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Le royalisme, sur un air de deja vu... : Philippe Marlière soutient Bellaciao... Merci Philippe

Publie le vendredi 6 octobre 2006 par Open-Publishing
7 commentaires

de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à l’université de Londres

Anciens et nouveaux adhérents, fidèles de courants et ralliés de la dernière heure, les socialistes éliront prochainement leur candidat à l’élection présidentielle. Ils feront bien entendu ce choix en connaissance des ambitions de chacun des trois prétendants. Pour éclairer leur jugement, ces militants seraient bien avisés d’étudier de près le cas travailliste. Le PS est en apparence éloigné du travaillisme britannique, mais pourrait grandement s’en rapprocher à l’issue de ce scrutin interne.

Le 12 mai 1994, le leader travailliste John Smith décéda brutalement. Smith était un social-démocrate attaché au lien avec le mouvement ouvrier. Il envisageait un partenariat avec les syndicats pour mettre en oeuvre le programme social de son parti (arrêt de la privatisation des services publics, instauration d’un salaire minimum, lois de décentralisation).

A l’heure de son décès, l’ultra-libéralisme thatchérien était discrédité et Smith aurait aisément remporté l’élection de 1997. Tony Blair, son successeur, fut élu par les adhérents, après que Gordon Brown, son concurrent principal, ait renoncé à se présenter. En 1994, Brown était perçu comme un social-démocrate de gauche, proche des syndicats, une figure appréciée des militants.

Des cadres influents du parti et des syndicats se détournèrent de lui au dernier moment. Ils estimèrent que sa réputation d’homme de gauche pourrait effrayer l’électorat flottant et que son profil intellectuel « ne passait pas » dans les médias. Issu d’un milieu conservateur, ostensiblement distant vis-à-vis du parti et surtout, terriblement photogénique, Tony Blair reçut l’appui de l’appareil. C’est ainsi que ce grand parti du salariat se persuada de soutenir Blair : il fallait présenter aux électeurs le candidat que les sondages plébiscitaient. Très peu de ces cadres travaillistes firent ce choix par conviction politique. Ils expliquèrent qu’une fois élu, le « droitier Tony » se soumettrait au parti et mènerait une politique social-démocrate. Ces barons travaillistes ne prirent pas au sérieux les propos du futur premier ministre. Mal leur en a pris. Dès 1994, Tony Blair annonça la fin de la social-démocratie britannique. Entre 1997 et 2006, il a tenu parole.

A partir de 1995, le discours travailliste, déjà très recentré, prit une tournure résolument droitière. Blair entreprit de faire de son parti, le parti des entrepreneurs et du business, se fit le chantre de l’économie flexible. Il affirma vouloir dépasser « l’opposition stérile » entre la gauche et la droite et promit de ne revenir ni sur la plupart des lois anti-sociales de l’ère Thatcher, ni sur les privatisations les plus scandaleuses de cette période (chemins de fer). Sur les questions de sécurité, il déborda sur leur droite les conservateurs, préconisant l’incarcération des mineurs délinquants. Blair discourut sur les droits et les devoirs civiques, stigmatisant les « chômeurs oisifs » qui vivent volontiers des allocations. Culturellement conservateur, il opéra une volte-face sur des questions de société, sensible aux arguments électoraux de son entourage (homoparentalité).

Il vanta les mérites de la démocratie participative dans un livre-manifeste (New Britain, My Vision of a New Country, 1996) : il fallait, confiait-il, « décentraliser le pouvoir le plus près des gens, leur permettre de prendre les décisions qui les affectent ». Ce ne furent que des paroles. Il renâcla à mettre en place les lois de décentralisation, court-circuita le National Executive Committee (l’instance exécutive du parti) au profit de structures technocratiques sous ses ordres et traita avec mépris l’opposition populaire à sa politique (guerre d’Irak, privatisation des services publics, vote d’investiture du candidat travailliste à la mairie de Londres en 2000).

Quand les syndicats s’opposèrent à ses partenariats privés-publics dans les services publics (c’est-à-dire leur privatisation rampante), Blair les qualifia de « forces du conservatisme ». Le New Labour facilita les adhésions par internet à dix livres sterling la carte. Entre 1995 et 2000, le nombre d’adhérents passa de 200000 à 450000. Très peu de ces nouveaux adhérents (essentiellement issus des classes supérieures) prirent part à la vie du parti. Ils votèrent en masse les réformes visant à prendre congé des politiques social-démocrates. Une telle rupture avec la tradition socialiste et les attentes populaires découragea les plus dévoués des militants. Aujourd’hui, le parti travailliste ne compte plus que 180000 adhérents. Les syndicats, hostiles à la politique du New Labour, ont réduit ou supprimé le montant de leur contribution politique, certains encore se sont désaffiliés du parti.

A partir de 2001, le terme « New Labour » avait disparu des publications du parti, tant il était tourné en dérision par le public. Le fumeux débat sur la « troisième voie », censée théoriser la philosophie blairiste, lassa et cessa au même moment. L’amorçage d’un débat national sur la « Société du Respect » il y a un an a connu un bide retentissant. Les médias parlèrent à cet égard de marketing creux. Les trois succès électoraux du blairisme ont été acquis contre un parti conservateur détesté du public et très droitier. Le scrutin majoritaire à un tour a assuré le reste : en 2005, avec 35% des votes exprimés, le parti travailliste a obtenu 55% des sièges. Lors de ces trois élections, le vote travailliste a dégringolé de 13,5 millions à 10,7 millions, puis à 9,6 millions de voix. Le taux de participation est passé de 72% à 59% entre 1997 et 2001. L’abstention atteint un niveau record en Europe chez les jeunes et les catégories populaires. Dix ans après, le candidat des sondages a vieilli, son sourire un peu figé se fait désormais rare. Il va laisser derrière lui un parti en ruines et un Royaume-Uni plus néolibéral que jamais.

Messages

  • Y-a-t-il des leaders socialistes qui nous proposent autre chose qu’une politique de droite ?
    MdT

  • ... j’apprends enfin quelque chose d’intéressant (décidémment les media officielles ne nous apprennent plus rien !) au sujet de ce Blair qui m’a toujours inquiété.

    Cet article est excellent.

    Il doit être connu au plus vite par les miltants PS les plus sincères.

    Marc.

  • Intéressante différenciation entre politiques sociales-démocrates et blairisme. On a trop souvent tendance à mettre tout ça dans le même sac.

  • J’aimerai savoir comment les militants socialistes pourraient connaître ce texte si éclairant, Je comprends maintenant mieux la déclaration d’allégeance de S.Royale à Blair. Je ne peux rien faire personnellement mais par Internet n’ y-t-il paas un moyen pour mettre ce texte dans les boîtes électroniques puisque les "nouveaux" adhérents sont des internautes ?

  • Des articles très pertinents à propos du modèle britannique, trouvés sur le site :

    http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm

    Plus d’emplois créés en France qu’en Angleterre en 15 ans

    En quinze ans, de 1990 à 2005, la France a créé davantage d’emplois (2 520 000 : +11,25%) que l’Angleterre (1 520 000 : +5,82%). Le modèle libéral britannique n’est donc pas supérieur au modèle social français.

    Pour résumer, devant une augmentation semblable de la population en âge de travailler dans les deux pays, la population active a beaucoup diminué en Grande Bretagne (1 210 000) du fait d’un retrait massif d’activité (préretraites et surtout invalidité), permettant une diminution du chômage de 580 000 personnes. En France, la population active a davantage augmenté que la population en âge de travailler (690 000) du fait d’une importante demande d’emploi, entraînant une augmentation du chômage de 520 000 personnes.

    Ainsi, si la différence dans le nombre de chômeurs a augmenté en quinze ans entre la France et l’Angleterre, cela n’est pas du aux prétendus mérites du modèle libéral britannique mais à la mise à l’écart d’une partie importante de la population active. Les chômeurs ont surtout été transformés en invalides.

    Voir plus de détails, avec tableaux statistiques, à cette adresse :

    http://travail-chomage.site.voila.fr/britan/emploi_15ans.htm


    Durée du travail : 32 heures en Angleterre

    La durée moyenne du travail, pour l’ensemble des emplois à temps complet et à temps partiel, est de 32 heures par semaine en Grande Bretagne et de 36,28 heures en France.
    Ainsi, les français travaillent quatre heures de plus que les anglais chaque semaine.

    En valeur ajustée des variations saisonnières, la durée hebdomadaire est en moyenne de 32,1 heures pour l’ensemble des travailleurs britanniques, soit :
    37,2 heures pour l’emploi à temps complet,
    15,7 heures pour l’emploi à temps partiel.

    La durée du travail n’est pas de 35 heures par semaine en France mais de 39,0 heures pour le travail à temps complet ou de 36,3 heures en moyenne pour l’ensemble des emplois à temps complet et à temps partiel. En effet, la durée moyenne des emplois à temps partiel est de 23,2 heures et ceux-ci représentent 17,2 % de l’emploi total. Le calcul se fait donc en tenant compte de l’importance relative de chaque type d’emploi.

    Sur l’année, pour 45,4 et 47,0 semaines respectivement, la durée moyenne est :
     en France : 36,3 h x 45,4 = 1 648 heures annuelles,
     en Angleterre : 31,7 h x 47 = 1 489,9 heures annuelles, soit 10,6 % de moins.

    Plus de précisions à cette adresse :

    http://travail-chomage.site.voila.fr/britan/32h.htm


    On y trouve aussi un article plus ancien :

    Le modèle libéral britannique : emploi et chômage (étude de 1998)

    http://travail-chomage.site.voila.fr/ancien/model_brita.htm

    (tous les textes peuvent être imprimés en entier