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Israel : pris dans les filets de l’illusion

Publie le jeudi 24 août 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

de Jonathan Cook

Qu’en résultera-t-il de ces guerres ? c’est la question à laquelle il est le plus difficile de répondre, parce chaque résultat possible signifie une catastrophe pour la région, même pour Israël, et finalement, pour l’Occident.

Après le Liban, Israël va vers plus de guerres

A la fin du mois dernier, 15 jours après le début de la guerre contre le Liban, les médias hébreux ont publié une information mais que les observateurs n’ont pas relevée. Des scientifiques à Haïfa, d’après l’article, ont mis au point un filet d’acier anti-missiles qui peut protéger les immeubles des attaques de roquettes. Le gouvernement israélien, prétendait-il, pourrait l’utiliser pour protéger les infrastructures vitales - raffineries de pétrole, hôpitaux, installations militaires, offices publics - et les citoyens pourraient l’acheter pour protéger leur propre maison.

Le fait que le gouvernement et des scientifiques aient sérieusement investi leurs espérances dans un tel projet nous en dit plus sur la conception d’Israël de ce « nouveau Moyen-Orient », que des acres d’analyses.

Israël considère ses « arrières » - sa population civile - comme son talon d’Achille dans son oppression militaire des Palestiniens dans les Territoires occupés, dans ses invasions intermittentes du sud Liban et pour ses attaques projetées plus loin. L’armée a besoin du soutien inconditionnel de l’ensemble des citoyens et des médias du pays pour se sentir approuvée dans son offensive ininterrompue contre les « ennemis » d’Israël, mais elle craint que la détermination de l’arrière ne soit ébranlée face à la menace posée par les tirs de roquettes sur Israël, que ce soit les Qassam artisanales tirées par les Palestiniens au-dessus du mur de leur prison à Gaza, ou les Katyusha lancées par le Hezbollah depuis le Liban. Certainement, les dirigeants d’Israël ne sont pas disposés à examiner les causes de cette menace des roquettes - ni à chercher des solutions d’une autre variété que les attrape-missiles.

Le coup sanglant qu’a pris Israël au sud Liban n’a pas ébranlé la confiance de ses dirigeants dans leur militarisme excité. Si, une chose : l’humiliation leur a donné un motif pour continuer leur aventure avec plus de vigueur, afin d’essayer de faire revivre le mythe de l’invincibilité d’Israël, de détourner le mécontentement intérieur sur la façon dont Israël a été battu par le Hezbollah, et de prouver que l’armée d’Israël est toujours utile aux yeux de son généreux bienfaiteur américain. Si les soldats d’Israël viennent à quitter vraiment le sud du Liban, il faudra s’attendre à un retour rapide à la situation d’avant la guerre, avec des violations quasi-quotidiennes de l’espace aérien libanais par les chasseurs-bombardiers et les drones espion, avec plus d’attaques aériennes pour « contenir » le Hezbollah et des atteintes répétées à la vie de son chef, Hassan Nasrallah. S’attendre à plus de passages de ces mêmes avions au-dessus du palais du Président Bashar al-Assad à Damas, à plus de tentatives d’assassinats contre le dirigeant du Hamas en exil, Khaled Meshal et d’attaques sur les « circuits de ravitaillement » du Hezbollah en Syrie. S’attendre à des avertissements plus apocalyptiques, et même pire encore, contre l’Iran qui confirme son intention de rejoindre Israël dans le club très fermé des puissances nucléaires. Et bien sûr, s’attendre à plus d’attaques aériennes et terrestres contre Gaza et la Cisjordanie, avec des conséquences accablantes inévitables pour la vie des Palestiniens.

En dépit de sa leçon méritée au Liban, Israël n’envisage pas de modifier ses relations avec ses voisins. Il ne cherche pas de nouveau Moyen-Orient où il lui faudrait endurer les douleurs de son enfantement, comme les « Arabes ». Il ne veut pas s’engager dans un processus de paix qui pourrait le forcer à restituer, et pas seulement dans les apparences, les territoires occupés aux Palestiniens. Au lieu de cela, il est en train de se préparer à une nouvelle guerre asymétrique avec des bombardements aériens de cette sorte si affectionnée par les fabricants d’armes américains.

Baalbek : il n’y a pas opération plus offensive

Les évènements précipités du week-end doivent être regardés à la lumière de tout cela. Israël, comme on pouvait s’y attendre, a été le premier à violer le cessez-le-feu, ce samedi, quand ses commandos ont attaqué les positions du Hezbollah près de Baalbek, au nord-est du Liban, couverts par une attaque aérienne sur les routes et les ponts. Il n’est pas surprenant que cette violation grossière du cessez-le-feu n’ait provoqué à peine plus qu’un murmure de condamnation. Terje Roed-Larsen, des Nations unies, a parlé d’un « développement inopportun » et « peu coopératif ». La force de maintien de la paix des Nations unies au Liban, la Finul, dont la mission actuelle est de surveiller le cessez-le-feu, a refusé de commenter, disant seulement que l’attaque s’était produite en dehors de sa juridiction - un aveu implicite de la gravité de la violation.

Du côté des médias, l’Associated Press a parlé de l’attaque de l’armée comme d’« une opération audacieuse », la BBC Monde l’a décrite comme un « raid » et les échanges de tirs entre les troupes israéliennes et le Hezbolah qui ont suivi, comme un « affrontement ». Beaucoup plus tard, la BBC a indiqué dans ses articles qu’il s’agissait d’un « manquement sérieux » au cessez-le-feu, négligeant de mentionner qui était responsable de cette violation. C’était peut-être parce que l’article de la BBC avait immédiatement été suivi par l’intervention du porte-parole israélien, Mark Regev, imputant au Hezbollah, non pas à Israël, la violation du cessez-le-feu. Comme prévu, il a accusé le Hezbollah de recevoir des livraisons d’armes que l’opération armée israélienne était supposée contrecarrer. Donc, ce n’était qu’un simple « affrontement » durant une mission de recherches de renseignements, comme les premiers articles des médias israéliens l’avaient déclaré, avant même la version officielle. Les forces spéciales israéliennes avaient lancé l’opération secrète pour enlever le dirigeant du Hezbollah, Sheikh Mohammed Yazbak, de l’autre côté du fleuve Litani, dans la partie nord de la présumée « zone tampon » d’Israël. Le détachement n’était pas seulement habillé comme des Arabes - un stratagème habituel des unités « mistarvim »* - mais comme des soldats libanais et conduisant des véhicules de l’armée libanaise. Quand ils ont été découverts, le Hezbollah a tiré, tuant un Israélien et en blessant deux dans un échange de tirs violent.

(Ca vaut la peine de noter que, selon la version officielle ultérieure, les forces d’élite israéliennes n’ont été accrochées qu’au moment où elles avaient terminé leur mission de renseignements et qu’elles rentraient. Pourquoi Israël emploierait-il des forces spéciales - et à l’en croire de façon non belligérante - dans une opération de terrain risquée, alors que des livraisons d’armes venant de Syrie pourraient être repérées aisément par ses drones espion et ses avions de combat ?

On voit mal comment cette opération pourrait être qualifiée de « défensive » sauf dans le langage de l’armée israélienne - laquelle, après tout, est connue sous le nom trompeur de Forces de défense israéliennes. La résolution 1701 des Nations unies, la base légale du cessez-le-feu, exige qu’Israël cesse « toute opération militaire offensive ». Comment une opération pourrait-elle être plus offensive ?

Mais, de façon plus significative, que cherche à faire Israël avec le cessez-le-feu des Nations unies, quand il décide de le violer non seulement avec un assaut contre les positions du Hezbollah hors de la « zone tampon » qu’il a envahie, mais aussi en impliquant l’armée libanaise dans son attaque ? N’y a-t-il pas un risque que les combattants du Hezbollah ne tirent sur les troupes libanaises de crainte que ce soit des soldats israéliens déguisés ? La malhonnêteté d’Israël ne va-t-elle pas affaiblir la position de l’armée libanaise qui doit, selon la résolution 1701, maintenir l’ordre dans le sud Liban à la demande d’Israël ? La réticence de l’armée libanaise à retenir le Hezbollah n’a-t-elle pas, par voie de conséquence, fournie potentiellement une excuse à Israël pour reprendre les hostilités ? Et qu’aurait-on dit si les Israéliens avait monté la même opération, déguisés en soldats de la paix de l’ONU, la force internationale destinée à s’ajouter aux soldats libanais déjà dans le secteur ? Ces questions nécessitent des réponses d’urgence mais, comme d’habitude, elles n’ont été soulevées ni par les diplomates ni par les médias.

Avec l’enlèvement des ministres du Hamas, l’intérêt d’Israël apparait de lui-même.

Le même jour, l’armée israélienne avait opéré un autre « raid », cette fois à Ramallah, en Cisjordanie. Là, ils ont « arrêté » - les médias restant complices toujours du langage de l’occupation - le Vice-premier ministre palestinien. Son « délit » : appartenir à la branche politique du Hamas, le parti démocratiquement élu, en janvier de cette année, par le peuple palestinien qui demande à son gouvernement de s’opposer à la volonté israélienne. Même le quotidien israélien « Ha’aretz » qualifiait Nasser Shaer de « modéré relatif » - « relatif » parce que, vraisemblablement, aux yeux des Israéliens, il appartient quand même au Hamas. Shaer avait échappé au sort des autres ministres et parlementaires du Hamas capturés précédemment, en se cachant de l’armée pendant les six dernières semaines - une métaphore appropriée pour une jeune démocratie palestinienne sous la botte de l’oppression israélienne.

Un député de premier plan du Fatah, parti rival, Saeb Erekat, a pointé l’évidence : la capture de la moitié du cabinet ministériel, rend impossible, pour le Fatah dirigé par le Président Mahmoud Abbas, toute négociation avec le Hamas pour réunir un gouvernement d’unité nationale. Une telle coalition pourrait offrir aux Palestiniens une issue désespérément indispensable à leur situation d’isolement international et leur permettre de préparer la voie pour des négociations avec Israël sur le retrait futur du territoire palestinien occupé. L’intérêt d’Israël en étouffant un tel gouvernement apparaît de lui-même. Et l’Israélien moyen se demande encore pourquoi les Palestiniens leur envoient des roquettes sur Israël ! Que lui faut-il ?

Sur le plan diplomatique, l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Dan Gillerman, a opposé un refus à toute réflexion sur une initiative de paix que la Ligue arabe espère présenter devant le Conseil de sécurité le mois prochain. La proposition de la Ligue arabe suit la même démarche que le plan de paix global des Etats arabes, initié par l’Arabie saoudite en 2002, qui avait été immédiatement été repoussé par Israël. A cette occasion, Gillerman a prétendu que cela ne pouvait servir en rien un processus de paix ; Israël, a-t-il dit, veut s’employer à désarmer le Hezbollah dans le cadre de la résolution 1701 des Nations unies. Vraisemblablement, cela signifie plus de « raids » provocateurs, comme celui de samedi, en violation du cessez-le-feu.

Où toute cette activité « défensive » d’Israël nous entraîne-t-elle ? Réponse : au point d’avoir plus de guerres et de carnage, qu’ils soient infligés aux Palestiniens, aux Libanais, à la Syrie ou à l’Iran, ou sur tous à la fois. La direction de l’armée iranienne a averti samedi qu’elle se préparait à une attaque d’Israël. C’est probablement une hypothèse prudente de sa part, surtout que les officiels US insinuaient ce week-end que le Conseil de sécurité des Nations unies était sur le point de voter des sanctions qui prévoiraient la force militaire pour stopper les ambitions nucléaires de l’Iran. En fait, Israël est prêt à engager le combat avec quiconque dans la région qui n’aurait pas, tout simplement, assuré la Maison Blanche de sa complicité avec son nouveau Moyen-Orient ; telles la Jordanie et l’Egypte avec le paiement de chèques mensuels directement de Washington, ou l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe avec les pipelines dispendieux apportant le pétrole en Occident. Les ennemis officiels - ceux qui refusent de se prosterner devant les intérêts pétroliers occidentaux et l’hégémonie régionale israélienne - doivent être mis à genoux, tout comme l’Irak.

Qu’en résultera-t-il de ces guerres ? c’est la question à laquelle il est le plus difficile de répondre, parce chaque résultat possible signifie une catastrophe pour la région, même pour Israël, et finalement, pour l’Occident. Si Israël a pris un mauvais coup en se battant un mois contre des milliers de combattants du Hezbollah sur leur propre terrain, que peuvent espérer réaliser les forces associées d’Israël et des USA dans un champ de bataille qui recouvrirait l’ensemble du Moyen-Orient ?

Comment Israël survivra-t-il dans une région éclatée par la guerre, avec un nouvel ascendant chiite qui rendrait obsolète la vieille mosaïque coloniale des Etats arabes, et avec les évolutions tectoniques des identités et des frontières que cela entraînerait ?

Le Président Bush observait en fin de semaine dernière que, bien qu’il paraissait que le Hezbollah avait gagné la guerre contre Israël, il allait prendre son temps pour voir qui était le vrai vainqueur. Il a peut-être raison, mais il est difficile de croire qu’Israël ou les Etats-Unis puissent construire un filet anti-missile assez vaste pour résister aux retombées d’une guerre qui devient menaçante.

* Mistarvim : unités secrètes de l’armée d’occupation dont les membres s’habillent en Arabes pour pénétrer en territoire palestinien pour y opérer un coup militaire.

Jonathan Cook est écrivain et journaliste, il habite Nazareth, Israël. Son livre Sang et Religion : démasquer l’Etat juif et démocratique, est publié par Pluto Press.
Son site : http://www.jkcook.net

Jonathan Cook
Nazareth - 21 août 2006 - Caught in a Net of Delusion. After Lebanon, Israel is Looking for More Wars
Traduction : JPP

http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=3449

Messages

  • Excellente analyse de la situation
    Je partage entièrement ces vues et je pense que nous nous acheminons effectivement vers de plus grands troubles.
    Israël nous donne la démonstration que les peuples par leurs actions (ou l’acceptations et le soutien d’erreurs et de crimes commis en leur noms) suivent presque inexorablement leur destin et s’acheminent vers les catastrophes qu’en fait ils provoquent eux mêmes consciemment... ou non .

    Je me souviens d’une visite faite (entrainé en ce lieu par mon gendre, professeur d’histoire en lycée) au Musée de la 1ère guerre Mondiale à Péronne dans la Somme . La première salle porte sur le mur ,un titre "La montée des Périls" "à moins que ce ne soit au mémorial de Caen sur la 2ème G.M, je me souviens plus bien lequel ? mais c’est pareil après tout ! " elle décrit la période " juste avant" celle ou le monde s’achemine vers ce quoi l’on a vu ensuite !

    Alors aujourd’hui d’ou vient que mes proches, (par exemple ce gendre prof d’histoire, ou encore ma femme ) quand j’exprime des vues comme celles de J.Cook, soient choqués et pas d’accord ?

    J’imagine que dans les familles d’Israël on doit parfois avoir ce genre de discussion

    Les leçons de l’histoire ne serviraient elles à rien ? aujourd’hui ne serait-il pas reconnu,à la lueur
    d’hier ?

    René de Montmorency

  • ...... Si les scientifiques en sont à imaginer un filet anti-missiles.....C’est que les PATRIOT et autres quincailleries US sont bonnes à jeter à la casse !

  • je suis d’accord que Israel ne veut pas s’engager dans un processus de paix avec les voisins et surtout avec les palestiniens . M sulmon