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Les rencontres avec Luchino Visconti, la politique, les amours

Publie le vendredi 8 juillet 2005 par Open-Publishing

Quand, avec Savioli et Pintor, nous jouions un de ses divertissements

de Citto Maselli traduit de l’italien par karl&rosa

"Ormai ciunto a età decrepita a me la tonna é divenuta insipida percio’ montare moi velocipeta e...march ! A Vienna ancor"
"Arrifé tésormais à un âche técrépi Pour moi la femme est tevenue insipite Alors moi monter sur mon félocipète Et ... en afant ! A Fienne encore"

C’était un "divertissement" que Lattuada publia à Milan peu avant d’obtenir son diplôme de metteur en scène avec Giacomo l’idéaliste. On se le jouait en riant avec Savioli et Pintor pendant l’été qui précéda l’armistice et les neuf mois de Résistance où nous nous engageâmes tous. Avec Montale et Eliot, que l’on avait, si l’on peut dire, en poche, il y avait donc aussi les plaisanteries élégantes de ce jeune antifasciste milanais.

Je le connus personnellement les premiers mois de l’après guerre chez Adriano Grande, sa femme Lola et sa fille Flavia, dont nous étions un peu tous amoureux. Adriano Grande dirigeait une revue de poésie qui s’appelait Circoli et on rencontrait chez lui de grands personnages de la littérature comme Boby Bazlen et des metteurs en scène intellectuels comme Alberto Lattuada. Il avait à peine épousé Carla del Poggio, demeurée si belle et extraordinaire toute sa vie. Elle venait à peine d’interpréter un personnage tout à fait inédit pour elle, comme l’est la protagoniste du deuxième film d’Alberto, complètement oublié : La freccia nel fianco.

Il était socialiste, je me souviens, et nous commençâmes tout de suite à discuter de Togliatti, du virage de Salerne etc. Je me souviens de son ébahissement absolu en découvrant que je connaissais par cœur quelques-uns de ses vers et c’est peut-être de là que naquit une amitié non vécue mais qui a duré à tout jamais. Je me souviens qu’à la projection de Il cappotto, où j’avais amené Luchino Visconti, il fut étonné par notre enthousiasme, chaud et communicatif, de même que l’année suivante il accueillit avec une courtoisie plus que parfaite - et milanaise - nos critiques sincères à son La spiaggia.

C’étaient vraiment une époque glorieuse et étrange pour le cinéma italien. Nous travaillâmes ensemble une seule fois dans Amore in città, un film à épisodes réalisé par Marco Ferreri, où j’amenais toute la tension classique du début alors que pour lui le morceau qu’il intitula "gli italiani si voltano" n’était qu’un divertissement pur et désenchanté.

Mais on se retrouvait au dîner et on pouvait se défouler en évoquant et en citant nos folles amours pour Erich von Stroheim et Dora Markus.

Quand je vis ce chef d’œuvre qu’était La steppa, au début des années soixante, je me souviens que je ne pus m’empêcher de lui demander pourquoi il alternait des ouvrages de ce niveau expressif et artistique extraordinaire et une production beaucoup plus abondante qui était digne mais purement professionnelle et commerciale. Il n’aima pas cette question et je me suis toujours repenti de la lui avoir posée : parce que sur des choix de fonds d’une telle profondeur et d’une telle complexité on n’a pas le droit de demander et d’enquêter.

Nous nous retrouvâmes à Venise il y a vingt ans et je crois que c’est lui- dans le jury cette année-là - qui s’est battu, avec Robbe-Grillet, pour qu’un de mes films fût récompensé.

La dernière fois que je l’ai vu il n’allait déjà pas bien. Carla lui dit qui j’étais et il sourit.

http://www.liberazione.it/giornale/050705/LB12D68F.asp