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Londres résignée

Publie le mercredi 17 août 2005 par Open-Publishing
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de Philippe Marlière Maître de conférences en science politique à University College London (université de Londres)

"Esprit du Blitz", "réaction de défiance" : laissons cette romantisation obscène aux commentateurs paresseux. Depuis les attentats terroristes des 7 et 21 juillet, deux sentiments prédominent à Londres : la peur et la résignation. La comparaison avec le précédent madrilène est tentante.

Tout comme la Grande-Bretagne, l’Espagne avait initialement envoyé des troupes en Irak. Dans les deux cas, cette intervention militaire avait été décidée malgré l’opposition d’une majorité de la population des deux pays.

Certes, le rejet de la guerre avait été encore plus virulent en Espagne qu’en Grande-Bretagne. Il faut aussi se souvenir que José María Aznar avait fini par exaspérer les Espagnols en assénant, à tort, que les attentats étaient l’œuvre de l’ETA. Son comportement avait provoqué une manifestation gigantesque contre le gouvernement et sa défaite dans les urnes quelques jours plus tard. Même si l’on tient compte des différences entre les deux pays, il n’en reste pas moins que l’absence de réaction des Britanniques peut surprendre.

Dès le 7 juillet, M. Blair s’est efforcé de dépolitiser les attentats-suicides. Il refuse depuis catégoriquement de reconnaître que la présence britannique en Irak ait pu en partie motiver les attentats de Londres. Selon lui, ces actes auraient été causés par une « idéologie totalitaire anti-occidentale ». Leurs auteurs chercheraient à déstabiliser « nos valeurs et notre mode de vie ». Ces actes terroristes ont pourtant été perpétrés par des « Britanniques-musulmans » ; des individus relativement bien intégrés et issus de familles stables.

L’explication culturaliste fournie par Tony Blair n’est donc pas convaincante. Elle ne permet pas de comprendre les biographies accidentées de ces individus : l’intégration communautaire et religieuse certes, mais aussi un rapport longtemps positif aux « valeurs britanniques ». Leur conversion à un islam fondamentaliste est souvent survenue après des pratiques « impures » (alcool, drogues, petite criminalité). Dans certains cas, elle a accompagné des trajectoires sociales respectables (éducateur dans une école pour l’un, diplôme d’université pour l’autre). Comment des hommes évoluant dans un environnement plutôt favorable ont-ils pu commettre de tels actes ? Le premier ministre se garde bien de poser une question aussi cruciale qu’embarrassante.

En dépit des efforts déployés par le gouvernement, les principaux partis politiques et la majorité des médias, la thèse culturaliste a été écartée par une série d’interventions issues de l’Establishment. Il y eut d’abord le rapport de Chatham House (ex-Royal Institute of International Affairs) qui a souligné que l’invasion de l’Irak avait « renforcé Al-Qaida » et que les liens étroits qu’entretenait la Grande-Bretagne avec les Etats-Unis compliquaient la lutte anti-terroriste.

Un mois avant les attentats, le Joint Terrorism Analysis Centre - une dépendance de MI5, les services de sécurité et d’espionnage - avait averti le gouvernement que les événements en Irak constituaient un terreau de radicalisation terroriste en Grande-Bretagne. Dans un sondage publié dans The Guardian après le 7 juillet, 64% des Britanniques estimaient que Tony Blair était « beaucoup » ou « un peu » responsable des attentats-suicides. Seul Tony Blair - ou presque - considère aujourd’hui que les attentats de Londres n’ont rien à voir avec la présence britannique en Irak. En réalité, il n’a pas le choix. S’il reconnaissait que les deux sont liés, il lui faudrait alors admettre qu’il s’est trompé sur l’Irak, un pas qu’il ne franchira jamais.

Lorsqu’il fut reconduit à Downing Street en mai, la majorité des médias et du public voyaient en Tony Blair un leader « affaibli ». Depuis le 7 juillet, bien que tenu indirectement responsable des attentats, on salue son action politique. Comment rendre compte d’une telle contradiction ? Il est probable que dans une période de danger, le peuple britannique fasse spontanément bloc autour du gouvernement. La politique reprendra son cours lorsque la menace de nouveaux attentats semblera écartée. Cela pourrait expliquer le silence quasi-général qui a suivi la bavure de la police qui a abattu un innocent dans le métro. Une approche psychologisante dressera le type-idéal de l’homo britannicus : passif, peu exigeant, affrontant avec stoïcisme l’adversité, le fameux British stiff upper lip.

Le politologue évitera le terrain marécageux des stéréotypes nationaux et se concentrera sur des facteurs politiques tangibles. Il se penchera sur le champ politique britannique et observera les forces politiques en présence. Il notera que l’ensemble des médias britanniques - pour la plupart des critiques impitoyables du premier ministre - applaudissent aujourd’hui avec emphase son action. Plusieurs journalistes sont allés jusqu’à célébrer sa « stature churchillienne » ! A gauche, Respect, une coalition anti-guerre emmenée par l’ex-député travaillliste George Galloway, a tenté de briser le consensus national. Elle a insisté sur le lien de causalité entre la guerre d’Irak et les attentats de Londres.

Ce message n’a eu que peu d’impact car il est porté par un rassemblement peu crédible, qui va de l’extrême-gauche trotskyste à des groupes musulmans pour la plupart réactionnaires. La thèse culturaliste du premier ministre a été reprise sans état d’âme par les deux institutions les plus conservatrices du pays (avec la monarchie) : le parti travailliste et les syndicats du TUC. Le parti libéral-démocrate s’est noyé dans une critique par trop subtile et ambivalente de la politique irakienne de M. Blair. En conséquence, sa position anti-guerre est devenue inaudible. A droite, les conservateurs ont continué de surenchérir le discours droitier et sécuritaire du premier ministre le plus atlantiste de l’histoire britannique.

Une majorité de Britanniques considère que Tony Blair est le principal responsable de leurs malheurs actuels. Pourtant, ce sentiment ne s’accompagne pas d’un mouvement de révolte semblable à celui des Madrilènes. Cette apparente contradiction est explicable sur un plan politique. De fait, la résignation affichée par nombre de Londoniens est éminemment politique. Ceux-ci se rendent compte que leur opposition démocratique à la guerre d’Irak n’aura servi à rien. Ils savent aussi qu’aucune des grandes formations politiques et syndicales ne va articuler et relayer leur opposition à la politique blairiste.

Ils lisent des quodidiens nationaux qui poursuivent à travers cette question leurs combats partisans habituels (The Guardian - centre gauche - ne perd jamais une occasion de célébrer un leader travailliste ; à droite, la presse tabloïde se réjouit du discours musclé de M. Blair sur la sécurité et à l’égard des demandeurs d’asile). Le décalage entre les attentes populaires et l’offre politique est énorme. Il incite le public à l’attentisme, voire à la résignation. Cette inaction n’est pas synonyme d’apathie ou d’indifférence. Elle est le produit du système institutionnel britannique : une démocratie sans choix politique. La « troisième voie » blairiste - de fait, voie unique - triomphe à ce prix.

Messages

  • Les Londoniens vont-ils pouvoir se protéger du froid cet hiver ? Les vêtements amples ne sont-ils pas propices à la dissimulation de bombes ? C’est en tous cas ce qu’affirme la police.
    Dans ces conditions, les plus frileux doivent s’attendre à faire le vide dans le métro.
    Une foule angoissée peut rapidement céder à la panique. Des incidents sont donc à craindre.
    JiPi