. J’essayais déjà de m’approprier les codes vestimentaires féminins."

A 13 ans, Camille Barré change brusquement d’univers : la famille quitte les rues tranquilles du 16e arrondissement pour une cité HLM de Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne) dont Mme Barré devient la gardienne. "Je me suis retrouvée au milieu de jeunes de banlieue qui roulaient des mécaniques, des petits mâles en puissance qui disaient des gros mots et qui se bousculaient dans la cour. Il fallait que je me défende : j’ai fini par endosser un habit qui n’était pas le mien." L’adolescent fréquente des loubards et finit par être suivi par un éducateur à la suite d’un vol de vêtements dans un magasin. "J’ai vite réalisé le danger de cette dérive."

Pour Camille Barré, qui se sent de plus en plus mal dans son corps de garçon, l’adolescence est une véritable épreuve : sa voix mue, son corps se transforme, son statut social change. Pour échapper à ce corps d’homme, l’adolescent ruse avec les codes vestimentaires et adopte un look androgyne à la David Bowie qui le fait passer pour un excentrique. "C’est très difficile de vivre avec un secret aussi terrible. On a l’impression d’être dans un mensonge permanent, on a tout le temps peur d’être démasqué, on a envie de se supprimer : je serrais les dents pour éviter de pleurer ou de hurler."

Camille Barré, qui se travestit en femme à son domicile, devient commis dans une boulangerie, préparateur de commandes pour un grossiste, livreur de linge pour des hôtels, puis agent technique au conservatoire de Rueil-Malmaison. En 1989, le jeune homme se marie. "On s’aimait mais on était dans le mensonge : mon épouse voyait ma fragilité et elle connaissait bien mes problèmes de sexualité. Pendant ces années, j’ai réfléchi à ces problèmes d’identité et, un jour, j’ai trouvé au Virgin Megastore un bouquin sérieux de sociologie sur la transsexualité. Je me suis dit : voilà le point d’ancrage de tous mes problèmes."

En 1993, Camille Barré décide de divorcer et distribue à ses proches un document sur la transsexualité photocopié à la bibliothèque de Beaubourg. "Je n’étais ni surpris ni choqué, raconte un de ses amis d’enfance, Jean Damiens. Je me suis juste dit : tiens, c’était donc ça. J’avais toujours senti un malaise, mais je n’avais jamais mis les mots de transsexualité dessus." Commence alors un long parcours médical : Camille Barré se rend en 1996 à la consultation d’andrologie de l’hôpital Cochin, passe des tests hormonaux et chromosomiques, est suivi pendant plus d’un an par un psychiatre.

Son corps se transforme peu à peu grâce à un traitement hormonal et, en 1998, Camille Barré se fait opérer. "Ma vie de femme a vraiment commencé là. Je suis rentrée chez moi, je pleurais de joie, j’habitais enfin ma maison corporelle. Je ne l’ai jamais regretté : accepter son corps, c’est tellement apaisant." La justice française, qui accepte les changements de sexe depuis un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 1992, modifie en 1999 son état civil : Gilles choisit de s’appeler Camille, Joséphine, les seconds prénoms de son épouse et de sa mère, les deux femmes qui ont compté dans sa vie. "Elle s’est enfin trouvée, résume Jean Damiens. Elle est en harmonie avec elle-même."

Sa mère, aujourd’hui décédée, a toujours eu du mal à lui parler au féminin, mais ses soeurs, et surtout son frère, ont accepté sa transformation. Au conservatoire de Rueil-Malmaison, certains parents d’élèves l’ont accueillie avec des fleurs, d’autres ont continué à l’appeler Gilles. Après avoir milité dans les associations "trans", Camille Barré a rejoint l’Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi, trans), qui organise tous les ans la Marche des fiertés, à Paris. Aujourd’hui, elle milite au Parti communiste, un mouvement qui porte, dit-elle, de belles idées. "Ce long parcours m’a donné une force immense, conclut-elle. Aujourd’hui, pour m’arrêter, il faut m’abattre !"

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http://soutiencamillebarre.hautetfort.com/

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