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FSE Londres - Commerce partout, justice nulle part

Publie le lundi 18 octobre 2004 par Open-Publishing
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de Joelle Palmieri

Vendredi 15 octobre, se tenait un séminaire sur la commerce et l’injustice à l’égard des femmes. De nombreux témoignages sont venus confirmer la tendance à la surexploitation, aux délocalisations et à la désintégration des droits sociaux. Au Nord, à l’Est, comme au Sud, les femmes sont les plus grandes victimes des politiques de la Banque mondiale, de l’Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire internationale. La lutte s’organise, mais les stratégies restent modérées.

« Il faut développer une stratégie multipolaire, seul moyen de démocratiser les sociétés et d’en finir avec les conflits armés », ouvrait hier Françoise Mees, coordinatrice du programme international de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (Wilpf), lors du séminaire sur le commerce et l’injustice en direction des femmes. En effet, la vision unipolaire du monde libéral voudrait nous faire croire, selon Jean Lambert, députée verte européenne d’origine britannique, que « tout est positif et libre », la croissance, le commerce international, le libre-échangeetc. en un mot, que l’économie libérale est saine et qu’il faut y croire. Libre mais décidément séparée du social, secret de sa réussite et seul moyen de gérer profits et bénéfices, d’avoir accès au retour financier et à la propriété foncière. Cette logique inclut aussi un certain niveau d’éducation, nécessaire à la bonne application du système. De fait, « les femmes n’ont pas ces avantages. » Faut-il !
le rappeler, elles représentent 70% des pauvres, elles travaillent davantage au niveau local, plus impliquées dans des petites entreprises, ne sont ni propriétaires ni cadres et souvent sous-payées. Malgré tout, l’Union européenne aime s’entendre dire qu’elle a bonne réputation en matière de droits des femmes. Mais dans les traités, après trente ans de législation, il existe une différence de salaire moyenne de 18% entre les hommes et les femmes. En fait, « beaucoup ne comprennent pas ce qu’ils doivent faire pour mener des politiques de genre. » Il manque une véritable politique de formations et de suivi.

L’Est en pâture

Cerise sur le gâteau, le processus d’élargissement ne fait qu’aggraver la situation. Comme le souligne Malgorzata Tarasiewicz, directrice de l’Association pour la coopération des femmes en Pologne (Neww), « les pays entrants connaissent trois processus : la mondialisation, la transition et l’adhésion à l’Union. » Tous se chevauchent. On retrouve ainsi « de vieilles Polonaises qui soignent des vieux en Allemagne. » Il existe des supermarchés qui appartiennent à des entreprises allemandes ou portugaises, où les femmes n’ont pas le droit d’aller uriner pendant leur temps de travail (parfois quinze heures par jour), doivent porter des paquets très lourds, sans broncher. « Les femmes acceptent n’importe quel travail pour survivre », explique la militante polonaise. A la chute du mur de Berlin en 1989, « les femmes étaient dans l’incertitude, elles étaient coupées du monde, vivaient de mythes par rapport à l’Ouest, n’aspiraient qu’à rejoindre ce monde riche. » Et puis, elles ont d !
écouvert la triste réalité : baisse du Pib, des salaires, leur différenciation femmes/hommes (le salaire moyen est de 600€ et les femmes gagnent 100€ de moins), réformes des retraites et allocations sociales, détérioration des conditions de travail, insécurité, précaritéetc. La liste est longue et mène irrémédiablement à la recrudescence des violences domestiques, à la surenchère de la traite des femmes sur le marché de la prostitution et à la montée en puissance des fondamentalismes religieux. Car, il faut bien le dire, ce processus était fortement soutenu par l’Eglise catholique, redevenue très forte et investie au pouvoir, soucieuse de bien insister sur le rôle « traditionnel » des femmes et la nécessité des les renvoyer au foyer, histoire qu’elles ne prennent pas le travail des chômeurs. Tant et si bien que les Polonaises assurent leur « double emploi », celui que le marché du travail leur laisse et celui du privé : la responsabilité de la famille. Et tout le monde s’en !
fout. Aussi avant, il fallait « combler le déficit du communi !
sme et m
aintenant il faut combler le déficit du marché. »

Délocalisations et harcèlement

Côté Ouest, en France, le chômage a créé, depuis une dizaine d’années, la notion de « petits jobs. » Petits qui deviennent grands, puisque pour le seul exemple des centres d’appel, décrit par Sandra Demarcq du syndicat Sud-Ptt (France), les petites habitudes se transforment en contrats. Peu diplômées, sans aucune expérience de lutte, des jeunes femmes (80% du bataillon, les rares hommes occupant à 95% les postes de « petits chefs ») acceptent maintenant des emplois pour cinq, huit, dix ans, pour lesquels les droits sociaux ne sont plus à l’ordre du jour : travail de nuit, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, bas salaires, temps partiels. La précarisation est au programme et avec elle, au bout du chemin, les délocalisations, jusqu’ici plutôt réservées aux industries textile et automobile. Aussi, ce sont aujourd’hui des Marocaines, des Tunisiennes, des Sénégalaises, pour le coup très diplômées, qui répondent à l’autre bout du fil, pour trois francs six sous. L’arsenal du har !
cèlement, déployé pour que les femmes soient encore plus flexibles et acceptent n’importe quelles conditions, vient couronner le tout. Les entreprises de services ont ainsi délocalisé les contraintes et avec elles la précarité et la flexibilité. Alors, comment lutter ? Même si les jeunes Françaises commencent à s’organiser, reste que pour les Maghrébines et les Africaines, c’est avant tout une source de revenu, auquel elles ne pouvaient prétendre auparavant. Seule solution : mettre en oeuvre des actions de solidarité internationale afin de « rattraper le retard par rapport aux patrons. »

Des résultats peu probants

Cette accélération des libéralisations n’est pourtant pas si gagnante que ça, comme l’explique la chercheuse Nazneen Kanji de l’Institut international pour l’environnement et le développement (Grande-Bretagne). S’appuyant sur une étude menée sur la production des noix de cajou au Mozambique et en Inde, l’universitaire rappelle que, au début des années 90, la Banque mondiale a demandé aux gouvernements de ces pays la libéralisation du secteur sous peine de ne plus recevoir de prêts. L’arithmétique bancaire promettait qu’en baissant les prix des noix d’au moins 50%, cela favorisait la concurrence, donc relançait la production. Mauvais calcul, puisque, comme le démontre l’étude, la cible était mal évaluée, réduite qu’elle est aux gros producteurs. Quoi qu’il en soit, les femmes, exclues des négociations ­ les marchands sont des hommes ­ restent actives au foyer et au niveau local où elles paient le prix fort. 400000 en Inde, 200000 au Mozambique, elles sont soumises à des produ !
ctions saisonnières, payées à la semaine, des salaires très bas, dans des conditions de travail ne respectant pas les règlements, provoquant plus de risques pour la santé. Ne leur reste que le choix entre « exploitation et exclusion. »

Le commerce équitable : une solution ?

La version Amérique latine et Caraïbes de cet exemple pourrait s’incarner dans la culture intensive des bananes. Au Costa Rica, on retrouve bas salaires, sous-contrats, conditions de travail désastreuses, non respect des normes et législations, risques pour la santé (l’utilisation des pesticides ne tient aucun compte des personnes qui récoltent les fruits, ce qui produit problèmes respiratoires, cancers de la peau, malformation des nouveaux nés...), équipements médicaux inexistants, inégalité femmes/hommes dans la prise de décision, sécurité de l’emploi totalement absente... Pire, les femmes sont forcées de partir (elles sont passées de 25% de la main d’oeuvre à 10% en moins de dix ans), pressées par des méthodes de recrutement sans pareil ­ elles doivent entre autres fournir un certificat de non grossesse, bon moyen pour les exploitants de ne pas payer les congés maternité ­ quand, bien entendu, elles ne subissent pas de harcèlement sexuel, « qui fait partie de la culture l !
ocale » comme le spécifie Jacqui Mackay, coordinatrice nationale du Banana Link (Grande-Bretagne). Elles se retrouvent à devoir choisir entre la scolarisation ou la non-scolarisation de leurs enfants, faute de moyens financiers et de temps. Ici également, on n’échappe pas à la logique des délocalisations, au Brésil, en Afrique de l’Ouest. Aussi, les ouvrier-es s’organisent. Il existe désormais une coalition de sept syndicats pour revendiquer amélioration des conditions de travail, salaires décents mais aussi pour former les femmes « à avoir un rôle de meneuses » et les hommes « à changer d’avis », les deux à changer de secteur (comme, par exemple, l’informatique) afin de créer des sources alternatives de revenus et enfin pour lutter contre les accords de libre-échange comme celui des Amériques (l’Alca). Le commerce équitable est mis en avant, « seul espoir de développement durable aux Caraïbes. » Avec cette philosophie, la production se diversifie et les femmes partagent le !
urs richesses, participent aux processus de décision.

Une stratégie au goutte-à-goutte

Ces différentes expériences témoignent de la nécessité de justice sociale, économique et environnementale, comme l’affirme Tracy Sortwell, présidente du comité des Affaires publiques de la Fédération nationale des instituts de femmes (NFWI ­ Grande-Bretagne). Elle organise des campagnes aux niveaux local, national et international pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils intègrent une perspective de genre dans le commerce. « Le commerce est la clé de voûte de la pauvreté », insiste cette Galloise qui par ailleurs promeut, elle aussi, le commerce équitable. Et elle ajoute : « la plupart des changements sont positifs, les efforts se font au goutte-à-goutte, petit pas par petit pas. » Eve Mitchell, de Friends of the Earth (Grande-Bretagne), réitère, quant à elle, les effets néfastes sur les femmes des politiques des grandes institutions financières internationales (Fmi, Omc, Banque mondiale) et suggère de reconsidérer les bases du terrain de lutte, de faire apparaî !
tre le travail invisible des femmes, de repenser le plaidoyer.
On pourra regretter au moins trois manques dans ce débat : l’absence de Michèle Sevrette, des Mains Bleues (France), retenue, au moment-même de prendre son train pour Londres, par une mission de trois mois qu’elle n’a évidemment pas pu refuser ­ bonne illustration du sujet ­, la quasi pénurie d’hommes dans la salle ­ cela resterait-il des histoires de bonnes femmes ? ­ et la totale pénurie de remise en cause du système dans son ensemble, inhibant toute mise en exergue des résistances forgées par les femmes en situation d’exclusion partout dans le monde. Aujourd’hui encore, au sein d’un Forum social, il est plus question de revendications que d’alternatives, d’amélioration que de changement, une sorte de fatalisme intégré. Le capitalisme aurait-il encore de beaux jours devant lui ?

Source : http://www.penelopes.org

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