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de Max Angel
Si l’on veut connaître l’état d’esprit de nos Rastignac passés par l’ENA, je vous conseille vivement la lecture de ce passionnant roman.
Un ancien ministre, député parachuté en Bretagne, disparaît au cours d’une sortie solitaire en mer à bord de son voilier. Accident, enlèvement, meurtre ? D’autant qu’on est en pleine campagne électorale. Et c’est l’occasion d’une description clinique du fonctionnement du monde politique.
Un futur scénario pour un film qui pourrait tenter Chabrol.
Le style est vif, incisif, percutant et ponctué de flash-back qui expliquent comment un jeune homme peut se retrouver installé dans un fauteuil de sous-ministre. En plus de l’intrigue, il y a un vade-mecum plaisant sur la meilleure façon de faire carrière. Les auteurs savent de quoi ils parlent.
Ils sont eux-mêmes apparatchiks de l’UMP depuis quelques années au côté d’Alain Juppé si l’on en juge par cette remarque p 22 « ... sélectionner le meilleur candidat, ce qui n’était pas rien, compte tenu de l’exceptionnelle capacité de la droite à éliminer ses meilleurs éléments ».
Ils auraient aussi bien pu se retrouver apparatchiks au PS, si le hasard, la chance, le destin en avaient décidé autrement. Indiscutablement, les personnages du roman, sans être à clé, s’inspirent de personnages très connus et de situations vécues. Rivalité entre un Premier Ministre et son Ministre de l’Intérieur, collusion entre le monde politique et celui de la finance, connivence entre ténors de la droite et de la gauche, mélange coquin entre politique et journaliste femme… Tout est faux, tout sonne vrai. Enfin, presque. Dans la mesure où les auteurs ont dû retenir leur plume par rapport à la réalité.
Ils nous entrouvrent les coulisses des salons dorés, ils nous remettent en mémoire les magouilles ordinaires, ils rassemblent ce qui traîne déjà dans le Canard Enchaîné ou d’autres livres sur nos hommes et femmes politiques qui sortent comme champignons après l’averse. Mais ils ont édulcoré.
Pour avoir un peu fréquenté le milieu, je puis témoigner, qu’en dépit des turpitudes qu’ils décrivent, la réalité est encore plus sombre, plus complexe, plus vile.
On pourrait en conclure par cette remarque populiste « tous des pourris ».
Ce serait dommage. Mais on en n’est pas loin. Ce qui donne toute sa saveur au livre et tout son intérêt, c’est le ton humoristique, cette « politesse du désespoir » ainsi, pour le futur député de la deuxième circonscription du Morbihan « la messe de la Pentecôte en Bretagne, c’était comme un match de l’OM à Marseille, on ne peut pas se permettre de la rater avant les élections » p 57. On a affaire à deux auteurs, jeunes, bien élevés, qui ont dû à un moment donné penser qu’ils allaient servir la France.
Or, leur lucidité, leur analyse, leur intelligence supérieure leur a fait prendre conscience que derrière les envolées lyriques, les professions de foi, les idéaux, les perspectives grandioses, ce n’est que l’éternelle quête de puissance pour la satisfaction exclusive des ambitieux, ainsi « il est extrêmement rare qu’un militant de base prenne du galon »p 66. D’où des considérations désabusées et cyniques sur le monde politique qu’ils aiment et haïssent tout à la fois. On sent qu’ils ont eu quelques saines lectures, La Bruyère et Saint-Simon ne sont jamais loin, ainsi « La vraie difficulté et donc le vrai danger viennent plutôt de ceux qui sont intelligents, mais qui raisonnent comme des tambours, de ceux qui ne travaillent plus depuis longtemps et qui ne connaissent plus leurs dossiers mais qui ont travaillé il y a longtemps et qui considèrent qu’ils les connaissent et qui peuvent encore faire impression »p 138.
Ainsi, pour ceux qui seraient tentés, ils nous livrent la recette, le mode d’emploi pour devenir un jour ministre, « la meilleure façon était d’être reconnu par ses pairs comme quelqu’un de sérieux, de compétent, de charmant et d’inventif. Puis aussi de trouver le bon patron pour grimper avec lui » p 66.
On peut se demander s’ils sont bien conscients qu’ils dénoncent le fonctionnement de la Ve République et tacitement demandent de la modifier. Le suffrage universel à deux tours dans une France divisée en circonscriptions débouche nécessairement sur une « République des élus locaux. (…) Ils ne jurent tous que par la proximité ! Dieu nous préserve de la proximité, Caligny* ! Vous imaginez de Gaulle en élu de terrain ? Vous voyez Léon Blum sur un marché ? »(*nom du héros)
Ils ont oublié les bains de foule du général. Péché de jeunesse. Mais de là à imaginer de Gaulle en train de caresser le cul des vaches… C’était une autre époque qu’ils nous remettent en mémoire avec quelques extraits des discours de Malraux, notre opiomane lyrique et épique, maître de la prosopopée. Il y avait de la grandiloquence mais aussi de l’éloquence, du ridicule mais aussi de l’envolée, de la mégalomanie mais aussi une aspiration vers des sommets, de la grandeur.
Aujourd’hui, l’on veut nous vendre un « président marchandise » et les électeurs sont considérés comme des consommateurs et, via la télévision, comme des mateurs. Le vocabulaire des candidats se doit d’être du niveau bac moins trois et quant aux idées, on les a remplacées par des images, des petites phrases, des slogans, de la poudre à attraper les gogos, tous partis confondus. L’emballage, la tenue vestimentaire, l’extérieur, le spectacle l’emportent sur les projets, l’avenir, le parler-vrai. Dégoulinades de promesses, douceurs catégorielles, mais perspectives lointaines, budget de la France, place de la France dans le monde ? Néant ou presque !
Pour se reposer du bruit autour des sondages quotidiens, évadez-vous, avec cette « Heure de vérité » qui sera peut-être aussi la vôtre.
L’Heure de Vérité de Gilles BOYER et Edouard PHILIPPE (Flammarion)
Messages
1. L’Heure de Vérité, 10 mars 2007, 00:10
Merci Marc Angel,
Je n’imagine pas un seul instant que tu aies cherché - usant de cette enthousiasme cérébral que les mots bien agencés, parfois engendrent en nos cerveaux fertils - "à vendre" ce jeune roman.
Ni consciemment, ni même inconsciemment (ce qui, du reste, serait pire encore !)
NON ! Pour toi - au moins - ce roman et son idéologie t’ont subjugués.
Si, un jour, tu venais à me l’offrir, ce serait - je te le concède - UN ACTE de toute première beauté DE TA PART.
OUI ! Car le ’gratuit’ et ’l’humain’ sont de la même engeance.
À plus... si le coeur t’en dit.
R . B de http://wwwlavie.over-blog.com
2. L’Heure de Vérité, 25 mars 2007, 16:27
Merci pour cette critique qui me donne véritablement envie de courir acheter ce livre. Sa lecture permettra-t-elle à la campagne électorale de sortir des discussions de caniveaux dans lesquelles nous pourrissons ? Une joie de dévorer ce livre d’autant plus forte qu’Edouard Philippe fut mon (très bon) prof de droit à la fac.
Anséric