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Lettre ouverte de l’artiste peintre Seda à son excellence monsieur Luc Hallade Ambassadeur de France en Union des Comores
Publie le jeudi 16 avril 2009 par Open-Publishing1 commentaire
L’artiste peintre comorien Seda (photo), a été suspendu de sa fonction d’enseignant des Arts Plastiques à l’École Française Henri Matisse de Moroni pour avoir participé à une manifestation contre la départementalisation de l’île comorienne de Mayotte.
L’artiste estime avoir exercé son « devoir de citoyen libre » et « avoir agi en accord avec » sa « conscience ». Si l’artiste comprend qu’ « il n’est pas facile d’aimer son pays dans le contexte de crise où nous nous trouvons actuellement », il croit que le pays « a le droit d’avoir des enfants qui l’aiment ».
« Il y va de ma propre intégrité intellectuelle », écrit l’artiste qui refuse d’agir contre sa liberté de conscience. Car, selon lui, cela « serait une manière de me renier moi-même jusqu’à l’os ».
Nous publions ci-dessous l’intégralité de sa lettre ouverte à l’ambassadeur de France aux Comores.
Artiste et formateur dans le domaine des Arts Plastiques, j’enseignais à l’École Française Henri Matisse. Mais j’ai appris ce lundi 6 avril 2009 que mes interventions dans cette école allaient être suspendues jusqu’à nouvel ordre, suite à ma participation à Moroni au “gungu” du vendredi 13 mars 2009, une manifestation dénonçant l’organisation par la France du référendum pour la départementalisation de l’île comorienne de Mayotte, référendum déjà condamné par l’Etat comorien, l’Union africaine et les Nations unies.
L’ordre de suspendre mes cours viendrait de vous, m’a-t-on signifié.
Je ne vous cache pas mon étonnement et mon indignation face à pareille décision, prise par un ambassadeur de France, représentant d’un pays de droits, une démocratie, où la libre expression des citoyens est permise et souhaitée. Je trouve contradictoire qu’un représentant de l’Etat français veuille me faire taire ou m’imposer son opinion politique, en jouant mon poste d’enseignant à l’école française aux dés. Ce geste n’honore pas la France, terre revendiquée des droits de l’homme.
Mais qu’ai-je commis comme crimes ? J’ai exprimé mon opinion sur un problème colonial non résolu entre la France et l’Union des Comores, mon pays ? Je me suis prononcé sur la question de Mayotte, et plus particulièrement contre le processus de départementalisation enclenché par la France ? Dois-je vous rappeler, excellence, le contenu de la résolution N°31/4 du 21/10/1976 à l’Onu ? Je ne vous ferais pas l’offense d’un cours d’histoire. Mais je demande le droit d’avoir une position claire et concise sur l’avenir de mon pays, en ma qualité de citoyen d’un Etat souverain, bien que fragilisé. Je me demande à quoi servirait mon travail de créateur s’il ne reflétait pas le vécu comorien.
Peut-on créer aux Comores sans avoir son mot à dire sur la réalité environnante ? En prenant position sur la question de l’intégrité territoriale des Comores, je n’ai fait qu’exercer mon devoir de citoyen libre. Ce que vous pouvez comprendre et respecter. Vous avez certainement une opinion sur ce qui se passe dans votre pays.
Devrait-on vous suspendre de vos fonctions ou bien est-ce à dire que vous n’avez jamais d’opinion, en tant que citoyen sur le devenir de la France ?
Je sais que la décision de suspendre mon cours n’est pas venue que de vous. On m’a bien fait comprendre que l’opinion de certains parents d’élèves comoriens de nationalité française a beaucoup pesé dans cette décision. Jusqu’à preuve du contraire, aucun collègue ou parent d’élève français, dit “de souche”, ne s’est plaint ouvertement de ma position, ni ne m’a jugé. Seuls les Comoriens m’ont parlé de représailles (“tu n’aura jamais de visa si tu continues ainsi”) possibles, et je les comprends, dans la mesure où il n’est pas facile d’aimer son pays dans le contexte de crise où nous nous trouvons actuellement. Mais est-ce le rôle d’un artiste que de tendre la main et de se taire ? Au-delà, le citoyen n’a-t-il pas le droit d’exiger sa “part de dignité dans ce monde” ?
Monsieur l’ambassadeur, j’estime avoir agi en accord avec ma conscience. Je n’ai rien contre les Français (comme si on pouvait mettre tout le monde dans une même boîte), mais je suis contre une situation d’occupation, contribuant à déstabiliser mon pays. Je connais aussi d’autres français qui me donneraient raison. Ce qui ne fait pas d’eux des anti-français. Je vous demande donc de respecter ma position sans aller à l’encontre des valeurs que vous incarnez à nos yeux.
Mayotte est comorienne, de terre, de langue, de culture, de religion et de sang. N’est-il pas normal pour moi qui suis citoyen comorien de le rappeler ? Je le répéterais autant de fois que cela m’est possible. Il y va de ma propre intégrité intellectuelle. Ce pays a le droit d’avoir des enfants qui l’aiment. Avoir une opinion contraire à celle-là serait une manière de me renier moi-même jusqu’à l’os. Ce que je ne me vois pas du tout faire.
Seda, artiste plasticien comorien
Source : Al-watwan N° 1298 du 16 avril 2009
– http://www.alwatwan.net/pdf/16042009.pdf
Messages
1. Lettre ouverte de l’artiste peintre Seda à son excellence monsieur Luc Hallade Ambassadeur de France en Union des Comores, 17 avril 2009, 14:23, par pilhaouer
petit président, petit ambassadeur ! La France, pays des droits de l’homme ? Parfois ...! L’ambassadeur précédent s’appelait Bob Denard ? Non ?