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Il serait suicidaire pour la gauche d’importer en France le blairisme

Publie le jeudi 5 juillet 2007 par Open-Publishing
3 commentaires

de Philippe Marlière maître de conférences en sciences politiques à l’université de Londres

Faisant ces derniers jours le bilan des années Blair, les médias français parlaient de pragmatisme, de thatchérisme social, de modernisme, de social-démocratie... Qu’en pensez-vous ?

 Philippe Marlière. En 1998, devant les députés français, Tony Blair déclarait : "Il n’y a pas de politique économique de droite ou de gauche, mais des politiques économiques qui marchent et d’autres qui ne marchent pas." Il affichait ainsi son soi-disant modernisme politique et sa volonté de rompre avec "le vieux travaillisme". Ce pragmatisme porté très haut a fait place à des choix beaucoup plus idéologiques.

En fait, le blairisme est resté sur les rails du thatchérisme avec des correctifs à la marge pour les plus pauvres, les familles monoparentales.

Il a mis en place un filet de sécurité pour ces catégories, mais n’a pas réduit les inégalités qui se sont au contraire largement accrû es. Dans les services publics il n’a pas rompu avec le paradigme thatchérien. La rénovation des écoles, des hôpitaux s’est faite en associant étroitement le privé à leur construction et à leur gestion. Le choix de Blair et de Brown d’accompagner et non de réguler la mondialisation a fait que Londres et le Royaume-Uni sont devenus la plaque tournante d’une économie dérégulée, totalement flexible où seuls les plus riches peuvent s’en sortir. Un exemple : la spéculation immobilière qui chasse les classes moyennes des centres-villes. Derrière ce pragmatisme de façade, Blair a imposé des politiques rejetées non seulement par les syndicats, mais également par une grande partie des travaillistes, les médias et aussi par le public. Ainsi, la rénovation du métro de Londres a donné lieu à une longue bataille contre la gestion privée du service public. Le maire, Ken Livingstone, s’est opposé à cette privatisation, mais Blair et Brown sont passés outre démontrant que leur pragmatisme n’était qu’un slogan.

 Tony Blair est-il social-démocrate ?

 Philippe Marlière. En France, à gauche, surtout à gauche du PS, ce terme est synonyme de droite. C’est un raccourci. Pendant les Trente Glorieuses, la social-démocratie n’a pas été forcément droitière, y compris en Grande-Bretagne. Elle a proposé un mode de redistribution assez égalitaire. Ce n’est pas la politique qu’a suivie Blair.
Avec lui, les ouvriers, les fonctionnaires et les classes moyennes du privé ont été laissés de côté.

Il est amusant de voir certains médias français parler d’un blairisme social, alors qu’en réalité il a repris les recettes néolibérales du thatchérisme et privilégié les tenants du capitalisme financier. Non, il a fait moins que le strict minimum. Après vingt ans de gouvernement ultralibéral, après les privatisations catastrophiques du thatchérisme, la population n’en pouvait plus du néolibéralisme et elle souhaitait une réelle rénovation des services publics et davantage d’égalité. Elle n’attendait pas la révolution mais une politique plus sociale-démocrate. Le blairisme n’a pas été à la mesure de cela. Blair a manqué d’audace alors qu’il s’appuyait sur une majorité absolue. Ce qui a caractérisé son action, c’est un profond pessimisme social.

 Tony Blair est-il de gauche ?

 Philippe Marlière. Lorsqu’on est à la tête d’un gouvernement de gauche, fut-il hypercentriste, post-social-démocrate même, à quoi juge-t-on sa réussite ? À l’aune d’un combat en faveur de la justice sociale. Dans ce domaine Blair a failli. Ce sont les riches qui ont prospéré sous le blairisme. Les autres catégories sociales ont eu beaucoup de mal. En Grande-Bretagne, les classes moyennes « galèrent », ce qui fait que le blairisme est devenu très impopulaire parmi les salariés et les cols blancs.

 Ce n’est donc pas seulement la guerre en Irak qui explique la relative impopularité de Blair aujourd’hui...

 Philippe Marlière. Vu de Grande-Bretagne, la guerre d’Irak n’explique qu’en partie cette impopularité. Elle est en effet un énorme fiasco, tout le monde le reconnaît sauf Tony Blair. Elle a entraîné le décrochage de catégories qui étaient très blairistes. Ceux qu’on appelle en France les « bobos ». Des gens aisés qui ne veulent pas de hausse des impôts, qui mettent leurs enfants dans les écoles privées, mais qui sont progressistes sur les questions sociétales, d’environnement et de moeurs. Pour eux la guerre d’Irak, c’était trop. À ceux qui affirment en France que Blair s’en est bien sorti exceptée sur l’Irak, je dirais : Blair a échoué sur l’Irak et il a également échoué dans le domaine économique et social. Les résultats macroéconomiques sont peut-être corrects mais à qui a profité la croissance ? Aux riches, pas au peuple.

 Ségolène Royal et Dominique Strauss-Kahn se sont à plusieurs reprises référés à Tony Blair. Y a-t-il une tentation blairiste au PS ?

 Philippe Marlière. Incontestablement le Parti socialiste français et tous les partis qui siègent à Bruxelles dans le Parti socialiste européen (PSE) sont traversés par cette tentation. Il y a ceux qui pensent que Blair a fait le maximum. Vous avez cité Royal et DSK, je suis d’accord. Mais il y a encore des socialistes qui pensent que le blairisme n’a rien à voir avec la gauche sociale-démocrate, qu’il est tombé du côté de la droite et qu’il faut donc le combattre. DSK a bien étudié le blairisme, il a des contacts étroits avec ses dignitaires, il pense que le socialisme à la française doit s’en inspirer, c’est son horizon, c’est idéologique.
Quant à Royal, sa campagne peut être qualifiée de blairiste.

Elle se situe même en deçà comme on l’a vu a posteriori avec sa critique des 35 heures et du SMIC (incroyable ! Même Blair a revalorisé le SMIC). Elle a aussi adopté du blairisme son versant sécuritaire. Il me semble que dans ces moments de grande incertitude socio-économique, quand les plus défavorisés souffrent des restructurations, des délocalisations, d’un pouvoir d’achat rogné, un gouvernement de gauche devrait défendre ces catégories et non exacerber la dérégulation néolibérale en disant : soyez contents d’avoir un boulot même mal payé et flexible. Aujourd’hui, l’opposition politique majeure n’est plus entre la gauche et la droite, mais c’est une opposition qui traverse les partis sociaux-démocrates et qui met face à face blairistes et progressistes.

 Nicolas Sarkozy affiche lui aussi sa proximité avec Tony Blair...

 Philippe Marlière. Que Nicolas Sarkozy se réfère à Blair sur le plan économique, approuve ses politiques sécuritaires et partage son admiration pour les États-Unis, c’est dans la logique des choses. C’est un fait connu ici, Blair souhaitait la victoire de Sarkozy. Entre les deux hommes, il existe une admiration et une sympathie mutuelle. Les politiques de Blair et les intentions déclarées de Sarkozy coïncident.

 Quels enseignements tirez-vous du blairisme pour la gauche française ?

 Philippe Marlière. Il a pu prospérer électoralement dans des conditions politiques particulières, après vingt ans de thatchérisme et de défaite en rase campagne de la gauche britannique, depuis la grève des mineurs jusqu’à la reprise en main du Parti travailliste par Neil Kinnock. Celui-ci avait préparé le terrain avec les purges des éléments de gauche du Parti travailliste, pas seulement les trotskistes, mais des sociaux-démocrates bon teint, qui ont été mis de côté progressivement en une dizaine d’années. Le mode de fonctionnement du parti est devenu plébiscitaire et a renforcé les pouvoirs du leader. Quand Blair en prend la tête en 1994, il n’a plus qu’à mettre en oeuvre sa politique. C’est un premier point important. Ensuite, il est arrivé au pouvoir alors que les conservateurs faisaient l’objet d’un rejet viscéral et qu’il y avait un grand espoir populaire pour le changement. Malgré les échecs des dernières années, malgré tout ce qu’on peut reprocher à la gauche, et au PS en particulier, la France reste culturellement, idéologiquement, beaucoup plus à gauche que la Grande-Bretagne. La thèse de la « droitisation » de la société française, défendue par certains, n’est pas démontrée.
Tous les sondages qualitatifs montrent, à l’inverse, qu’il existe une forte attente sociale.

C’est tout le génie stratégique de Sarkozy d’avoir fait voter en faveur d’une plate-forme néolibérale tout en ayant pris soin, le temps de la campagne électorale, de flatter l’électorat de gauche. Cela lui a permis de remporter une élection que la gauche aurait dû gagner. Il serait suicidaire pour cette dernière d’importer en France le blairisme et son pessimisme social, de promouvoir une politique qui viendrait décourager ce qui a au contraire besoin d’être réactivé : l’aspiration à davantage de solidarité et de justice sociale.

Entretien réalisé par Jacqueline Sellem.

http://www.humanite.fr/2007-07-02_P...

Messages

  • je crois hélas que le blairisme cette forme larvée de pseudo socialisme a déja gangréné le Ps depuis longtemps , on pourrait meme dire depuis mitterrant meme lang va a la soupe comme consultant du sarkozysme

    le Ps n’est plus un parti de gauche mais un parti de centre droit il faudra bien l’admettre

    • C’est surement plus compliqué que cela au sein du PS, si certains sont tenté par le blairisme, il reste une grande partie de sociaux-démocrates au sein du PS.
      En tant que communiste je sais tout les reproches que l’on peut fait à la social démocratie, mais je préfère cela au blairisme.
      Ce qui me fait marré c’est que DSK se proclame social démocrate, alors qu’il est , tout au plus, social-libéral.

      ROCH

  • Il me semble que ça fait un moment que la direction du PS français est devenue néo-libérale (au sens blairiste du terme). Maintenant que celle-ci n’est pas tous les leviers pour faire , et surtout dire, ce qu’elle désire est une autre question.

    Le courant blairiste qui se nomme effectivement faussement social-démocrate dans certains pays est gonflé à l’helium médiatiquement. On l’a vu sur la question du référendum où ce courant a été obligé de paraitre à visage découvert. Là la direction du PS a été dépecée de son influence brutalement (comme la droite d’ailleurs).

    Royalisme et Sarkozysme sont les deux faces d’une même monnaie, et cette monnaie c’est celle du blairisme , du prodisme, du Merkelisme, les anomalies ne sont pas de voir des gens se disant socio-démocrates dans cette mélée anti-sociale c’est de voir des socio-démocrates au sens réel du terme se trouver dans cette mauvaise affaire.

    Quand on enleve la place financière et la rente prétrolière (qui n’ont rien à voir avec Tatcher et blair mais existent bien avant avec des racines historiques précises), quand on enlève les relations originelles qui lient la Grande-Bretagne aux USA (passerelle économique entre l’Europe et les USA) quand on enlève des éléments de croissance qui n’ont de solide que ce que l’hélium est au cerveau d’un politicien libéral (je te vends un immeuble, tu me le revends, je te le revends, tu me le re-re-revends, on se fait des proces et ça nourrit des avocats on devient riche et on a peur, on met des caméras, partout, BREF, tout ça c’est du PNB ! Mais est-ce de la richesse produite ?)....

    Comme aux USA , une très grande partie de la croissance annoncée est de la croissance bidon. On parle souvent des jeunes du monde entier qui se précipiteraient à Londres, c’est inexact. Les Londoniens comme beaucoup d’anglais ne rêvent que de se barrer d’un pays devenu invivable pour aller planter leurs tomates en... France... Il y a plus d’Anglais en France que de français en Grande-Bretagne....

    La question anglaise doit nous amener à observer nos propres turpitudes et les apôtres de la fausse croissance, celle qui ne constitue pas un enrichissement réel de la population. Une croissance de merde, avec du chômage déguisé.

    En complément à cet exellent article je rappelle ce site simple sur le chômage,le temps de travail, la croissance et les comparaisons entre états, site qui remets pas mal de pendules à l’heure :
    http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm

    A répéter et re-répeter....

    Copas