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Europe-CIA : La justice se fait plus pressante

Publie le vendredi 2 février 2007 par Open-Publishing

de Elisa Drago

L’affaire des enlèvements et des vols de la CIA rebondit en Europe. En Allemagne, la justice vient de délivrer 13 mandats d’arrêt contre des agents de la CIA. En Italie, les pressions augmentent sur le gouvernement pour obtenir l’extradition de 26 agents du service d’espionnage américain. En Espagne, un magistrat réclame l’accès à tous les documents des services secrets espagnols sur les avions de la CIA, alors que le rapport d’enquête du Parlement européen affirme que des pays européens ont "fermé les yeux".

Une "bonne nouvelle". C’est ainsi que Dick Marty, rapporteur du Conseil de l’Europe chargé de l’enquête sur les activités illégales de la CIA, a réagi à l’annonce des mandats d’arrêt délivrés par la justice allemande contre 13 agents présumés de la CIA, soupçonnés d’avoir enlevé Khaled el-Masri. Le rapt de cet homme était déjà cité dans un rapport présenté en juin 2006 par Dick Marty. Selon ce rapport, il était "invraisemblable que les Etats européens n’aient absolument rien su de ce qui se passait, dans le cadre de la lutte au terrorisme international, dans certains de leurs aéroports".

L’enlèvement de Khaled el-Masri remonte à fin 2003. Cet homme d’affaires allemand d’origine libanaise de 43 ans est arrêté en Macédoine, remis à des agents américains et transporté en Afghanistan, où il est séquestré, battu et harcelé pendant cinq mois. S’appuyant sur un rapport de la Garde civile espagnole, la radio-télévision publique allemande NDR, affirme que Khaled el-Masri a été enlevé par un commando de treize individus et que l’avion qui le transportait, un Boeing 737, a quitté l’aéroport de Palma de Majorque, dans l’île espagnole des Baléares, le 23 janvier 2004.

Saluant la décision de la justice allemande d’émettre des mandats d’arrêt contre les agents américains, l’avocat de Khaled el-Masri a appelé Berlin à demander des excuses à Washington pour le traitement subi par son client. Le porte-parole du gouvernement allemand, Ulrich Wilhelm, a indiqué que ce dossier était du ressort de la justice et non de la politique. Car cette affaire embarrasse les autorités américaines et allemandes. Washington considère que les accusations de Khaled el-Masri concernent des activités secrètes, que la CIA ne peut ni confirmer ni démentir sans nuire à la sécurité nationale des Etats-Unis.

Le Parquet de Munich a indiqué avoir réussi à remonter la piste des treize agents de la CIA, grâce à la coopération de la police espagnole, du Parquet de Milan ainsi que du rapporteur du Conseil de l’Europe, Dick Marty.

Avoir accès à des documents secrets

En Espagne, le juge Ismael Moreno, de l’Audience Nationale, tribunal espagnol compétent en matière de terrorisme, mène l’enquête depuis juin 2006. Il vient de réclamer que soient déclassifiés tous les documents en possession des services secrets espagnols sur les avions affrétés par la CIA pour le transport clandestin de prisonniers suspectés de terrorisme vers des prisons secrètes. Le magistrat madrilène cherche à savoir si les aéroports espagnols ont été utilisés par le service d’espionnage américain, notamment celui de l’île de Majorque, cité dans le rapport effectué par la Commission d’enquête du Parlement européen.
Le rapport final de cette Commission parlementaire sur les vols et les prisons secrètes de la CIA en Europe, adopté la semaine dernière, affirme que certains pays européens ont « fermé les yeux » sur les vols secrets de la CIA et demande au Conseil européen de procéder à une enquête indépendante pour que des « sanctions » puissent être imposées, le cas échéant, à des Etats membres.

Une affaire qui monte en Italie

En Italie, la pression augmente sur le gouvernement italien pour qu’il transmette aux autorités américaines une demande d’extradition de 26 agents de la CIA impliqués dans une autre affaire du même genre : le rapt, à Milan, en février 2003, d’un ex-imam égyptien connu sous le nom d’Abou Omar. Le Parquet de Milan vient de communiquer au ministre italien de la Justice, Clemente Mastella, une nouvelle demande d’extradition des 26 Américains soupçonnés d’avoir enlevé cet imam.

Début décembre 2006, le Parquet de Milan avait demandé le renvoi devant la justice de 35 personnes impliquées dans cette affaire, parmi lesquelles les 26 agents de la CIA ainsi que Nicolo Pollari, l’ancien patron du renseignement militaire italien limogé en novembre dernier. Celui-ci dément toute implication dans cette affaire, considère être un « bouc émissaire » et a demandé lundi le témoignage de l’ex-chef de gouvernement Silvio Berlusconi. La presse italienne avait repris les affirmations du journal américain, Washington Post, selon lesquelles « Silvio Berlusconi a approuvé l’opération ».

L’enlèvement de cet Egyptien empoisonne depuis des mois les relations entre le gouvernement italien et les Etats-Unis. Le gouvernement précédent, dirigé par Silvio Berlusconi, avait refusé de transmettre à Washington la demande d’extradition des agents de la CIA. Cette semaine, six sénateurs qui appartiennent à la coalition de centre-gauche au pouvoir, dont plusieurs anciens magistrats, ont appelé le ministre de la Justice Clemente Mastella à transmettre cette demande qui risque de tendre les rapports avec Washington.
Soupçonné de terrorisme, Abou Omar a été enlevé par la CIA avec l’aide d’agents italiens et transféré en Egypte. Selon Amnesty International, il a été temporairement libéré de prison en avril 2004, date à laquelle il a appelé sa femme et ses amis en Italie, leur déclarant avoir été torturé. Les autorités égyptiennes l’ont de nouveau arrêté en mai 2004, selon l’organisation de défense des droits de l’homme, qui a demandé à l’exécutif italien de transmettre les demandes d’extradition formulées par le tribunal milanais.

http://www.rfi.fr/actufr/articles/086/article_49341.asp