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Le "camp de la majorité" qui a manifesté à Tel-Aviv

Publie le samedi 22 mai 2004 par Open-Publishing
4 commentaires

Voici un article d’Henri Wajnblum responsable d’édition de "Points critiques" le mensuel de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. Cet article figurera dans le n°247 daté de juin 2004. L’UPJB a un site UPJB et une adresse : upjb@swing.be L’abonnement annuel à "Points Critiques" coûte 12,50€ (61 rue de la Victoire 1060 Bruxelles)

Le "camp de la majorité" qui a manifesté à Tel-Aviv
n’est pas le camp de la paix…

par Henri Wajnblum

Pour une fois, Shimon Peres a dit la vérité… La manifestation qui a réuni 150.000 personnes le 15 mai à Tel-Aviv n’était pas une manifestation de la gauche, mais une manifestation de "la majorité". Or, les 70 à 80% de la population israélienne qui, selon Peres, constituent cette "majorité", ne pouvaient, les choses étant ce qu’elles sont, se mettre d’accord que sur le plus petit commun dénominateur : le désengagement de la Bande de Gaza…

C’était d’ailleurs le but avoué des principaux organisateurs de la manifestation : Shalom Arshav, le parti Travailliste et Yahad (Ensemble : le nouveau nom du Meretz qui s’est enrichi de Yossi Beilin et de quelques autres transfuges du parti Travailliste)… faire pendant aux 50.000 membres du Likoud qui avaient fait capoter le plan d’évacuation de Gaza soumis à l’approbation du parti par Ariel Sharon. "C’est la majorité qui fera sortir Israël de Gaza" a ainsi lancé Yossi Beilin…

Et Ami Ayalon, le père du plan de paix qui porte son nom et celui du Palestinien Sari Nusseibeh, de renchérir à l’adresse de Sharon : "Si tu vas de l’avant nous sommes avec toi, sinon tu ne seras plus premier ministre"… Voilà une offre de services qui aura été reçue cinq sur cinq par ce dernier.

Ce qui unit donc la "majorité", c’est le désengagement de Gaza devenue, il est vrai, extrêmement meurtrière pour les soldats israéliens. N’est-ce pas d’ailleurs la mort tragique de treize d’entre eux, dans les quelques jours qui ont précédé la manifestation, qui explique pour une bonne part son succès de foule ?

Vous me direz, me surprenant une fois encore à faire la fine bouche, que peu importe les raisons pour lesquelles "la majorité" veut sortir de Gaza pourvu qu’Israël en sorte. Ce n’est pas faux… Le problème - car il semble acquis qu’Israël en sortira, Sharon lui-même considérant que la colonisation de Gaza a été une monumentale bévue - le problème, c’est qu’il s’agira d’une vraie fausse sortie. La seule chose qui changera, c’est que les gardiens de la prison ne seront plus à l’intérieur mais à l’extérieur. Mais ils continueront d’en boucler hermétiquement tous les accès.

Dans les nombreux comptes-rendus de la manifestation que j’ai lus, tant européens qu’israéliens, je n’ai vu nulle part qu’il se serait trouvé un seul orateur parmi ceux qui se sont succédé sur le podium, pour dénoncer ce jour-là le véritable jeu de massacre qui se déroulait au même moment à Rafah et à Zeitoun, à savoir des tirs de missiles tuant aveuglément et des bulldozers détruisant des dizaines d’habitations et laissant des centaines de familles sans abri.

Il ne fallait surtout rien dire qui aurait risqué de fissurer le "camp de la majorité" rassemblé sur la place Yitzhak Rabin (un sondage réalisé la 20 mai pour le compte de Kol Israël - la radio publique - indiquait que 58% des Israéliens étaient en faveur de la pousuite des opérations militaires en cours à Rafah).

C’est sans doute aussi pour ne pas gâcher la fête que les organisateurs avaient pris soin d’en écarter le camp, dit radical, de la paix (ce qui ne l’a pas empêché d’être présent pour y distribuer pétitions et pamphlets) et tout particulièrement les Refuzniks. Il est vrai que si on les avait laissé s’exprimer à la tribune, ils auraient dit que la paix passe obligatoirement par la fin de l’occupation et l’évacuation des colonies de tous les Territoires palestiniens ; ils auraient exigé l’arrêt immédiat de la construction du Mur et la démolition de ce qui en existe déjà ; ils auraient dit que les assassinats extra judiciaires, cela s’appelle du terrorisme au même titre que les attentats kamikazes ; ils auraient expliqué que ce qu’Israël faisait au moment même à la population gazaouite relevait de rien moins que du crime de guerre… S’ils avaient pu s’exprimer, il ne fait aucun doute que "la majorité" chère à Shimon Peres aurait aussitôt volé en éclats.

Quand la gauche institutionnelle mobilise pour exiger le retrait de Gaza, elle ne fait pas preuve de courage politique - même si elle y ajoute l’exigence de la reprise du dialogue - elle jette simplement de la poudre aux yeux pour masquer ses profondes divergences internes et ses errances.

Zeev Sternhell, qu’il est difficile de faire passer pour un irresponsable gauchiste, ne le lui a pas envoyé dire qui, dans Ha’aretz du 18 mai, écrivait "Que ce serait-il passé si, dans l’euphorie du succès de la manifestation de samedi soir, il avait été proposé à tous ceux qui y ont pris la parole de former un gouvernement ? Ils se seraient très rapidement mis d’accord sur les modalités de l’évacuation de Gaza, mais il est fort douteux qu’ils auraient pu aller au-delà…"

Yossi Beilin a cru pouvoir affirmer que "le camp de la paix s’est enfin réveillé"… Bel exemple d’application de la méthode CouéLe jour où il réussira à rassembler 150.000 personnes à Tel-Aviv pour exiger la réouverture de négociations avec l’Autorité Palestinienne sur la base de… l’Initiative de Genève par exemple, alors, oui, quelque chose aura changé en Israël, et Sharon et consorts auront enfin du souci à se faire.

Messages

  • Je n’ai pas les mêmes sources de renseignements que toi. Il faudrait peut être taper aux bonnes portes :

    "Frequemment interrompu par des acclamations et des applaudissements, Shimon Peres a dit a la foule que 80% des Israeliens desirent la paix et que seuls 1% essaient de la bloquer. "Nous ne les laisserons pas faire", a dit Peres. "Nous ne devons pas soutenir un gouvernement fantoche qui suit aveuglement les idees illusoires de la droite".

    Ami Ayalon, dont il faut souligner qu’il participait pour la premiere fois a un rassemblement politiquement identifie a gauche, a pris la foule a contre-pied en s’adressant a elle : "Vous n’etes pas la majorite. Vous n’avez pas reussi a conquerir les coeurs. Et le choix d’organiser cette manifestation un samedi a empeche les religieux qui l’auraient souhaite d’y participer."

    Amir Petez (ancien militant de Shalom Arshav), president d’Une Nation et toujours president de la Histadrout (federation des syndicats) participait lui aussi pour la premiere fois es qualites a une manifestation du camp de la paix. Pour lui, les questions diplomatiques ne peuvent pas etre separees des questions sociales. "En tant qu’habitant de Sderot (proche de la Bande de Gaza), je peux vous dire que nous n’avons pas peur du desengagement, ni du dialogue, ni du processus de paix".

    `Yossi Beilin, president de Yahad, a dit que depuis trois ans le camp de la paix etait dans le coma et qu’il s’etait enfin reveille. "Il y a des partenaires du cote palestinien, a nous de les renforcer".

    la paix maintenant : http://www.lapaixmaintenant.org/article773

    DEF

  • J’etais a la manif de Tel-Aviv. Il y a des points interessants dans l’analyse d’Henri Wajnblum, qui montre bien les limites de ce type de manif. L’article n’en reste pas moins partial et partiel : le centre du slogan, a mon avis, etait bien "On commence a parler" : plusieurs orateurs ont repete qu’il y avait un partenaire pour la paix, et que si Sharon dit qu’il n’y a personne a qui parler, c’est qu’il ne VEUT pas parler. Le discours de Peres etait mieux que prevu, mais enfin bon Peres est une anguille politique capable de se faufiler partout. Le discours de Beilin etait brillant, incisif, a rappelle les idees de Geneve, mis Sharon devant ses responsabilites. Si ce n’etait pas "le camp de la paix", ca y ressemblait tout de meme fort ! Quant au discours d’Ami Ayalon, il etait derangeant et passionnant. En commencant par une attaque frontale : "vous n’etes pas la majorite. Pourquoi les nouveaux immigrants ne sont pas la ce soir ? Pourquoi les juifs d’Orient ne sont pas la ? Pourquoi est-ce que nos amis religieux n’ont pas pu venir, parce qu’on a organise une manif trop tot un samedi ?..." Ayalon a continue en montrant que la gauche n’avait pas su gagner le coeur des classes populaires - et en montrant qu’on ne pouvait pas separer la recherche de la paix des problemes sociaux israeliens. Les membres du Meretz/Yahad ont repris la meme idee : l’importance pour gagner les coeurs a la pais, de s’attaquer aux problemes sociaux et de renouer le contact avec les classes populaires.

    Alors bien sur, c’est un camp de la paix encore groggy qui s’est reveille le 15 mai - encore un peu amer aussi et plein de doutes.

    Mais c’est bien le camp de la paix.

    PS : La manifestation s’est terminee par la Hatikvah, chantee par une jeune russe blessee dans l’attentat du Dolphinarium. Dans ce moment tres emouvant s’est montree une volontee de revenir au meilleur du sionisme pour gagner la paix. Ce qu’a parfaitement exprime l’une des oratrices : "Nous sommes ici sous une double banniere, celle de l’humanisme et de la justice, celle du sionisme et du peuplejuif". On peut construire la paix aussi a partir des cultures nationales, et de la tradition de l’humanisme juif.

    Mais est-ce que les anti-sionistes peuvent comprendre que le camp de la paix puise aussi sa force dans le sionisme et la Hatikvah ? ? ? ?

    peguyjaures

    • Petite precision : mon article ci-dessus a ete copie-colle depuis Indymedia par une amie ; sortie de son contexte originel, la dernière ligne de mon post-scriptum pourrait laisser croire que je considère P. Bardet (que je ne connait pas), H. Wajnblum et la vénérable Union des Progressistes Juifs de Belgique comme des "antisionistes fanatiques".
      Je tiens à dire qu’il n’en est rien ! Bien que mes conclusions diffèrent, je trouve l’analyse qu’ils font de la manif intéressante et stimulante, et oui, l’article touche un peu là où ça fait mal !... La manif du 15 mai restait très imparfaite - et par exemple, il y manquait totalement la voix du camp de la paix palestinien...
      Conclusion de tout cela : y’a encore du boulot !

      peguyjaures

  • Sur la photo de la manif, vous voyez la grande affiche bleue sur la droite, avec deux lettres qui composent une sorte de "P" ? En hébreu il y a marqué "K(e)n", c’est à dire "Oui" à la reprise des négociations et aux accords de Genève. Cette affiche a été tout à fait officiellement distribuée par les organisateurs de la manif...

    peguyjaures