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Le fantôme de l’état d’urgence

Publie le jeudi 11 mars 2004 par Open-Publishing


Di ANDREA COLOMBO

Duo de Forza Italia et de la Quercia (Chêne, symbole des DS : NdT) au parlement
européen : "La France doit extrader Battisti. Il s’agirait autrement d’une attaque à l’Europe".
En Italie, Violante (ancien magistrat, membre du Comité de Direction et de la
Direction nationale des DS : NdT) applaudit le ministre Castelli, s’élève contre
la doctrine Mitterrand et promet que l’Olivier n’approuvera aucune mesure de
remise de peine. Mais la gauche de sa coalition n’est pas convaincue.


Pourquoi se fatiguer les méninges en quête d’un terrain commun entre la majorité et
l’opposition, d’un argument ou s’avérer capables de dialogue ? Il était là, face à tous,
dense de rappels de l’état d’urgence et de l’unité nationale, et grâce à Cesare
Battisti la droite et le centre-gauche peuvent le redécouvrir. Dans le Corriere
della Sera, Luciano Violante fait publier une interview qui semble un manifeste
consacré au "bon vieux temps" de la culture d’état d’urgence des années 80. Il
félicite le ministre de la Justice Castelli, qu’il apprécie si peu d’habitude,
pour sa demande d’extradition de Battisti. Il s’élève contre la France et contre
la doctrine Mitterrand "incompatible avec l’Europe d’aujourd’hui". Il promet
que, si le centre-gauche arrivait à nouveau au gouvernement, il n’y aurait pas "d’actes
de clémence pour liquider les années de plomb". A quoi bon ? "Je n’en vois ni
la nécessité ni l’opportunité". Le chapitre est clos. En même temps, à Bruxelles,
les députés européens de Forza Italia et de la

Quercia s’exhibent dans un duo des plus amoureux et synchrones. Antonio Tajani
démarre avec dureté. Ne pas concéder l’extradition de Battisti, lance-t-il mine
de rien, "serait une attaque à l’Europe, équivaudrait à démontrer qu’il n’y a
pas d’Europe". Pour démontrer son théorème, il étale une série d’arguments fantaisistes : "Les
jeunes terroristes qui ont frappé ces dernières années en Italie ont été éduqués
par les terroristes italiens en prison." "Il est démontré que le terrorisme a
des liens en Italie, en Espagne et en France".

Des mots lancés à la cantonnade, qui toutefois plaisent à Renzo Imbeni, DS, vice-président
du parlement européen. En son nom et au nom du chef du groupe parlementaire Pasqualina
Napoletano, il demande aux Français "de respecter notre justice, qui a avec elle,
dans ce cas, la force du droit naturel au respect de la vie humaine".

Mais, malgré l’unité nationale retrouvée, la gauche italienne n’arrive pas à convaincre
la gauche française. Jack Lang, ministre de la Culture quand le président Mitterrand
offrit l’asile aux Italiens, rejette encore l’extradition de Battisti : "Il n’y
a pas d’éléments nouveaux qui justifient de la part de la France une nouvelle
réflexion sur son engagement".

A vrai dire, Violante n’a pas non plus convaincu toute la gauche italienne. Aucun
problème dans la majorité des DS, naturellement. La responsable de la justice,
Anna Finocchiaro, qui avait pourtant présenté des propositions de remise de peine
dans plus d’une législature, s’aligne sans sourciller : "Ou bien nous arrivons à tirer
au clair jusqu’au fond quels sont les liens du terrorisme actuel avec celui du
passé, ou autrement nous n’arriverons jamais à classer le passé". Nombreux sont
ceux qui utilisent l’alibi offert par les liens, pourtant inexistants, entre
le terrorisme d’aujourd’hui et celui d’avant-hier. En revanche, il n’y en a pas
beaucoup qui connaissent les évènements en question aussi bien qu’ Anna Finocchiaro,
qui aurait vraiment tous les instruments pour savoir que les évènements récents
et ceux du passé ont très peu de choses à voir.

Dans la minorité DS règnent des humeurs différentes (même si, à vrai dire, les
divisions parmi les DS sur cet argument ne respectent pas du tout la géométrie
politique habituelle et sont, au contraire, tout à fait transversales). "Je trouve
que c’est une erreur de ne pas affronter jusqu’au bout cette phase historique",
déclare Pietro Folena, qui est aussi un des rares à critiquer la "doctrine Ciampi",
selon laquelle le "oui" des parents des victimes serait préalablement nécessaire
aux mesures de clémence. "Ce ne me semble pas un principe bien fondé que de baser
la concession des grâces sur l’avis des familles, qui sont inévitablement concernées émotionnellement".

Marco Rizzo, chef du groupe parlementaire du Pdci, ne souscrit pas, lui non plus,
aux paroles de Violante : "On ne peut pas donner pour escomptée la lecture politique
de ces années là. Il faut se demander si le terrorisme a vraiment échoué ou si
son but était de bloquer l’arrivée du PCI au gouvernement, mais il faut aussi
se demander si le comportement du PCI de l’époque n’a pas facilité l’engagement
de beaucoup de jeunes dans les organisations terroristes. Ceci dit, il est clair
que le jugement sur le terrorisme et sur son issue ne peut pas changer". Beaucoup
plus drastiques, les Verts. Mauro Bulgarelli définit "graves et préoccupantes" les
affirmations de Violante. "Pour lui aussi - ajoute Paolo Cento - l’unité politique
européenne passe par une nouvelle stratégie de l’urgence".

En conclusion, c’est surtout la droite qui s’écorche les mains pour applaudir
Violante. Lequel prépare déjà un nouveau cas. Un des condamnés pour le bûcher
de Primavalle de 1972, Achille Lollo, serait en effet inscrit dans les listes électorales
pour les Italiens à l’étranger au Brésil. An (les post-fascistes : NdT) signale
la chose et demande au ministre Castelli de s’activer immédiatement pour l’extradition.

Traduit de "Il Manifesto" du 9.3.2004
par Karl et Rosa

10.03.2004
Collectif Bellaciao