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Combien de clients détourne le pape ?

Publie le jeudi 21 juillet 2005 par Open-Publishing

de ALESSANDRO ROBECCHI traduit de l’italien par karl&rosa

Ok, pas d’actes impurs, même quand je suis seul. Pas de sexe avant le mariage, il ne manquerait que cela. Et après le mariage, prudence. Pas de darwinisme, beaucoup mieux la Genèse. Pas de condom, mieux l’abstinence. Même pas parler d’embryons, arrêtons avec l’avortement et les avertissements aux politiques sont déjà partis. Pas de relativisme, beaucoup mieux le dogme. Et maintenant, coup de théâtre, même Harry Potter est puissamment déconseillé.

Il y a quelque chose de subtilement libidineux, de lascif - sur le fond, en somme, de sexy ! - dans cette course à l’interdiction de l’Eglise Catholique.

Dans le cas de Harry, tout semble plus ridicule ou plus grave : parce que la condamnation vient du pape en personne (même si elle a été prononcée quand il n’était pas encore pape, mais rien ne fait penser qu’il ait changé d’idée) et parce qu’elle sert involontairement de toile de fond à la sortie mondiale du nouveau Harry Potter. Mais surtout parce que les "séductions sournoises" vont frapper de jeunes âmes pas encore formées, "en déformant la chrétienté dans l’âme, avant qu’elle puisse proprement grandir". C’est-à-dire, en clair, Harry Potter pique au pape les pains tandis qu’ils sont encore au four.

Mais nous sommes ici dans le domaine de la foi, en somme de ce qui est juste ou non et donc tout est licite, plus ou moins.

Là où on glisse dangereusement c’est sur le plan incliné du marché, puisque, comme tout le monde le sait, c’est toujours là qu’on vous attend. Les belles paroles du cardinal Bertone qui, à propos d’un autre best seller chaudement déconseillé par le Vatican (Da Vinci code, de Dan Brown) sont d’une clarté lumineuse : il s’est scandalisé à cause des librairies catholiques qui vendent "dans un but lucratif" des livres pareils. Aïe, aïe, aie. Ici tout commence à craquer. Si les libraires catholiques commencent à décider quoi vendre et quoi ne pas vendre, si naît et se développe une pareille objection de conscience, nous sommes perdus. Cela veut dire que non seulement on théorise l’interdiction, mais qu’on demande aux fidèles de l’appliquer aussi à ceux qui ne le sont pas. Il est bizarre aussi que le cardinal ne remonte pas jusqu’au sommet de la pyramide. Pourquoi, dans le fond, s’en prendre aux libraires qui vendent le livre et pas, éventuellement, à l’éditeur catholique (super catholique) qui le publie ?

Naturellement nous sommes dans le domaine de la théorie : si un libraire ne vend pas Dan Brown et Harry Potter, dans les conditions actuelles du marché éditorial, il peut même fermer sa boutique ou ouvrir un étal de petits bouquins de la Fallaci. Mais il serait intéressant, au contraire, d’étudier une fois pour toutes l’impact sur le marché de toutes ces interdictions de l’Eglise Catholique. Exemple : les chiffres du dernier Harry Potter seront-ils négativement influencés par l’excommunication papale ? C’est-à-dire, pourrons-nous vérifier en nombre de copies l’influence vraie, réelle du pasteur sur son troupeau ? Les fabriques de préservatifs accuseraint-elles le coup si soudain tous les catholiques arrêtaient de faire du sexe sûr à l’intérieur, à l’extérieur et à côté du mariage ? Attention, dans ce pays on se marie aux alentours des trente ans : si vraiment tous les catholiques ne faisaient pas de sexe avant cet age-là il y aurait des fusillades aux feux rouges, des gestes insolites et beaucoup de nervosisme. Certes, les récents référendums nous ont démontré que le pape a nombre de divisions et qu’il sait très bien s’en servir.

Mais le marché, le fameux, tout-puissant marché, ce truc spécial qui sert à mesurer tout au centime et au millimètre près et qui règle nos vies, que va-t-il nous dire ? Paradoxalement, dans la nouvelle ère des interdictions, des admonestations sévères, des censures culturelles et sociales, la question n’est pas "combien de divisions a le pape", mais combien de clients, combien peut-il en détourner. Combien peut peser un jugement négatif venant de lui en termes, justement, de marché. Je ne crois pas que dans une famille moyennement catholique on niera Harry Potter à la petite sorcière ou au petit magicien de onze ans qui le demandent comme cadeau, et je ne crois non plus qu’on leur refusera de le voir au cinéma ou à la télé. Comme il arrive souvent entre le sommet et la base des catholiques, heureusement, une chose est la règle et une autre est l’appliquer vraiment. Comme nous sommes dans des limbes d’incertitude, dans un petit brouillard qui se lève entre l’ordre et son exécution, ce serait beau si le marché nous disait quelque chose de précis à ce propos : que vaut, en exemplaires vendus ou non vendus, une démolition du pape ?

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