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Ceux qui parlent à la presse étrangère

Publie le jeudi 1er décembre 2005 par Open-Publishing
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"Ici Londres, les Français parlent aux Français"

de Eric Mainville

Accorder une interview à un journal étranger est devenu le dernier truc à la mode. On peut y dire ce qu’on a sur le cœur et vraiment "se lâcher".

Loin du politiquement correct à la française et, surtout, sans craindre les poursuites judiciaires.

Alain Finkielkraut, Hélène Carrère d’Encausse, Gérard Larcher et Maurice G. Dantec se sont ainsi exprimés dans les médias britanniques, russes ou canadiens. Mondialisation oblige, leurs propos ont été repris dans l’heure par les journaux français. Effet garanti.

« La télévision française est tellement politiquement correcte que cela en est un cauchemar. Nous avons des lois qui auraient pu être imaginées par Staline. Vous allez en prison si vous dites qu’il y a cinq juifs ou dix Noirs à la télévision. Les gens ne peuvent pas exprimer leur opinion sur les groupes ethniques, sur la Seconde Guerre mondiale et sur beaucoup d’autres choses. On vous juge tout de suite pour infraction. [...] Le politiquement correct de notre télévision est presque comme la censure des médias en Russie. » C’est ce qu’a déclaré Hélène Carrère d’Encausse, à l’hebdomadaire russe Moskovskie Novosti. Cette sortie de la très respectable secrétaire perpétuel de l’Académie Française est pour le moins décoiffante. Comment ? Le politiquement correct à la française serait tel que certains sujets ne pourraient pas être abordés dans les médias français ? Est-on sûr d’avoir bien compris ?

Ils eussent dû l’interroger

Lors d’une autre interview, accordée début novembre à une télévision russe, l’académicienne déclarait, à propos des violences qui ont eu lieu dans les banlieues françaises : « Ces gens, ils viennent directement de leurs villages africains. Or la ville de Paris et les autres villes d’Europe, ce ne sont pas des villages africains. Par exemple, tout le monde s’étonne : pourquoi les enfants africains sont dans la rue et pas à l’école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent pas acheter un appartement ? C’est clair, pourquoi : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants. Ils sont tellement bondés que ce ne sont plus des appartements, mais Dieu sait quoi ! On comprend pourquoi ces enfants courent dans les rues. » Voilà qui n’est pas politiquement correct ! Mais ces propos auraient-ils pu être prononcé à la télévision ou dans la presse françaises ? Pourquoi pas ? Il eût simplement fallu que les journalistes français eussent l’idée d’interroger Hélène Carrère d’Encausse sur ce sujet. Pas évident ! Elle est réputée spécialiste de la Russie, pas du 9-3. La prochaine fois, ils sauront.

Cause possible, cause toujours

Quelques jours plus tard, le 15 novembre, le ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, s’est lui aussi laissé aller au sujet de la polygamie. Mais cette fois-ci dans la presse britannique. Il a estimé, sur le site du Financial Times que la polygamie est l’une des "causes possibles" des émeutes qui ont eu lieu pendant trois semaines dans les banlieues. C’était bien le ministre de l’emploi qui s’exprimait...

La "voie" déviante de Finkielkraut

Quelques jours plus tard, le philosophe Alain Finkielkraut prenait le relai. Son interview au journal israélien Haartez, le 19 novembre dernier, a provoqué de vives réactions. Il avait trait également aux événements dans les banlieues. Ce qui nous intéresse, une fois encore, c’est qu’il a été donné à un journal étranger.

A propos de ceux qui ont commis les violences en France, Alain Finkielkraut a déclaré : « Eux aussi envoyaient en première ligne de la lutte les plus jeunes, et vous en Israël vous connaissez ça, on envoie devant les plus jeunes parce qu’on ne peut pas les mettre en prison lorsqu’ils sont arrêtés. Quoiqu’il en soit, ici, il n’y a pas d’attentats et on se trouve à une autre étape : je pense qu’il s’agit de l’étape du pogrom antirépublicain. Il y a des gens en France qui haïssent la France comme République. »

Or, l’expression « pogrom anti-républicain » apparaissait déjà le 15 novembre dans un article de l’écrivain publié dans le Figaro : « La violence actuelle n’est pas une réaction à l’injustice de la République, mais un gigantesque pogrom antirépublicain ».

Comment expliquer qu’un terme fasse scandale dans un contexte et pas dans l’autre ? Sans doute parce que, dans le journal israélien, « pogrom antirépublicain » voisine avec plusieurs autres termes très litigieux. Au point que Le Monde a parlé à propos de Finkielkraut d’une voix « très déviante », reprenant le terme employé par le journaliste de Haaretz qui l’a interviewé et qui écrit : « Finkielkraut est une voix déviante, même très déviante. Principalement parce qu’elle n’émane pas de la bouche d’un membre du Front National de Jean Marie Le Pen, mais de celui d’un philosophe autrefois considéré comme un des porte-parole les plus éminents de la gauche française - un de la génération des philosophes qui ont émergé à l’heure de la révolte étudiante de mai 1968 ».

Est-ce le fait de s’exprimer dans un journal israélien qui permet à Alain Finkielkraut de glisser sur la pente « déviante » ? Est-ce un moyen de « se lâcher » ? Ou d’échapper à des accusations, voire à des poursuites ?

Le Pen récidive

Dans un tel climat, on ne tarda pas à en entendre une autre voix habituée du « déviationnisme ». C’est bien sûr celle de Le Pen. Lui aussi a choisi un média étranger. Et pas des moindres : la BBC. "Je vais vous dire exactement ce que j’ai dit : les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale", a-t-il corrigé alors qu’un journaliste de la chaîne anglaise, à qui il accordait une interview, venait de lui rappeler de manière incomplète les propos qu’il avait tenus en 1987. « C’est si vrai d’ailleurs qu’aucun des chefs de guerre, ni Churchill, ni Staline, ni Roosevelt, ni de Gaulle, aucun d’entre eux n’a jamais cité les chambres à gaz dans ses mémoires », a-t-il ajouté.

Comme le rappelle l’Express sur son site, « pour ses propos sur les camps de la mort, la justice française l’avait condamné à 1,2 million de francs (183 200 euros) d’amende, lui reprochant d’avoir "commis une faute" en "banalisant" les persécutions infligées par les nazis. Il avait à nouveau réduit la Shoah à un "détail" le 5 décembre 1997 à Munich. »

Parler de l’étranger constitue donc une (bonne ?) façon d’échapper à la justice, dans le cas, par exemple, du négationnisme. Mais pour de simples propos diffamatoires ou calomnieux, cela semble également très bien fonctionner ...

Victor, Maurice, Michel et les autres...

Pour un écrivain, parler de l’étranger, c’est un must. Cela permet de jouer à Victor Hugo en exil. On a les Guernesey qu’on peut. Pour Maurice G. Dantec, c’est le Québec. C’est de là, où il réside depuis plusieurs années, qu’il s’est épanché sur les « French riots ». Propos enflammés qui ont rapidement traversé l’atlantique. Effet garanti.

Michel Houellebecq, lui, a trouvé en Irlande la possibilité d’une île. Le climat y est fiscalement très clément, disent les mauvaises langues. Mais Houellebecq n’a pas donné son avis sur les banlieues. Il a avoué ne pas connaître le sujet pour n’y avoir jamais vécu. Peut-être craignait-il un nouveau dérapage verbal, lui qui s’était brûlé les doigts d’avoir déclaré que l’islam était « la religion la plus con » ? Des propos qu’il avait tenus au magazine Lire, accoudé à un bar en Espagne. Grave erreur ! On aurait dû lui dire : ce qui compte, ce n’est pas de parler à l’étranger, mais de parler à un journal étranger...

Dernier cas où la presse étrangère a joué un rôle éminent. C’était lors des révélations sur la vie privée du couple Sarkozy. Les informations ont été d’abord publiées par Le Matin, un journal suisse. Les journalistes français, qui savaient tout, avaient tenu leur langue jusque là, par crainte de poursuites judiciaires et autres joyeusetés. Pour une fois, c’est la Suisse qui n’a pas été neutre.

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