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Le con existe, je l’ai rencontré ! N°3

Publie le jeudi 13 mars 2008 par Open-Publishing
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de Michel Mengneau

Petit costard gris, cravate grise, lunettes d’écailles, la tronche du premier de la classe. Suite..

Etait-ce lui que j’avais vu dans cet endroit bizarre appelé : droguerie à store où il y avait un emplacement pour ingurgiter de la pitance sous cellophane ? Oui, vous ne le saviez peut-être pas, mais par précaution dans ces établissements on tire les stores discrètement pour éviter que les gourmets soient rebutés avant d’y pénétrer. Une façon comme une autre de cacher la misère. En américain, on désigne ces gargotes sous le nom de : drugstores et leur Fast Food (ça m’écorche toujours la plume d’écrire en ricain).

Et, à travers d’autres garçons grisâtres, il me semblait avoir aperçu mon quidam dans l’une de ces officines. Juché sur une vieille selle de charrue supportée par une sorte de piquet, il bouffait à toute vitesse sur une étagère un truc à étage ; dont le chapeau arrondi, marron clair et piqueté de blanc fait penser à celui d’un champignon, l’amanite panthère, avec certainement les mêmes effets dévastateurs à la digestion. Un « hamburgère » qu’ils appellent ça. Le pire, en buvant, je ne veux dégoûter personne mais il faut pourtant le relater, le liquide noirâtre d’une boite rouge avec lequel dans ma famille on astique les cuivres. Ca ne m’étonne pas qu’il soit tombé malade !

Ce n’était peut-être pas lui, ce devait être probablement un autre…

Pour lui mettre l’eau à la bouche, le rassurer, orienter ses repas vers de saines envies, redonner un peu de piment à sa vie qui me paraissait morose, je lui explique mon repas de midi. Comme le temps me pressait, il m’avait suffi, pour me sustenter, de quelques appétissantes cochonnailles auvergnates, et, à la fin de cet encas, un savoureux fromage de chèvre des Deux-Sèvres. Le tout arrosé d’un « morgoneux » Morgon. Hum… Il ne m’a pas paru nécessaire d’ajouter que lorsque j’étais moins pressé, entouré d’amis dans des tenues bariolées et diverses qui n’ont pas une attirance particulière pour les fluctuations du « naze-dac », il m’arrivait quelques fois de faire un repas nettement plus substantiel. Et après mon café, de déguster lentement un vieil Armagnac en fumant à petites bouffées un excellent Havane. D’en rajouter, c’eût donc, à l’évidence, été de trop dans les circonstances inusitées de notre rencontre.

Car que n’avais-je pas dit !

En hoquetant, la voie entrecoupée de sanglots, il me jette au visage : « Moi, Monsieur, je suis un sportif ! Vous, vous n’êtes qu’un vulgaire jouisseur rabelaisien ». Voyant ma mine déconfite à ses affirmations, il se lance aussitôt dans un discours ésotérique sur les vertus du sport.

« Effectivement, me dit-il, si je courais, c’est que j’ai rendez-vous avec mon chef de service pour jouer un match de tennis avec lui. Et ce match est d’une importance capitale pour mon avenir. »

En interprétant ses propos, si j’ai bien tout compris, il avait la prétention d’avoir une petite réputation la raquette à la main. Son chef de service, jaloux de cette prérogative, lui avait laissé subodorer que s’il le laissait gagner au cours d’un match inter entreprise, il pourrait être question de promotion. Non mais, qui c’est le chef !!

Donc, comme récompense pour ne pas avoir contrarié la hiérarchie existante, il serait nommé petit chef.

Sacrée promotion en vérité ! Car c’est celle des fayots de l’entreprise. Celle ou l’on y colle les moins contestataires pour faire avancer une demande de productivité de plus en plus exacerbée de la part des actionnaires. Ceux-ci sachant que ces individus, corvéables à merci et assez bornés en général, une fois promotionnés sont capables de brimades ou autres formes d’exactions pour accélérer les rendements, particulièrement à l’encontre de la gente féminine parfois plus impressionnable, permettant ainsi à ces exploiteurs de faire le maximum de profits.

En ignorant volontairement le bien-être des employés dans l’entreprise, ce qui serait plus profitable à la bonne marche de leurs Sociétés, ces excités du CAC 40 préfèrent, pour des raisons bassement matérielles, des méthodes d’asservissement inique plutôt qu’une certaines liberté et quelques sous âprement mérités par leurs personnels. « Vous ne vous rendez pas compte, ces travailleurs, avec ce qu’on leur donne, ils rouspètent, et en plus ils revendiquent… ! ».

Afin de calmer les récriminations de cette prétendue racaille, un certain baron aurait annoncé sans vergogne : « On va les faire travailler plus, plus longtemps et les payer moins, ça leur apprendra à vivre ». Manque pas d’air, le bouffon ! On pourrait lui rétorquer : « Le travail est au service de l’Homme », et non l’Homme est au service du travail. Vaines paroles en vérité, il ne comprendrait pas. Seul le pognon qui va dans sa poche et dans celles de ses acolytes, l’intéresse.

Donc, mal à propos, le rustre que je suis, en retardant le nouveau merdeux, ne lui laissait plus le temps d’aller s’acheter le dernier survêtement à bande fluorescente – je suis vraiment un arriéré, ça s’appelle un « joguinge » -, les dernières chaussures d’une marque publicisée à outrance dont les semelles sont montées sur triples ressorts. Bref, tout le matériel qui lui aurait permis de paraître au mieux de son avantage. Et surtout d’auréoler d’apparats sa future condition de petit chef. Même si pour cela il faut perdre volontairement un match, on a tout de même son orgueil, n’est-ce pas ?

Malheureusement, sans le faire exprès, j’avais mis un frein à son explosion sociale. Quel dommage ! Des regrets hypocrites m’envahirent.

D’un sourire contrit et d’une main compatissante, j’essaie alors de le sortir de son embarras. D’autant qu’il me semblait le connaître.

Petit costard grisâtre, cravate grise, lunette d’écaille, la tronche du premier de la classe.

A suivre…

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