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Entretien : La "réjouissante" Commune de Tardi (video)

Publie le mercredi 14 mars 2007 par Open-Publishing
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Entretien réalisé par Pierre Dharréville

BD . Les planches du Cri du peuple font l’objet d’une grande exposition au siège du PCF. L’adaptation du roman de Jean Vautrin en BD continue à faire événement. Rencontre avec l’auteur de cette louable entreprise : Jacques Tardi.

Le Cri du peuple se devait d’être accueilli en ces lieux. C’est bien sûr la Commune de Paris qui envahira l’espace Oscar-Niemeyer, mais aussi la bande dessinée et les personnages populaires de la fresque mise en scène par Jacques Tardi.

L’exposition, montée pour l’occasion, témoigne du parti pris de faire du bâtiment de la place du Colonel-Fabien un lieu ouvert sur le monde en mouvement, un lieu de culture, un lieu populaire.

Par ce clin d’oeil, Jacques Tardi donne à voir son travail et fait vivre son oeuvre. Intarissable sur son sujet, il se passionne, monte sur la barricade, fustige les censeurs. La Commune libertaire et égalitaire, voilà son credo, son secret espoir. Voilà quelque chose de « réjouissant », comme il aime à le dire. Elle revit dans ses dessins comme elle a vibré sous la plume de Jean Vautrin. Jacques Tardi n’est pas snob pour un sou, il est pop. Pour être plus précis, il est un adepte de la littérature populaire, et du feuilleton qui appelle toujours une suite (comme la Commune, du reste). Entretien.

Le siège du Parti communiste accueille une exposition de planches du Cri du peuple. Comment est venue l’idée de cette exposition ?

Jacques Tardi. C’est Henri Malberg qui m’a proposé cette exposition. Nous nous sommes rencontrés dans des initiatives militantes au sujet de la libération des prisonniers d’Action directe. Par amitié, j’ai accepté. La salle est belle, donc tout va bien. Il me semblait que par les temps qui courent, c’était une belle idée de montrer ces images de la Commune, dans le local du Parti communiste. La Commune avait un peu servi d’étalon dans la Révolution d’octobre. À ce qu’il paraît, Lénine disait : « On a tenu trois jours de plus, six jours de plus... » Après, les choses se sont passées comme l’on sait... Mais la Commune a été un moment enthousiasmant et important, non ?

Justement, parlez-nous de la Commune et de ce qui vous en fait rêver ?

Jacques Tardi. Après la défaite de 1870 et le Second Empire, les gens sont fatigués, les conditions sociales sont très dures et tout d’un coup, apparaît la possibilité de changer la société. Ça ne se produit pas souvent dans l’histoire, et c’est ça qui fait rêver. Aujourd’hui, les gens aimeraient bien changer la société, mais par quel bout prendre tout ça ? Il n’existe pas vraiment d’indicateur important derrière lequel reprendre espoir. Ce qui est réjouissant dans la Commune, c’est la prise en mains de leur destin par des gens qui savent de quoi ils parlent : des ouvriers, des intellectuels, des artisans, des journalistes... Les membres de la Commune étaient des gens du peuple, pas des politiciens de métier. Cette démocratie directe, c’est essentiel. Il y a un problème ? Voyons lequel, réunissons-nous, parlons-en... On va passer peut-être beaucoup de temps à essayer de trouver la solution, c’est vrai, mais il y aura une véritable solution. C’est peut-être cet aspect fastidieux des choses qui fait que les gens préfèrent déléguer. Le premier qui arrive et qui dit « je vais régler tout ça », il est plébiscité. Justement la Commune ne fonctionne pas comme ça. Et elle a pris des mesures par rapport à l’éducation, au travail des enfants, des mesures parfois impopulaires comme à propos de la prostitution.

Mais la Commune de Paris n’a pas duré...

Jacques Tardi. La Commune s’est fondée sur la symbolique d’une ville qui se détache du pouvoir central. À cette époque, Paris est entre des murs, encore un peu médiéval et ce n’était pas une situation qui aurait été amenée à durer très longtemps. L’idée d’une internationale aurait pu résoudre plein de problèmes, mais tout cela est resté lettre morte. C’est comme si on avait un arrêt sur image. Lorsque les Versaillais ont attaqué, ceux qui étaient chargés de défendre les passages concernés étaient à un concert... L’antimilitarisme réjouissant des communards a fini par jouer contre eux. Les fameux canons n’ont servi à rien, ils n’ont pas été remis sur leurs essieux et sont restés sur le champ des Polonais.

Le Cri du peuple occupe-t-il une place à part dans votre oeuvre ?

Jacques Tardi. J’ai passé quatre années à bosser là-dessus alors que la Commune a duré trois mois. Ça compte, mais je ne crois pas que ce soit un travail particulier. Je ne suis pas historien. L’histoire de Vautrin m’a permis de parler de la Commune, c’est un petit peu dans la continuité de mes préoccupations. J’ai démarré cette plongée dans l’histoire avec la Première Guerre mondiale, dont le point de départ a été ce qu’a pu me raconter mon grand-père. On nous a dit que tout le monde était parti la fleur au fusil pour libérer l’Alsace et la Lorraine. Cela nous ramène en 1870, peu avant la Commune de Paris. Je projette de parler de la guerre de mon père, avec ses tentatives d’évasion, le stalag... J’ai été abruti par ces histoires de guerre qui ont marqué des générations. Quand j’étais môme, on me parlait de tout cela. Je n’en avais pas les images, mais je voyais mon grand-père, qui est mort des suites de la sale guerre. Je pense faire un ultime retour dans les tranchées en 2008, pour cette espèce d’anniversaire. Parler de la guerre de 1914-1918, ou de la guerre du Golfe, c’est la même chose. C’est un sujet d’actualité : ça ne s’arrête pas. Mais je ne suis pas un témoin, je me réfère à des ouvrages et je sais que je suis bien au-dessous de la réalité. C’est comme si je mettais des petites fleurs là où il y a l’horreur. En fait, je poursuis inlassablement cette idée de parler de l’homme ordinaire à qui j’ai plus de facilité à m’identifier. Je veux parler du pauvre type, ceci dit sans mépris de ma part. Je suis plus proche du type qui subit, qui n’est pas content et qui réagit. Ces moments-là me plaisent, ceux où se manifeste une réaction collective comme le jour où les soldats, revenus fatigués de la guerre de 1870, décident de fraterniser avec le peuple de Paris et mettent la crosse en l’air. C’est là qu’on peut reprendre confiance en l’être humain... N’écrivez pas cela, ça fait très grandiloquent, mais disons que ce sont des moments très réjouissants.

J’imagine que vous avez parcouru

la France avec cette histoire. Quels sont les retours que l’on vous fait ?

Jacques Tardi. Sur la Commune, on peut raconter ce qu’on veut, personne n’en a entendu parler, on ne l’a pas enseignée. Elle fait l’objet d’une ignorance totale. Ma fille a entendu parler au lycée de la Révolution de 1848. Je lui ai demandé si sa prof avait prévu de lui parler de la Commune. Réponse : « Ce n’est pas au programme. J’en parle quand je suis en avance, et d’ailleurs ça passionne les élèves... »

Alors le Cri du peuple est presque une forme de réparation...

Jacques Tardi. Je le vois comme ça aujourd’hui. Je ne l’ai pas entrepris pour venger les communards, mais à partir de là, les gens s’y intéressent, on me demande où en savoir plus... Mon regret c’est qu’il n’existe pas de bibliographie à la fin des albums, mais c’est réparable. Mon idée c’est de raconter une histoire, parce que c’est la seule façon que j’ai de retenir l’attention. Je ne me considère pas comme un artiste mais comme un raconteur d’histoires qui utilise ce moyen d’expression là. La BD me rapproche du roman-feuilleton et d’une certaine littérature populaire qu’on a moqués. Même si aujourd’hui il n’y a plus de support pour les adultes, ce qui était intéressant, c’était ce principe du feuilleton.

Vous vous plaisez à dessiner Paris...

Jacques Tardi. Parce que j’y vis. À partir du moment où vous connaissez les bistrots, les quartiers, ou la population qui se trouve à tel ou tel endroit, vous avez envie de vous y plonger. Je n’ai jamais fait d’histoire dans le 16e arrondissement, ça ne m’inspire pas. Ce n’est pas mon milieu. Je ne connais pas vraiment les moeurs des gens. Là, c’est le Paris des travaux d’Haussmann, dont on sait qu’ils ont été réalisés pour faire de la place aux canons sur roues et prendre en enfilade les éventuels émeutiers. On n’y fait pas très attention, mais il reste encore des pâtés de maisons qui ont connu la Commune. Pour ces albums, je n’ai pas fait de repérages. Je me suis beaucoup documenté et je me suis appuyé sur ces photos qu’on connaît. Il existe aussi des gravures et des illustrations mais il faut s’en méfier : un dessinateur peut avoir tendance à en rajouter. Pour Burma, en revanche, je vais sur place avec mon appareil photo.

Vous vous êtes brouillé avec Nestor Burma ?

Jacques Tardi. Je reprendrai Burma un de ces quatre. Je m’étais engagé à en faire un tous les deux ans, c’était trop rapproché. Alors on a dit un tous les trois ans. Mais j’ai ajouté un tome au Cri du peuple... Alors pour que le personnage ne soit pas repris, autrement que tel que je l’ai imaginé, avec la tête de Michel Vaillant par exemple, Emmanuel Moynot a repris un peu le flambeau. Je me suis souvenu qu’il avait dit à Casterman : « Si un jour Tardi en a marre, je suis intéressé. » Cela permet de faire vivre le personnage. C’est cette balade dans Paris qui me plaît, puisque Malet avait fait un épisode par arrondissement. Je n’ai jamais été un fana de la série. Je suis en train de refaire une Aventure extraordinaire d’Adèle Blanc-Sec. Je pense que ce sera une des dernières. On ne peut pas dire que j’aie entretenu cette série avec beaucoup d’ardeur, puisque le dernier épisode remonte à huit ans. J’y reviens presque par envie de régler son compte à ce personnage. En même temps, c’est vrai qu’il existe un charme de la série, basé sur l’habitude, et la régularité, les travers d’un personnage et ses manies. Mais j’aime bien explorer des domaines différents.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans

le polar ?

Jacques Tardi. L’histoire de L’Étrangleur se passait dans un quartier, une rue. Elle était intéressante parce qu’elle était complètement amorale avec ce type qui étrangle sans raison

et amène un môme avec lui dans ses pérégrinations. Et puis il y avait aussi ces fins multiples, ces différentes possibilités de conclure... L’idée de conclure, c’est toujours emmerdant. Là, il y avait plusieurs fins et j’ai même éprouvé le besoin d’en rajouter. Avec le feuilleton, on n’est pas obligé de tout dire. On peut raconter une histoire à partir de pas grand-chose. On n’est pas obligé d’avoir un plan. Un personnage de second rang peut s’avérer être celui qu’on recherche depuis le départ, et tous les rebondissements sont permis.

Vous dites que vous n’êtes pas un artiste, mais certains risquent de trouver que vos planches sont belles en visitant cette exposition...

Jacques Tardi. Il est vrai que des originaux de bande dessinée ne sont pas faits pour être exposés. Ils sont faits pour aller chez le photograveur, puis chez l’éditeur et l’imprimeur afin qu’ils en fassent des livres. Je ne suis pas un peintre qui a conçu une oeuvre destinée à être exposée.Alors comment définissez-vous la bande dessinée ?

Jacques Tardi. La bande dessinée ce n’est pas de la littérature, et ce n’est pas non plus de la grande peinture. Le texte ne satisfait pas un amateur de littérature, ni le dessin un amateur de peinture. C’est précisément cela, la bande dessinée. C’est un moyen d’expression très délicat, c’est de la dentelle. Les gens ont tendance à ne pas voir toutes les intentions du dessin. À l’école, on n’apprend pas à lire les images. On dit que notre culture réside dans le texte. Dans une bande dessinée, cette multitude de dessins est parcourue. Lorsqu’il y a une image muette, même si elle contient des informations importantes, les gens la sautent. Bien souvent, si je veux retenir l’attention, je mets quand même un texte. C’est un problème d’éducation. C’est peut-être aussi pour qu’on consomme le journal télévisé sans contester les images qui nous sont montrées...

Comment jugez-vous la place de la culture et de la création dans notre société ?

Jacques Tardi. Elle est inexistante. Un artiste n’est pas quelqu’un de productif, on peut s’en passer. Bien souvent, on nous a dit que la France brillait par l’importance de ses écrivains et de ses artistes, mais ils ne sont pas vraiment aidés. Voyez les cinéastes portés aux nues lorsqu’ils sont récompensés alors qu’on les a laissés crever au moment du tournage.

Quel regard portez-vous sur le débat politique actuel ?

Jacques Tardi. C’est assez consternant et je ne suis pas très optimiste. On a l’impression qu’il y a une surenchère de médiocrité - je parle des deux candidats qui sont en tête des sondages. C’est vraiment du clientélisme ! Airbus, c’est formidable : tout le monde est là, à proposer sa solution dans une surenchère et une démagogie pitoyables. Cela ne me surprend pas. Les vrais problèmes ne sont pas abordés...

C’est le peuple, qui ne crie pas ou plus...

Jacques Tardi. Justement, ce n’est pas l’énarque qui sait : il ne connaît pas le travail autrement que par les livres. Il faut que le peuple prenne en mains ses propres problèmes. Le peuple, ce sont les gens qui font, qui travaillent, qui produisent et qui sont toujours mis à l’écart des richesses qu’ils créent. Ce sont eux qui font qu’une société existe, et non pas les professionnels qui vivent du sang de ces gens-là.

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Messages

  • Sur Agen, la Cie Pierre Debauche a créé une pièce ’intitulant "la commune", pièce créée et mise en scène par Robert ANgeabaud. Il était présent au meeting de MGB le 10/03/07 à Agen, et il a proposé une avant première aux memebres de soutien à la candidature de MGB. Elle a eu lei le mercredi 14/03/07. Ce fut un moment jubilatoire d’intenses émotions ou des sympathisants ont accompagné les comédiens sur les chansons des la commune "non Nicolas, la commune n’est pas morte..." Cette pièce, Robert Angebaud l’a voulue pour répondre à une méconnaissance historique des jeunes comédiens et de la jeunesse en général, nous ne devons pas être les fossoyeurs de cettemémoire collective. Alors j’ai envie que cette pièce continue au-delà du 17/04/07 et si vous avez envie de la découvrir, de la faire découvrir contactez-moi ! vous ne le regretterez pas.
    e-mail : joellelau@voila.fr
    joelle d’agen