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Jaurès et la paix Testament pour un siècle

Publie le samedi 31 juillet 2004 par Open-Publishing


Pierre
Laurent


Assassiné il y a tout juste quatre-vingt-dix ans, Jean Jaurès avait l’horreur de la guerre chevillée au corps. Le combat pour la paix est un des grands combats du siècle traversé par l’Humanité. Dix textes pour en témoigner.

Quand, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès s’effondre sur la table du Café de Croissant à laquelle il est attablé, les deux balles du revolver de Raoul Villain enfoncées dans le crâne, la paix n’a plus que quelques jours à vivre. Pourtant, le matin même, l’Humanité a publié un article de son directeur titré " Sang-froid nécessaire " dans lequel Jaurès appelle une nouvelle fois à résister : " Le péril est grand, mais il n’est pas invincible [.] . Ce qui importe avant tout, c’est la continuation. " L’inquiétude de cet inlassable combattant a grandi encore dans la journée. Après son dîner au Café du Croissant, il compte retourner dicter un nouvel article qu’il veut " décisif ", ainsi que Michel Vovelle l’a raconté dans un article poignant publié dans nos colonnes en avril dernier (1).

Contre la guerre, Jean Jaurès n’aura en vérité jamais désarmé. Durant les dix années où il dirige la destinée de l’Humanité, il consacre plusieurs dizaines d’articles par an à cette seule cause. Son acharnement se manifeste bien avant la fondation de l’Humanité. En novembre 1898, on peut lire par exemple dans la Petite République (2) cette mise en garde du député socialiste : " Si la guerre éclate, elle sera terrible et vaste. Pour la première fois, il y aura une guerre universelle mettant aux prises tous les continents ; l’expansion capitaliste a élargi le champ de bataille ; c’est toute la planète qui sera rougie du sang des hommes. " Mais la création du journal lui offre une tribune qui décuple la portée de ses appels.

En juillet 1905, alors que la France et l’Allemagne sont de nouveau au bord de l’affrontement, Jean Jaurès entend prononcer à Berlin, invité par les socialistes allemands dans un grand meeting, un important discours intitulé " La paix et le socialisme ". Il en est interdit par le chancelier de l’Empire (voir page 5). Le discours est publié le même jour, le 9 juillet 1905, en Allemagne par le journal Vorwaerts, en France par l’Humanité. Ce texte est long plaidoyer pour la " vigilance internationale " du prolétariat face à la précarité et à la fragilité de la paix.

Même après guerre, la boucherie pourtant avérée, le combat de Jean Jaurès ne lui sera pas pardonné par les tenants du conflit. L’épisode le plus significatif à cet égard est bien évidemment le procès de son assassin Raoul Villain. L’homme n’est jugé qu’en mars 1919. Il a passé la guerre en prison, cinquante-six mois de détention préventive au total. Lors de son procès, la culpabilité est reconnue, les faits revendiqués par l’accusé, la préméditation établie (le revolver a été acheté la veille du meurtre). Mais Villain est blanchi, acquitté, lavé de toute accusation. Les motifs politiques de ce déni de justice sont clairement avancés dans la plaidoirie de maître Zévaès, l’avocat de Villain. " Si vous condamnez Villain, a-t-il plaidé, cela voudra dire que vous approuvez la doctrine socialiste et sa politique d’avant-guerre. ". Difficile d’être plus clair. Mais Zévaès en rajoute. Comme si l’épouvantail du socialisme ne suffisait pas, il fait aussi appel à la peur du bolchevisme, lisant un article publié dans l’Humanité quelque temps auparavant et qui relatait la cérémonie d’inauguration d’une statue Jaurès à Moscou au cours de laquelle Lénine célébrait le chef socialiste.

Au lendemain de ce verdict, le 30 mars, Marcel Cachin dénonce à la une de l’Humanité la décision rendue (" un défi jeté par quelques bourgeois aveugles à tout un peuple de travailleurs "). Les 5 000 mineurs de Carmaux se mettent en grève. L’indignation grandit dans le monde ouvrier. Trois cent mille manifestants battent le pavé parisien le 6 avril pour dire leur colère.

Cinq ans plus tard, justice sera enfin rendue à Jaurès avec le transfert de ses cendres au Panthéon en 1924. Mais l’héritage pacifiste de Jaurès est déjà le patrimoine de l’humanité. Tout au long de son histoire, le journal en portera témoignage. À chaque fois que le monde verra grandir les menaces de la guerre, le journal fondé par Jaurès va répondre présent. Les quelques textes, de Jaurès à Chirine Ebadi, tout dernier prix Nobel de la paix, que nous publions aujourd’hui en hommage au testament d’humanité et de paix que nous légua Jaurès sont en quelque sorte des balises, des points de repère dans l’histoire d’un combat qui n’a jamais cessé tout au long du XXe siècle et qui, malheureusement, reste d’une brûlante actualité en ce début de XXIe siècle avec la guerre en Irak.

Dans ces textes, et chaque fois dans des contextes différents, leurs auteurs se montrent d’une étonnante lucidité sur le danger qui menace, mais chaque fois disent aussi leur espoir, leur conviction dans l’action. Jean Jaurès n’a jamais renoncé. Nous n’oublions pas ce qu’il écrivait le 31 juillet 1914, quelques heures avant sa mort. " C’est à l’intelligence du peuple, c’est à sa pensée que nous devons aujourd’hui faire appel si nous voulons qu’il puisse rester maître de soi, refouler les paniques, dominer les énervements et surveiller la marche des hommes et des choses, pour écarter de la race humaine l’horreur de la guerre. "

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-31/2004-07-31-398149