Accueil > L’Irak est Vietnam : "La vie a le dernier mot"

L’Irak est Vietnam : "La vie a le dernier mot"

Publie le mercredi 22 avril 2009 par Open-Publishing
3 commentaires

de Cristina Castello

L’Irak d’avant semblait une légende, un lieu obscur et mystérieux, un espace riche en vestiges d’histoires. / La patrie nous semblait une énigme antique, un paysage né de l’argile, faite de pisé et de ruisseaux de coupoles dorées. L’Irak d’avant les guerres, était un lieu en plein vol. Il paraissait un lieu de miracles.
Jabbar Yassin Hussin

Photo de Sebastião Salgado

L’Irak d’aujourd’hui est le Vietnam du XXIe siècle. Jadis, Kim Phuc, cette petite fille de neuf ans, qui le 8 juin 1972 courait nue et enflammée —bombardée au napalm—, est une allégorie de cette horreur. Le photographe Nick Ut a perpétué son image dans ce village de Trang Ban, et l’a aussitôt portée à l’hôpital. Zahra, de Bagdad, avait un an de plus que Kim et aucune photo pour l’immortalité. Elle a subi un attentat avec des bombes et son corps s’est lui aussi enflammé. Kim, 1972, Vietnam ; Zahra, 2007, Irak.

Kim et Zahra sont un sillon, une trace, un écho, une mémoire de l’outrage ; c’est un témoignage du hurlement soutenu de la guerre au cœur d’un monde qui, pourtant et par grâce, défend avec ses rêves le droit de rêver.

« Nous pouvons apporter la paix à l’Irak » [sic], a dit George W. Bush et sa paix a fait éclater près d’un million de martyrs. Sa gourmandise de Pouvoir ne visait pas à assassiner les ombres mais l’aurore : l’Irak a été l’aube, le premier bruissement de la civilisation. Là est née la première démocratie, la harpe royale et la flûte de canne du peuple ; le calendrier, l’écriture et beaucoup plus. Et ce berceau de la culture ajoute aux près d’un million de morts, des millions de mutilés, d’orphelins, ou de prisonniers. C’est la conséquence de l’occupation appelée guerre, par les États-Unis.

De l’Irak, sont les premiers poèmes épiques, comme « Gilgamesh » ou « La Création ». Là et dans la péninsule de l’Arabie, on fêtait la naissance des poètes, ainsi qu’on célèbre le sourire de Dieu ; ses hommes et femmes sentent le musc, et leurs yeux ont le regard profond couleur datte, tel le fruit de l’arbre national.

Bien que l’attaque contre l’Irak soit planifiée et signée depuis le neuvième mois de l’an 2000, elle fut projetée le jour suivant le 11 septembre 2001 sur la décision du gouvernement du Nord. Il l’a accusé de détenir des armes de destruction massive ; l’assaut a eu lieu en 2003, et bien qu’il soit démontré que ces armes n’existaient pas, rien n’importe à l’envahisseur. De la même manière avant la capture de Saddam Hussein, le secrétaire nord-américain de la Défense, Donald Rumsfeld proféra une déraison similaire : « Nous ne l’avons pas trouvé ¬[S.H], mais personne n’oserait prétendre qu’il n’a jamais existé ». Ça alors, l’argument et l’humour ! Peut-être argumenter dans l’humour, là ! L’humour qui repose dans l’éthique de ce Donald qui n’est certes pas celui de Walt Disney… Quelle douleur ! « Les gens libres sont libres de commettre des méfaits ?, a-t-il argué ». Oui, les gens peuvent perpétrer n’importe quelle traîtrise ... si les gens sont le Pouvoir.

La géographie de l’Irak —traversée du nord au sud par les rivières Tigre et Euphrate— répond à la signification de son nom, dont la traduction castillane signifie littéralement « bord de l’eau ». Ses vallées, steppes, montagnes et déserts devraient abriter les milliers de poètes que son ciel engendra et dont le verbe illumine le monde. Cependant, la majorité a dû s’exiler : le mot poétique peut être un impardonnable méfait.

L’Irak —aux réserves les plus importantes de pétrole du monde, après l’Arabie Saoudite— était un mets pour l’affamé Bush. C’est, de plus, un endroit stratégique pour contrôler le Moyen-Orient, l’Iran et l’Afghanistan ; et pour limiter tout accès possible de la Russie en Asie centrale. Un peuple stoïcien, douloureux, toujours agressé, cultivé. Les bombes du Régime jouaient un requiem dans cette même terre millénaire de même que résonnaient, les premières notes d’instruments musicaux millénaires de l’humanité. Et partout, retentissait le Maqâm de Bagdad ; ce concert de cithares, violons, tambourins et poésie, d’une magie impensable à l’Occident et dont la délectation ne sera jamais ressentie comme telle par l’envahisseur.

Horizons fugitifs

Je suis comme la nuit : Silencieuse, profonde, horizon
Je suis comme les étoiles : incertitude, distance, scintillement

(Nazik Al Malaika)

L’augmentation de « guerre préventive » —justifiant toutes les horreurs— est illégitime et immorale, d’après l’historien américain Arthur Schlesinger Meier, Jr., de même que pour tant d’autres voix ; et illégitime et immorale fut pour les USA l’attaque préventive du Japon contre Pearl Harbour, Le 7 décembre 1941.

Il faut en conclure que la paix ne doit être que pour eux. Aujourd’hui, le gouvernement des États-Unis est un régime d’occupation et —malgré le fait qu’il traverse l’une des pires crises de son histoire— poursuit sa fuite en avant. Comme un animal en rut, ses semailles de mort demandent plus et plus comme si son but était un horizon fugitif, qui exige toujours plus de sang pour l’atteindre.

Face à la guerre yankee en Irak, comme dans tous les cas, la majorité des nord-américains se sont montrés comme militaristes, chauvinistes, grâce à la fraude des armes de destruction massive que leur gouvernement avait inventée. Après cinq ans passés, beaucoup de nord-américains la ressentent comme un cauchemar. « L’Irak est le nouveau Vietnam » cette phrase se propage dans le pays des Oscars, des hamburgers, et de la limonade multinationale.

Le Vietnam, cette autre guerre bestiale, a été l’un des germes qui a fait fleurir le Mai Français, auquel se sont joints des millions de jeunes gens et de peuples des cinq continents, avides de liberté.

Les citoyens américains s’éveilleront-ils lorsque le suprême inventera un nouveau mensonge ? Combien pourront maintenir la lucidité au cœur du chaos, la pauvreté croissante du Géant, les mensonges de la presse et la détresse devant l’intempérie ? Tous ensemble et tous seuls dans un Empire qui semble glisser vers la fin d’un abîme qui s’avère/ ne pas avoir de fin ; l’État-providence commence à émerger sous leurs yeux comme un autre horizon fugitif. Ceux qui l’ont en mémoire, rappellent l’adage, selon lequel « la première victime de la guerre est la vérité ». Ces mots qui en 1917 furent prononcés par Hiram Warren Johnson, lors des parlementaires des USA aurait pu être accusé de terrorisme par George W. Bush.

Les Irakiens pour leur part sacrifiés dans leur patrie ou dans l’exil, rappellent leur illusion d’un avenir où brillait une auréole lumineuse. Ils rêvaient un pays où les bois formaient une ceinture verte qui embrassait les villes et empêchait l’avancée du désert. Ils rêvaient, croyaient, ils créaient : L’Irak était un pays d’avant-garde. Chaque jour inventait un mot, un musée était ouvert, il y avait une nouvelle bibliothèque ; chaque jour plus de sculptures peuplaient les places et les parcs, et plus d’universités s’offraient au savoir. Mais la paix a toujours été seulement une trêve entre deux violences, entre deux guerres ; un éden entre deux enfers.

La culture est dangereuse :
Chargez, visez, feu !

[Un festival] avec gens, chantant et dansant dans les rues, / les musiciens jouent des lyres et des tambours / et de belles prêtresses attendent en face du temple d’Ishtar
(Gilgamesh)

La poésie était un style de vie en Irak. Aujourd’hui, dispersés dans le monde, ses poètes souffrent parce que la pensée unique les montre —plus qu’à tout son peuple— comme l’axe du mal. Comme une menace.

Et il est évident qu’ils le sont. Je crois, avec Rimbaud, que « la poésie n’est pas prose rimée et gloire d’innombrables générations d’idiots ». Elle appelle à la conscience profonde, à un susurrement avec puissance de cri. Al Hallaj a été crucifié à Bagdad il y a cinq cents ans, parce que sa poésie illuminait. Federico García Lorca, Robert Desnos, Paul Celan, Paul Éluard, Juan de Yepes —aujourd’hui le Saint Jean de la Croix—, Nazim Hikmet, Ovide, César Vallejo, et plus encore, ont été assassinés, incarcérés dans des camps d’extermination ou furent exilés, par le péché du mot. Pour illuminer. C’est pourquoi le Pouvoir l’enferme dans des cachots ou — dans le meilleur des cas — la censure, mais... « Qui enferme un sourire, qui mure une voix ? » (Miguel Hernández).

L’Irak est une puissance en matière de poètes. Après Sapho de Lesbos (VIe siècle av. J.-C.), la première poète du monde est l’Irakienne Angiduana (IIIe siècle avant J.-C) et l’Irakienne Nazik Al-Malaika est considérée comme l’initiatrice de la poésie arabe moderne. De plus, et au-delà des religions : le « Coran » n’est-il pas une œuvre maîtresse de poésie ? « Bien que les humains et les génies se réunissent pour produire quelque chose de semblable à ce Coran, jamais ils ne rendraient rien pareil, bien qu’ils se fussent mutuellement aidés » (le Coran 17:88).

Les livres, la culture… l’art, sont des terroristes, pour les tyrans.

Oui. Le 2 février 2007, les journaux du monde ont intitulé : « Les États-Unis bombardent la bibliothèque de Bagdad ». Des hommes exilés dans leur propre enfer, dans la nuit des temps avaient déjà commis ces barbaries. Il suffit de rappeler le Frère Diego Cisneros, brûlant les livres des musulmans à Grenade ; ou que le Coran en arabe —dans l’édition de Paganini de 1537— a été détruit par ordre de l’un des papes les plus cultivés de son temps. Ou, est-ce que le Frère Juan de Zumárraga, créateur de la première bibliothèque du Mexique, n’a pas brûlé les codex des Mayas en l530 ?

Durant la destruction de la Bibliothèque de Bagdad, il y a eu plus d’un million de livres assassinés, des objets très antiques soustraits ou dépecés, et mille intellectuels irakiens exécutés. Celui-là fût un dîner, copieux. Avant, ça n’avait été qu’un en-cas : ils avaient pillé et brûlé le Musée Archéologique de Bagdad. Dans « Histoire universelle de la destruction de livres », Fernando Báez, docteur en bibliologie, assure —et il y a des preuves dans le pouvoir de l’ONU et d’autres organismes internationaux— que le responsable d’une telle sauvagerie résultait du gouvernement de Bush. Gommer la mémoire, c’est de cela dont il s’agissait.

Des éditions antiques ont disparu telles que celles des « Mille et une nuit » des « Traités mathématiques d’Omar Khayyam », des œuvres d’Averroes, et d’autres joyaux du patrimoine de l’humanité.

En Irak, où trois mille deux cents ans av. J.-C. l’écriture avait été inventée, les livres ont été pulvérisés. Des paradoxes de la vie, quand elle cède lieu à l’Empire.

Grappes d’arc-en-ciel

Ne faites pas peur aux nuages de Bagdad avec vos avions.
N’ensemencez pas de soldats dans notre jardin

(Muhsin Al-Ramli)

Après des siècles de monarchie, l’Irak s’est converti en république en 1958 et a eu plusieurs présidents, dont le dernier était Saddam Hussein, un dictateur brutal ; fait prisonnier, destitué et condamné à la potence en décembre 2006 pour crimes de guerre. Lui a succédé Jalal Talabani, qui n’est rien de plus qu’un nom —sans pouvoir— pour la présidence. Le premier ministre est Nuri Al Maliki, qui est conforme à ce que les forces des envahisseurs poursuivent ainsi « pour freiner l’agression étrangère et pour des raisons de sécurité interne » [sic].

Peuple de l’Irak, connu pour la Loi du talion, pour les amputations de membres aux désobéissants, pour les lapidations à ses femmes : pour toutes conduites qui semblent étrangères à la nature humaine. Ce sont ses lois, et elles sont contenues dans le Code de Hammurabi de 1686, qui applique de fait ledit populaire : « œil pour œil, dent pour dent ».

Le Code est contenu dans une sculpture taillée dans un bloc de diorite [une roche éruptive granuleuse] d’environ 2,50 m de hauteur par 1,90 m de base, et avait originellement été placé à Sippar, le temple de deux villes de l’ancienne Basse Mésopotamie, séparées d’à peine sept kilomètres. Après beaucoup de va-et-vient, à la suite des invasions permanentes subies par les Irakiens, la sculpture est exhibée aujourd’hui au Musée du Louvre de Paris.

Peuple cultivé et souffrant, ravagé. Son agresseur, les États-Unis de l’Amérique du Nord, exerce sur lui des brutalités encore pires que celles du Hammurabi millénaire. Généreusement, ils envoient des grappes. Grappes de bombes, qui —à une certaine hauteur du sol— s’ouvrent et tirent des centaines de bombes plus petites, de hauts pouvoirs meurtriers. En Irak, 98% des victimes sont civiles. Et la majorité, des enfants les confondent avec des jouets, par leurs couleurs brillantes et éblouissantes. À la recherche de l’arc-en-ciel, ils trouvent leur fin.

Jusqu’à quand l’homme sera-t-il le loup de l’homme ? Le mystère le sait. Pour leur part, les citoyens américains paraissent s’éveiller, il était dit ; dans une enquête récente, 80% d’entre eux disaient que leur pays était contrôlé par les intérêts de certains se préoccupant seulement d’eux-mêmes.

L’Irak trouvera-t-il paix avec Barak Obama ? Je ne le crois pas. L’armée des USA y continuera durant des années. Sera-t-il pour repaitre de bonbons les enfants ? Sera-t-il pour les cajoler ?

Kim Phuc, le Viêt-Nam ; Zahra, l’Irak : et maintenant, quoi ?
La guerre continue à travailler jour et nuit / en inspirant chez les tyrans de longs discours / en donnant des sujets aux poètes, / en dessinant des sourires dans les visages du leader. /la guerre travaille infatigable / mais pour elle il n’y a pas un mot / La vie a le dernier mot (Dunya Mikhail).

http://www.cristinacastello.com

http://les-risques-du-journalisme.over-blog.com/

Cristina Castello est poète et journaliste demeurant entre Paris et Buenos Aires
* Cet article est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur.

Messages